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Critique de Ys


Être ou ne pas être ? le vieux dilemme d'Hamlet s'infléchit pour Oblomov en termes légèrement différents : agir ou ne pas agir ? Car si l'action n'est pas la vie, vivre sans agir devient vite un endormissement, un enlisement paisible mais irrémédiable qui ne mène qu'à la mort. Et agir, pour Oblomov, est une épreuve quasi insurmontable.
Oblomov, c'est l'homme qui rêve, au fond de son divan, à ce que sera son existence lorsqu'il aura mené à bien ses projets, et qui repousse sans cesse au mois suivant ce qu'il ne saurait faire le lendemain, et moins encore le jour même. C'est l'indolence, la procrastination, la léthargie, le repli effaré sur soi-même. Paisible, pourrait-on croire, lorsque rien ne vient troubler le fil des jours - mais justement, pour un tel homme, un rien devient une montagne, le petit domaine qui assure sa subsistance périclite faute de surveillance, les revenus s'amaigrissent, un déménagement imposé est une catastrophe paralysante, et les faux amis guettent, prompts à profiter de ce paresseux indécrottable qui ne comprend même pas qu'on l'arnaque.
Mais il faut être un esprit bien vulgaire pour ne voir que cela en lui. Car Oblomov, c'est aussi un coeur pur, généreux, qui n'accepte pas les mensonges et les faux-semblants de la société, n'a pas l'énergie de les combattre et préfère s'en retirer. Un esprit lucide, aussi, bien plus lucide qu'on ne le croit, qui a compris toute l'absurdité de l'existence, la vanité de tout ce après quoi courent les hommes, et qui en reste accablé. Douloureusement conscient de son propre enlisement (il n'était pas ainsi autrefois, tous ses rêves ne sont pas morts !), mais incapable de lutter. A moins qu'une volonté extérieure ne vienne raviver la maigre flamme qui subsiste tout au fond, épauler, soutenir, obliger, bousculer.
Ça, c'est le rôle de Stolz - un homme d'action lui, brillant, sensible, volontaire, qui ne supporte pas de voir son vieil ami s'éteindre avant d'avoir seulement vécu. Saura-t-il sauver Oblomov de lui-même ? C'est qu'elle est vite épuisante, cette bousculade, ce qu'elle implique est effrayant ! et aussi dévoué soit-il, l'ami ne peut toujours être là. Alors... l'amour, peut-être, lorsque se profile le doux visage d'Olga, sa vive intelligence en éveil qui ressemble au flot de la vie même ? Ou l'oblomovisme, cette léthargie, est-il une malédiction insurmontable qu'aucune volonté extérieure ne saurait détourner de sa victime ?

Grand classique de la littérature russe, assez percutant pour avoir donné son nom à une pathologie, Oblomov est de ces romans où il ne se passe presque rien, ou pas grand chose, et qui sont pourtant d'une richesse immense. Richesse philosophique, qui confronte superbement la lucidité existentielle aux exigences de la vie pure. Richesse humaine surtout, par l'union de la critique sociale et de l'analyse psychologique, dans un récit où la force des idées n'enlève rien à l'épaisseur sensible, chaleureuse, des personnages, principaux comme secondaires. Richesse littéraire, enfin, de cette peinture vivante, précise, subtile, truculente parfois, d'une vieille société en déliquescence, qui illustre fort bien ce simple principe énoncé par Oblomov lui-même : "Montrez-moi l'homme, aimez-le."
On y trouvera parfois, peut-être, le temps un peu long, au début surtout, mais on y rencontrera des écrivains, des gandins, des filous, des valets plus paresseux que leur maître. On y suivra des rêves fulgurants, avant de se reposer dans la pénombre de vieilles demeures aux cuisines débordant de victuailles. On y trouvera, surtout, mille questions sur la condition humaine, la connaissance de soi, l'amitié, l'amour, sur les rapports du masculin et du féminin, sur la tradition et le progrès, sur l'échec et le succès, à méditer longtemps.
Rien de moins, en effet, qu'un très grand roman, où il est difficile de ne pas retrouver un peu de soi. Voire beaucoup ?
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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