Ambiance jungle à couper le souffle. Pourriture, moiteur. Chapeau
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"Cette lettre risque fort de te troubler plus encore que tu ne l'es. Je ne pense pas vraiment être la personne la plus indiquée pour tirer au clair une situation aussi confuse. Si je t'écris, c'est pour t'apporter mon soutien dans ce moment où tu dois te sentir seule et bouleversée, et non parce que je prétends pouvoir tout t'expliquer. Je fus le lus surpris d'apprendre la façon dont il s'y prenait là-bas. Tel que je l'avais compris, le projet n'avait pas d'autres prétentions que de profiter de la mer, avec un bon petit canot pour pêcher et naviguer, quelques vaches et des poules. Quand il m'avait demandé mon avis sur l'achat de la première propriété, je lui avait dit qu'elle me paraissait bien trop grande, mais qu'il n'était pas obligé d'utiliser tout le domaine ni d'en faire le tour tous les jours. Il ne m'avait pas écouté. Peut-être se rêvait-il en propriétaire terrien? Je ne sais pas. Et je ne comprends toujours pas. Quand il a acquis la deuxième propriété - l'acquisition la plus insensée -, mon avis ne l'intéressait plus. Les derniers temps, tu sais, notre amitié s'était un peu refroidie.
Deux mois à peine étaient passés quand J. dut faire un tour à Medellin.
- Je pars Mardi, hermana, dit-il à Elena. Toi, tu restes aux commandes.
- OK, dit-elle sans hésiter.
J. lui fit quelques recommandations, évoqua avec Gilberto les travaux à faire en son absence et s'en alla.
A Medellin l'attendait un désastre. Avant de partir pour la mer, il avait confié le placement de son argent à un proche parent et espérait vivre de ses intérêts, le temps de trouver comment tirer profit de la propriété. Plusieurs personnes lui avaient recommandé de se méfier. L'homme avait de sales antécédents - ce que J. n'ignorait pas mais qu'il réussit à oublier - et plusieurs procès contre lui pour abus de confiance. Apparemment, c'était un professionnel de l'abus de confiance.
Mais J. n'en tint pas compte. Abusé par le lien de parenté, amadoué peut-être aussi par les intérêts faramineux que l'autre lui promettait, il se contente d'extraire de son capital trois cent mille pesos et lui remit tout le reste. Grave erreur. Quand il arriva à Medellin, ce fut pour constater que cet homme, membre de sa famille, avait fait une opération suspecte. Ou, pour être plus précis, l'avait volé. Il y eut des conversations virulentes, des avocats, un procès, mais au bout du compte, il perdit tout. Après un mois et demi de bagarre, J. dut se faire à l'idée que tout ce qui leur restait à présent pour vivre, c'était la propriété et les trois cent mille pesos à la banque. Par l'intermédiaire de don Carlos, qui partait à ce moment-là pour Uraba, il envoya une lettre à Elena pour l'avertir qu'il devait rester encore une quinzaine de jours, qu'elle ne s'inquiète pas, tout allait bien.
Sur une petite parcelle de terrain, à gauche de la maison et face à la mer, il vit des manguiers. L'un d'eux se distinguait des autres par sa hauteur et son envergure. Il était particulièrement feuillu. Ses branches basses avaient été taillées à hauteur de bétail. "C'est comme ça que je m'imaginais l'arbre du bien et du mal", se dit-il. Une femelle zébu et son petit profitaient de son ombre. "On a dû la mettre ici le temps de la traire... Il vaudrait mieux garder cette parcelle pour les plantations et y faire pousser des orangers ou je ne sais quoi. Ne pas mettre les semis sous les manguiers. Ils seraient écrasés par ceux qui viennent cueillir les fruits. Bon, bref... Autant commencer par l'inventaire de ce qu'il y a ici, les outils et tout le reste."
Au commencement était la mer.
Tout était obscur.
Il n'y avait ni soleil, ni lune,
ni hommes, ni animaux, ni plantes.
La mer recouvrait tout.
La mer était la mère.
La mère n'était ni femme,
ni chose, ni rien.
Elle était l'esprit de ce qui
allait advenir et elle était
pensée et mémoire.
COSMOLOGIE KOGUI