Ô caravelles
I
Enfant, je savais comme partir est doux
pour n’avoir jamais quitté la barque
des collines, fendu d’autre horizon
que la pluie quand elle ferme le matin,
et qu’il me fallait à tout prix trouver
la bonne lumière pour poser les mers
à leur place sur la carte et ne pas
déborder. J’avais dix ans et
plus de voyages dans mes poches
que les grands navigateurs, et si
je consentais à échanger la Sierra
Leone contre la Yakoutie, c’est que
vraiment la dentelle de neige
autour du timbre était la plus forte.
AUX LISIÈRES
I
Nous avons cru longtemps qu'il nous suffisait
d'allonger le bras pour toucher le ciel
et tenir en laisse le vieil horizon
si longtemps qu'en nous le geste demeure
à la vue d'une femme à l'aube surprise
lavant dans ses larmes le jour et la nuit
que plus rien ne reste à la fin que l'ombre
pour raser de frais au fil de l'amour
nos corps effondrés dans la chambre avec
le ciel comme un bas sur le parquet nu.
La nuit peut bien tomber sur la ville
endormie et, tempête, emporter les toits,
les arbres et les enseignes mortes,
je ne céderai pas, dit-elle,
comme ceux qui, voyant venir la fin
de la partie, s'effacent et consentent
à mourir avant que le joueur baisse
le pouce. J'ai une carte secrète
qui me bat sous les côtes un air si vif
que je vole et que la terre en tremble,
précipitant la nuit dans la nuit,
hier dans ses décombres.
J'aime, et le jour est tout neuf.
ROUTE
Comme un grand animal
la route s'est assise et souffle
Le cantonnier complice
partage l'unique cigarette
on est près de parler
mais la terre s'abat
d'un coup d'aile
midi vient de sonner
TOMBEAU DU CAPRICORNE
ÉLÉGIE POUR UN AMI VI
Un jour, il faut partir et l'on ne sait
plus rien de ce qui fut à l'origine
du feu, ni comment ni pourquoi
les choses tout à coup
se sont mises à tourner de travers
et le feu s'est éteint, le rosier changé
en épines, l'amour en terre brûlée,
et ce qui reste avec
le bruit de nos pas à la place du cœur
est peu de choses : des mots sur le papier
qui ne disent plus rien sinon qu'ils furent
écrits, lus et relus
par un aveugle dansant dans l'incendie.
p.264
Avec douze écrivains de l'Anthologie
Avec Anne le Pape (violon) & Johanne Mathaly (violoncelle)
Avec Anna Ayanoglou, Jean d'Amérique, Camille Bloomfield & Maïss Alrim Karfou, Cyril Dion, Pierre Guénard, Lisette Lombé, Antoine Mouton, Arthur Navellou, Suzanne Rault-Balet, Jacques Rebotier, Stéphanie Vovor, Laurence Vielle.
Cette anthologie du Printemps des Poètes 2023 proposent 111 poètes contemporains et des textes pour la plupart inédits. La plus jeune a 20 ans à peine, le plus âgé était centenaire. Tous partagent notre quotidien autour de la thématique corrosive des frontières. Leurs écrits sont d'une diversité et d'une richesse stimulantes. Ils offrent un large panorama de la poésie de notre époque. Avec notamment des textes de Dominique Ané, Olivier Barbarant, Rim Battal, Tahar Ben Jelloun, Zéno Bianu, William Cliff, Cécile Coulon, Charlélie Couture, Jean D'amérique, Michel Deguy, Pauline Delabroy-Allard, Guy Goffette, Michelle Grangaud, Simon Johannin, Charles Juliet, Abdellatif Laâbi, Hervé le Tellier, Jean Portante, Jacques Roubaud, Eugène Savitzkaya, Laura Vazquez, Jean-Pierre Verheggen, Antoine Wauters…
Mesure du temps
La fenêtre qui donne sur les quais
n'arrête pas le cours de l'eau
pas plus que la lumière n'arrête
la main qui ferme les rideaux
Tout juste si parfois du mur
un peu de plâtre se détache
un pétale touche le guéridon
Il arrive aussi qu'un homme
laisse tomber son corps
sans réveiller personne
Guy Goffette – Ces mots traversent les frontières, 111 poètes d'aujourd'hui
Lumière par Iris Feix, son par Lenny Szpira
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