J'ai découvert
Nadine Gordimer il y a longtemps, je crois par un article du
Courrier International sur
Ceux de July, un livre que j'avais trouvé intéressant bien que je ne m'en souvienne guère. C'est plus tard que j'ai vu qu'elle avait reçu le prix Nobel et que je me suis dit que je pourrais bien la relire. Au gré d'une vente d'occasion me voici avec ce livre, et c'est maintenant que j'écris cette note de lecture que je m'aperçois qu'elle est morte il y a seulement quelques mois et qu'il n'y aura donc plus de nouveaux livres de sa plume.
Pour un écrivain qui a combattu l'apartheid, la fin de ce régime a aussi été une remise en cause de ce qui faisait le terreau de son écriture, une perte de sa principale source d'inspiration. Ce livre marque ce moment pour
Nadine Gordimer ; elle y évoque non plus la période de l'apartheid, mais cet entre-deux pendant lequel un nouveau système se met en place tandis que l'autre se défait peu à peu, du moins en surface. Pour aborder ce thème, elle se concentre sur le personnage de Véra Starck, une femme blanche dans la soixantaine, impliquée dans la lutte contre l'apartheid, mais pas jusqu'au point d'y sacrifier sa vie personnelle. Son pays est à un tournant, elle voit certains de ses amis noirs revenir d'exil, ses engagements prennent une autre direction. Et elle aussi est à un tournant de sa vie, faisant un bilan de sa vie de femme, voyant ses enfants construire à leur tour leur vie d'adulte, regardant avec lucidité ce que seront les années à venir pour elle.
J'ai aimé ce portrait de femme, bien que je sois encore bien loin de ces âges, mais peut-être l'apparition de quelques cheveux blancs et l'addition encore récente d'une génération de plus à la famille m'amènent-elles à me projeter plus dans ce futur où le passé est plus long que ce qui s'annonce devant. J'ai certes préféré, et de loin, Best love Rosie de Nuala O'Faolain, que j'ai lu il y a un peu moins d'un an, sur ce thème, mais Vera Starck, si elle m'est moins proche et si elle me paraît plus froide, plus cynique, plus égoïste surtout, m'a intéressée et j'ai aimé la suivre dans ces petits évènements de sa vie amoureuse et maritale, des évènements auxquels elle ne semble pas prendre part, qu'elle semble observer et, on finit par s'en apercevoir, qu'elle laisse arriver, si elle ne les provoque pas, tout à fait consciente de la signification de sa passivité apparente ou de son air de ne pas y toucher. Vera Starck n'est pas de ces personnes que j'aimerais compter parmi mes amis, mais sa capacité à assumer ce qu'elle est et à vivre selon ses envies forcent le respect.
Avec cela, je dois avouer que la transition politique en Afrique du Sud est un peu passée au second plan lors de ma lecture. Et peut-être aussi au second plan de l'écriture. Car « qui trop embrasse mal étreint » dit le proverbe, et il me semble que c'est un peu par là que pèche le livre. Entre réflexion sur l'âge mûr et transition politique, le livre s'éparpille un peu et, même s'il livre des informations et une vision intéressante sur cette période où la réalité de l'exercice du pouvoir commence à brouiller les lignes entre les bons et les méchants, il ne va peut-être pas assez loin dans l'analyse qu'il donne. Peut-être parce que
Nadine Gordimer n'avait pas, en 1994 à la date de parution de ce livre, le recul suffisant pour faire de cette époque si récente une matière romanesque, peut-être parce que la vision qu'elle donne se trouve plus dans le parallèle entre un certain désenchantement d'une femme qui, du fait de son âge, perd ses illusions comme les militants des jours glorieux de la lutte anti-apartheid s'accommodent des réalités de la politique au quotidien.
En définitive, mais si ce livre a quelques défauts, il m'a permis de remettre les pieds sur le continent africain, moi qui lis bien peu de littérature africaine en comparaison de mes excursions sur d'autres continents. Je l'ai lu avec plaisir et intérêt et je sais que je continuerai, même si c'est à petites doses, à découvrir l'oeuvre de cette auteure qui n'a cessé d'entremêler dans ses récits son amour pour son pays et la dénonciation de ses dysfonctionnements.