Journal d'une parisienne, tome 5 [1999] : C'est arrivé hier

2 août - Les romans grouillent sur ma table, comme toujours en août, en vue des prix de fin d'année. L'un d'eux me plaît, « Loin d'eux ». Ecrit par un jeune homme qui parle sobrement de choses ordinaires, il tranche sur tout le reste. Ailleurs on barbote, dans le sexe, surtout sous des plumes féminines de 20 ans. Elles en sortiront, c'est un moment à passer, quelque chose comme la gueule de bois de la libération sexuelle. Tout n'est pas négligeable... De tout temps les romanciers ont écrit sur deux sujets, l'amour et la mort. Ils continuent. On ne va pas le leur reprocher. Mais ce qui n'est pas obscène est plat. Ah, c'est dur d'écrire !...
On pense à cette petite phrase de Garcia Marquez dans je ne sais plus lequel de ses romans. Il parle de l'« odeur pensive des camélias ». Pour trouver ce « pensive », il faut être né écrivain, évidemment. 

2091 - [Le Livre de poche n° 15367, p. 107]

– 5 novembre 1999 – Castillo reçoit le prix (Fémina) de l'essai pour sa biographie très pointue de Colette. Je dîne à côté de lui, le soir. Il est charmant, tout nimbé de mélancolie, disert, plein d’anecdotes, il a tout lu. Nous parlons de Spinoza, des marranes... Il me raconte que le général Franco, avait des ancêtres juifs soigneusement dissimulés. Raison pour laquelle il n'a jamais suivi Hitler dans ses débordements et délire antijuifs, ce qui, à l'époque, a souvent étonné.

2124 - [Le Livre de poche n° 15367, p. 156]

27 mai - Au courrier du matin, deux lectrices me font des reproches : 
L'une parce que j'ai négligé Aliénor d’Aquitaine dans le prologue des « Françaises ». C'est vrai. Il m'a paru que ce n'était pas un exploit louable d'avoir dépecé le royaume et entraîné la guerre de Cent ans pour l'amour de son Plantagenêt. 
L'autre parce que dans « Chienne d'année » à propos du fameux air de Verdi dans « Nabucco », qui devint un cri de guerre en Italie, je n'ai pas cité « La Muette de Portici », d'Auber, qui a déclenché la révolution belge de 1830 contre le joug hollandais. « Mieux vaut mourir que demeurer misérable ! » chantait-on au théâtre de la Monnaie, et bientôt dans tout le pays. 

2088 - [Le Livre de poche n° 15367, p. 81]

6 mai - L'affaire des paillotes - Le préfet de Corse, Bernard Bonnet, a avoué hier soir qu'il était au courant de l'opération. (...) Ego surdimensionné ? Ambition frénétique d'obtenir de meilleurs résultats dans la lutte qu'il menait, non sans succès, contre une certaine Corse? On ne lutte pas longtemps contre cette Corse-là, ou alors on s'en va, comme le préfet Erignac, les pieds devant. Elle est réfractaire à cette chose bête et nécessaire à la vie en société : la loi. On ne paie pas ses impôts, on tripote dans les caisses du Crédit agricole, on règle ses comptes à coups d'explosif ou de revolver. On appelle cela la singularité corse. Le fait est que ces comportements ne sont pas habituels pas dans la Creuse ou le Loir-et-Cher.

2081 - [Le Livre de poche n° 15367, p. 70]

– 26 octobre 1999 – En d'autres temps de pétitionnisme, signer un texte collectif garantissait d'avoir son nom dans les journaux avant ou après celui de Sartre. Combien d'égos en ont été tout émoustillés ! « Tu as signé ? - Oui, avec Sartre », faisait-on négligemment remarquer. Mais Sartre lui-même, pourquoi signait-il n'importe quoi ?
Un jour, je lui ai dit : « ça, ce n'est pas possible, vous n'avez pas vu avec qui vous vous retrouvez ? - Non, a-t-il répondu, je ne lis rien. Comme je signe tout, ça n'a aucune espèce d'importance... »
J'ai pris le parti inverse : je ne signe quasiment rien. Et ça n'a aucune espèce d'importance.

2122 - [Le Livre de Poche n° 15367, p. 149]