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L'Aveuglon » :
Agustin Gomez-Arcos (Poche, 215 pages)
Un gamin de cinq ans, aveugle, survit à Marrakech. Pendant des années, il ramasse le crottin, se fait exploiter, devient mendiant, trouve au-delà des humiliations des soutiens affectifs, des personnages hauts en couleurs pas très loin d'une cour des miracles, et le gamin ose rêver, rêver, de cette opération chirurgicale magique de la cataracte qui pourrait lui redonner la vue, et qui coûte sans doute une fortune. Alors il économise piécette après piécette, la tirelire se garnit-elle ?
Portrait sans fard des coulisses d'une ville royale, ce beau roman est sans vrai suspense, sans véritables rebonds, l'histoire en elle-même, émouvante bien sûr, est assez réduite. Mais il vaut d'abord par les portraits que l'auteur dresse, et surtout par l'écriture, par la verve, riche, sans retenue, crue le plus souvent (on est abreuvé des odeurs de merde), drôle et imagée. Il faut juste admettre que dans ce roman truffé de dialogues, ce ne sont pas les expressions de l'enfant ni des adultes qui l'entourent qu'on lit, c'est la truculence de l'auteur, une prose vive et élaborée, à la fois recherchée et alerte, facile et travaillée, avec le sens de la formule percutante.
« Il craignait de s'embarquer dans une aventure difficile à maitriser comme quand on s'entête à boire de l'eau dans une passoire : on finit trempé, mais mort de soif. »
« Celui-ci sentit que la main de Madame se constituait prisonnière de ses cheveux. »
« C'étaient des mains tranquilles, un peu désenchantées. Comme si elles avaient passé la vie à refermer des portes au lieu de les ouvrir. »