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EAN : 9782253099406
349 pages
Le Livre de Poche (30/11/-1)
3.9/5   135 notes
Résumé :
Dans un cauchemar, le pire est toujours sûr.
Léviathan est un cauchemar d'amour. Dès l'entrée de ce roman noir, nous laissons toute espérance. L'enfer, ce n'est plus les autres, c'est chacun pour soi. Un homme mal marié regarde et suit une jeune blanchisseuse, Angèle. Angèle, nom ironique, car la belle se prête à tous les jeux. Mais un homme amoureux est un naïf et un aveugle ; il va se conduire en enfant de choeur ; elle se refuse. Il s'exaspère et la frappe... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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De nos jours et bien qu'il possède une profondeur étonnante dans l'analyse, Jullien Green est injustement mis de côté. Dans "Léviathan", qui est pourtant l'une de ses premières oeuvres - et donc l'une des plus glauques - il campe de façon impressionnante un anti-héros, Paul Guéret, qui, dominé par le désir paroxystique de posséder bien à lui la jeune Angèle, sortie de l'orphelinat par Mme Londe et élevée par celle-ci comme sa nièce, en devient violeur et assassin le jour où il s'imagine qu'elle ne veut pas de lui et a une pléthore d'amants.

Léviathan, qui représente l'entrée des Enfers, est aussi l'un de ses princes. Représenté le plus souvent sous la forme d'un serpent de mer monstrueux , il passait au Moyen-Age pour avoir possédé tour à tour Eve et Adam. de nos jours, il est devenu le nom du démon censé gouverner en nous le désir, l'envie, la jalousie. Or, dans ce roman de souffre et de ténèbres, Guéret n'est pas le seul à être torturé par ces sentiments.

Passons sur les petits bourgeois de Lorges, qui envient évidemment tel ou tel de leur voisin. Mais face à Guéret, Mme Londe elle-même, que hante le désir monstrueux et quasi pathologique de tout savoir sur les petits bourgeois qu'elle reçoit chaque jour à sa table d'hôte, apparaît au lecteur comme une sorte de possédée somnambulique. Pour obtenir ce qu'elle désire, elle a contraint sa pupille à sortir le dimanche avec chacun de ses clients. Et quand Angèle ne peut plus lui servir, elle projette froidement d'employer désormais à ses fins la petite Fernande, une adolescente de 13 ans que sa mère a plus ou moins abandonnée aux bons soins de l'excellente et respectable Mme Londe.

Autre femme torturée par le désir, celui de se confondre enfin avec un être qui lui ressemble : Eva Grosgeorge, bourgeoise de 45 ans à la beauté préservée mais à la lucidité sans faille, consciente d'avoir gâché sa vie dans un mauvais mariage et dont la seule distraction est de martyriser le fils qu'elle a eu d'un mari de 15 ans son aîné. Or, cet être, elle croit le rencontrer en Guéret alors même qu'elle le sait violeur et assassin.

Angèle elle-même est la proie d'une soif insatiable mais c'est à elle que revient sans doute la plus pure - que Green assure ne pouvoir s'obtenir que dans la Mort : elle tend simplement à s'échapper de Lorge, à fuir cette petite ville étroite et laide où celle qui aurait dû veiller sur elle l'a pratiquement contrainte à se prostituer.

Au premier abord, tout cela peut sembler assez mélodramatique. Mais plus on avance dans la lecture de "Léviathan" et mieux on se rend compte que son intrigue, en dépit de ses outrances ou à cause d'elles, tient très bien la route. C'est plus noir et plus déchiré que du Mauriac et surtout, c'est plus authentique, plus sincère.

Donc, si vous ne connaissez pas cet auteur, pourquoi ne pas commencer par ce roman ? ... ;o)
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Avant toute chose, dans ce roman, il y a le plaisir de la langue. C'est un brin désuet mais on se régale à la lecture des tournures passives. Julien Green, auteur américain de langue française, a été l'un des derniers auteurs contemporains à utiliser abondamment le passé simple.
L'histoire ensuite : drame passionnel de facture classique mais baignant dans une atmosphère glauque du début à la fin. Un homme, Gueret, à la recherche de l'amour absolu qu'il croit trouver en la personne d'Angèle. On peut se laisser emporter par cette histoire qui m'a laissé un peu de marbre. Par contre les personnages féminins valent le détour, en particulier le combat au sommet entre Mme Grosgeorges, bourgeoise délaissée et hargneuse, et Mme Londe, sorte de mère maquerelle qui tient sous sa coupe un petit groupe d'hommes soumis et pleutres venant souper chaque jour dans son petit restaurant.
Ecrit au début des années 1930, ce livre subversif (On y aborde sans détour la prostitution et la pédophilie) est une attaque en règle du matriarcat possessif et castrateur. Dans cet écrit de jeunesse, l'auteur a tout l'air de régler certains comptes. Ce roman est parfait pour rentrer dans l'oeuvre de J. Green, grand auteur tombé un peu dans l'oubli de nos jours, avant de lire Adrienne Mesurat, pour moi le meilleur livre que j'ai lu de lui.
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Une extraordinaire maîtrise psychologique caractérise Léviathan de Julien Green. Une minutie des profondeurs, une étude approfondie des moindres motifs, ainsi que tous les effets sensibles, d'une remarquable justesse, des impressions troublées qui parcourent l'homme pétri d'étranges symboles quand il songe vraiment à telle situation où il est et qu'il reconnaît dans une spectaculaire dimension d'étrangeté ; il est quelqu'un d'autre qui se sonde, ou bien, plus justement, cet autre qu'il est se ressouvient de celui qu'il était ou qu'une normalité l'enjoint à être. L'emmêlement des temps et des états au sein d'une banalité circonscrite et immuable constitue une sorte de pénible passerelle où se tient celui qui s'observe : il ne sait plus tout à fait quels sont ses ressorts, il se livre à des conjectures sur son devoir mis en relation avec son quotidien, et germent à sa conscience des éléments que l'ordinaire tient celés, des inaccomplis écrasants de frustration, des hontes que le flux normal de la vie impensée garde habituellement sourdes. La réflexion tue impitoyablement le réflexe insouciant, au même titre que l'individu ne renaît que pour humilier inévitablement le consommateur. On ne sort du morne état de coutume que pour la souffrance, sans espoir d'évasion sinon en un provisoire plus redoutable que la fatalité. Il ne faudrait pas penser. Jamais. Et je crois que notre contemporanéité, en fin de compte, n'est pas loin d'y parvenir, c'est-à-dire d'atteindre un point où toutes les cogitations que décrit Green paraîtront sinon inaccessibles, du moins purement romanesques, invraisemblables, pour ne pas dire carrément fabriquées. C'est que la profondeur bientôt ne sera plus même en souvenir, en quoi l'humanité, rien qu'en évoluant du fait d'un rapport à l'extérieur de plus en plus attentionné et frénétique, peut fort bien se métamorphoser jusqu'à ne plus reconnaître ce qu'elle fut : un fantastique vivier de créations et de couleurs.
Guéret, marié, regarde sa vie avec un blasement qui est déjà une façon de mirer tout au fond de l'eau quand on est sur la berge : il se sait dans l'air, il ignore bien par quel moyen il se mouvrait autrement qu'au sec, mais il s'ennuie extrêmement de cette stagnation, des images réfractées lui parviennent confusément depuis l'autre côté de la surface marbrées, et il cultive le regret de ne pouvoir les rejoindre et leurs fantasmagories plus fortes, c'est pourquoi – tout ceci n'est qu'une métaphore, bien sûr – il revient sans cesse les contempler, et abandonne son temps libre à rêver de sensations qu'il se sait indignes de recevoir. Ainsi poursuit-il Angèle – concrètement cette fois – qu'il sait pouvoir retrouver à certaine heure, un bref moment d'éternité louche à la tombée du soir. La mine d'assurance et la beauté franche et cruelle qui s'en dégagent contrastent tant avec le peu qu'il s'estime – les miettes de son mérite – qu'il n'ose l'approcher, que d'emblée il se fait un principe de ne pas l'atteindre ; et puis, comme elle l'a remarqué avec cette insolence propre aux femmes que les expériences ont à peu près rouées et stylées aux hommes, dans ses hésitations il s'oublie à des audaces qu'il déjuge aussitôt, s'empresse et atermoie tout ensemble, il est à la fois lunatique de ces désirs aussitôt regrettés et taciturne de ne pouvoir jamais manquer tout à fait à s'observer et se contenir. La lourdeur de ses impressions continues qui le retiennent de vivre pleinement en le soumettant sans cesse au jugement de son ridicule et de sa vanité le rend lourdaud, bizarre, inconstant, et détruit tout son agrément : il en devient un être brusque qui gaspille ses chances et gâche tout. Ce qu'il éprouve sur l'instant, comme il l'examine déjà en souvenir, son regard n'est plus tourné qu'en lui-même, et il abolit le temps de la jouissance solaire dans celui de l'intimité où il l'abîme en nuit.
Singulier spécimen d'homme que cet être tour à tour plein de passion et de morgue, à la fois superbe et obscur de forces retenues, qu'une ambiguïté insoluble tiraille entre le respect et la profanation, où se déchaînent ensemble en imagination des puretés d'azur indicibles et des tempêtes de fureur noire – fondues en un chagrin dont l'électricité est ce qui transparaît le plus. Comment une telle tension peut-elle se résoudre, notamment lorsqu'une circonstance soudaine l'attise à un paroxysme ? Et comment – thème secondaire qui surprend de prime abord parce qu'il ne se déploie que dans la seconde partie du livre, semblant rompre un temps avec l'unité d'action et induisant une sorte de renversement de l'intérêt et de la conception de l'ouvrage en cours – comment un environnement humain composé pour partie de semblables individualités, également comprimées dans leur amour-propre, s'accommode-t-il ou survit-il de l'explicite surgissement voire de la résolution de la frustration contiguë ? Autrement dit : comment entre-t-on sous les eaux où personne ne va jamais que par exception, et quel effet peut en tirer un témoin lui-même extrêmement avide de baignades glacées ? On devine que ce roman porte sur la contrainte et sur l'étrange, où se mêle l'attrait avec le trouble, non loin de Dostoïevski quoiqu'avec, pour ainsi dire, plus de familiarité européenne. Il faut vouloir de ces introspections où l'on s'enfonce en un sourire de curiosité qui est parent de l'effroi ; il faut avoir plusieurs fois tenté d'interroger sa situation, quand par exemple seul sur un chemin de nature on tâche à trouver l'origine d'une sensation comme s'il ne suffisait plus de la ressentir mystiquement ; il faut avoir cherché les similitudes et les singularités d'un état d'être où, l'espace d'un moment, plus rien n'est donné, écrit, imposé en valeurs absolues, et où toute pensée, vertigineusement, remonte la queue d'un fascinant maelström, réjouissant ou affreux selon ce qu'il incite à faire, pour goûter pleinement la narration de ce roman qui, d'un épanchement strictement exact c'est-à-dire juste et sans affectations, brille d'une rare vraisemblance et d'un pénétrant sens de l'observation. La délicatesse des peintures aussi bien psychologiques, descriptives que narratives, révèle des individus, traduit des caractères et explicite des faits : rien de plus soigné et artiste que ce Guéret qui se dégoûte de son dégoût, que ces singularités d'ombres et de nature évocatrices et propitiatoires quand vient la nuit des rues, d'une rivière ou d'un tas de charbon, que cette recherche active de grimper à la fenêtre d'un premier étage en une insistance émue qui ne se départit pas d'un effort efficace et concret… C'est cette netteté de vision, la figuration pointilleuse de gouffres et de clartés sublimes, qui dénonce la grandeur de l'écrivain, une ambition qui ne se refuse pas des gageures, une obstination à trouver des ressources pour rendre la couleur de l'encore-invisible, au même titre qu'on fait surgir avec insistance des concepts qui n'avaient jusqu'alors aucune existence mentale. Ainsi l'auteur de belle envergure a-t-il sur l'esprit autant que sur le réel une action que réfuteraient tous les amateurs du livre-comme-divertissement qui ne souhaitent y trouver que les images plaisamment floues que leur fugacité – que leur vacuité – convoite avec priorité et frénésie et qu'ils imaginent à déjà sans l'aide de personne ; mais voir au-delà de l'image superficielle et de l'aplat ! s'ouvrir à des perspectives inespérées par les idées-mots au-delà de l'expérience commune ! découvrir comme des faits ce que la pensée peut faire émerger du réel, notamment son vaste territoire sous-jacent de possibilités qu'il faudrait baptiser l'Anti-banal ! On verrait qu'avec cette curiosité, cet émerveillement et cet Éveil, il y aurait notamment, dans ce Green, quelques pages saisissantes à l'usage de tous ceux qui souhaiteraient connaître, mais pour de vrai, ce que c'est que de commettre un crime !
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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L'origine de ma lecture du Léviathan de Julien Green est un conseil, donné en cours par ma professeure de français, je pense en seconde. Un conseil rapide, donné je ne sais plus à quelle occasion, mais il est resté dans ma tête.
Et un jour, alors que je parcours les tables d'un libraire, je tombe sur l'édition poche de Point de ce livre. LA couverture me plaît, le conseil me revient, je l'achète sans réfléchir et le bouquin se retrouve sur une étagère. Passant mes livres en revue, je tombe dessus et je me décide à l'ouvrir.
Et je dis, merci à cette professeure (et un peu aussi au confinement).
Ce livre écrit en 1929, m'a passionné. Je me suis attaché aux deux personnages, Guéret, et Angèle. Guéret est habité d'une passion brûlante qui détermine toutes ses actions. Il en est conscient et cherche parfois à éteindre le feu ; mais comme un drogué, sa passion le reprend sans cesse. Angèle, est exploitée par la patronne d'un restaurant qui la maintient dans un état de dépendance.
Un drame se nouera entre les deux, et pourtant, ils auraient pu arriver au bonheur, mais la difficulté, voire l'impossibilité à exprimer leurs sentiments, et le mode de vie dans une petite ville les conduiront au désastre.
Il y a d'autres personnages intéressants comme la tenancière du restaurant, ou le couple Grosgeorge. Ils joueront un rôle important dans le déroulement de l'action.
L'autre point intéressant dans ce roman est qu'il nous fait partager la vie dans une petite ville de 1929. Il y a encore les becs de gaz, une calèche, un restaurant dont le fonctionnement est inimaginable aujourd'hui.
Par ailleurs, je trouve que Julien Green nous décrit remarquablement les paysages, la brume, le froid hivernal. Il a une écriture très classique, avec laquelle il rend parfaitement l'ambiance de la ville et du moment.
J'ai, du coup, bien envie de lire Mont-Cinère et Adrienne Mesurat donnés pour deux autres grands romans de Julien Green.
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Il y a chez Julien Green, auteur injustement sous-estimé, une poignante description de l'humanité de province vouée à une vie étriquée et souffrant de ses frustrations, de ses vies ratées. Ce beau et sombre roman est l'un de ses plus aboutis, avec Adrienne Mesurat...Un lointain lien de parenté avec Balzac et Flaubert. Vaut mille fois des romans contemporains prétentieux et creux.
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Citations et extraits (115) Voir plus Ajouter une citation
Et, tout d’un coup, la joie entra dans le cœur de Guéret avec plus de tumulte et de zèle que la rivière n’en mettait à se précipiter vers l’océan. Il oublia tout, ses souffrances, ses rancunes, il la voyait pour la première fois, blanche, enveloppée de lumière ; et il frémit à la pensée qu’il aurait pu ne pas venir.
Elle souriait.
— Ne restez pas comme ça sans bouger, dit-elle, en venant à lui. Vous allez attirer l’attention sur nous. Allons sur le quai.
Ensemble, ils se dirigèrent vers l’étroit escalier de pierre qui descendait à la Preste. Lorsqu’ils furent sur le quai, elle jeta les yeux autour d’elle pour s’assurer qu’ils étaient seuls. Il la regarda en silence.
— Que vous êtes drôle ! fit-elle avec un rire qu’elle étouffa. J’aurais cru que ça vous faisait plaisir de me voir.
Le bruit de l’eau couvrait presque ces paroles prononcées à mi-voix. Elle demanda plus haut :
— Vous n’avez rien à me dire ?
Elle se tenait devant Guéret, plus jeune et plus fraîche qu’il n’avait osé l’imaginer dans les méditations impures de sa solitude. Une ou deux fois, elle passa la main sur son front où le vent ramenait obstinément une mèche de cheveux bruns ; il eut envie de rire et de lui saisir la main, mais sa nature soupçonneuse eut tout à coup raison de ce mouvement. Ne se rappelait-il pas l’indifférence, la cruauté de cette fille ? Peut-être n’était-elle là que pour s’amuser de son air sombre, de ses phrases d’amoureux.
— Pourquoi êtes-vous venue ?
Elle considéra un instant sans répondre ce visage que la méfiance et la réflexion durcissaient. L’éclat de la lumière obligeait Guéret à baisser la tête, mais son regard ne quittait pas la jeune fille. Elle fut frappée du changement de ses traits et de l’amertume qu’elle y découvrait.
— En voilà une question ! dit-elle enfin avec un reproche dans la voix. Voulez-vous que je m’en aille ?
Il fut sur le point de répondre : « Oui. » L’inutilité de cette entrevue lui était apparue brusquement, l’inutilité de sa vie entière ; et le désespoir qui l’envahissait lui arracha un soupir. Il leva un peu les bras et les laissa retomber le long de son corps.
— Je vais être malheureux tout à l’heure, quand je vous aurai quittée, dit-il. Et pourtant qu’est-ce que j’aurai à regretter ? Rien, vous ne me donnez rien
— Vous aviez dit un jour qu’il vous suffisait de me voir, répondit-elle avec une vanité naïve.
Il détourna la tête.
— Sans doute suis-je devenu plus exigeant, fit-il sans la regarder.
À peine eut-il dit ces mots qu’ils lui semblèrent ridicules et imprudents, et il redouta qu’elle n’eût compris, mais elle lui saisit la main et lui dit avec une fausse bonne humeur :
— Vous n’êtes pas raisonnable, voyons.
Ce contact le gêna, le répugna presque. Que cette fille lui donnât la main, ainsi, cela lui semblait trop différent de ce qu’il avait imaginé, trop simple. Et puis, cette chair n’avait pas la chaleur qu’il attendait et il en fut en même temps déçu et ravi. Il songea que c’était là, sans doute, le plus qu’il obtiendrait jamais.
— Vous feriez mieux de ne pas me donner la main si cela ne veut rien dire, dit-il malgré lui, d’une voix rauque.
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Quelle atroce ordonnance régissait le monde ! Sûrement il y avait sur cette terre des prés verdoyants, des forêts où l'on pouvait se cacher et se perdre, des femmes jeunes et belles qui l'auraient aimé peut-être, mais une nécessité haineuse isolait les êtres, fermait les portes, s'amusait à pousser dans une rue ceux qui dans la rue voisine eussent trouvé le bonheur, à faire naître les uns des années trop tôt, les autres trop tard. La pensée que le bonheur, son bonheur, était quelque part en ce monde et qu'il n'en savait rien le mettait hors de lui.
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Rien n'est plus délicieux que ces premières journées d'automne où l'air agité de puissants remous semble une mer invisible dont les vagues se brisent dans les arbres, tandis que le soleil, dominant cette fureur et ce tumulte, accorde à la moindre fleur l'ombre qu'elle fera tourner à son pied jusqu'au soir. De ce calme et de cette frénésie résulte une impression où la force se mêle à une douceur que le langage humain ne peut rendre. C'est un repos sans langueur, une excitation que ne suit aucune lassitude ; le sang coule plus joyeux et plus libre, le coeur se passionne pour cette vie qui le fait battre. A ceux qui ne connaissent pas le bonheur, la nature dans ces moments généreux leur en apporte avec les odeurs des bois et les cris d'oiseaux, avec les chants du feuillage et toutes ces choses où palpite l'enfance.
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Comme Guéret refermait derrière lui la porte du restaurant, une pensée lui vint à l'esprit, une pensée familière qui le visitait depuis des années, dans des moments de grand trouble : "C'est le destin, c'est mon destin". Et cette constatation le rassurait, comme tout être faible est rassuré lorsque son sort est mis entre les mains d'une puissance supérieure, même s'il doit en souffrir, même s'il doit perdre la vie. Désormais, il n'aurait plus rien à décider de lui-même ; les événements, bons et mauvais, se produiraient tout seuls. Puisque cette femme insistait pour qu'il revînt chez elle, il reviendrait, et il voyait là un signe, la marque d'une volonté mystérieuse qui présidait à son existence.
Le matin même, en serrant dans sa poche la bague qu'il destinait à Angèle, une joie stupide l'avait saisi tout d'un coup. S'il réussissait après tout ? Jusque là il n'avait pas cru que cela fût possible ; quand il désirait trop vivement quelque chose, en effet, il était sûr de ne jamais l'obtenir ; la vie lui avait appris cela, mais, pendant une brève minute, sans raison, il avait cru au succès, il s'était dit : "Même si elle ne m'aime pas, elle comprendra que je souffre trop." Et les longues heures d'anxiété lui avaient paru n'être plus rien au prix de cet instant où le bonheur semblait se rapprocher de lui.
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Sa voix se perdait sous le lit. Ainsi accroupie et gémissante, elle faisait songer à un gros animal qui souffle tristement sous la porte de sa prison. Derrière elle, le crépuscule d'hiver éclairait faiblement la fenêtre. A présent, elle ne bougeait pas, ne parlait plus ; son regard assombri allait de droite à gauche ; énorme et luisante dans sa gaine de serge lustrée, sa croupe immobile insultait les derniers rayons du jour.
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Vidéo de Julien Green
"[…] les auteurs d'aphorismes, surtout lorsqu'ils sont cyniques, irritent ; on leur reproche leur légèreté, leur désinvolture, leur laconisme ; on les accuse de sacrifier la vérité à l'élégance du style, de cultiver le paradoxe, de ne reculer devant aucune contradiction, de chercher à surprendre plutôt qu'à convaincre, à désillusionner plutôt qu'à édifier. Bref, on tient rigueur à ces moralistes d'être si peu moraux. […] le moraliste est le plus souvent un homme d'action ; il méprise le professeur, ce docte, ce roturier. Mondain, il analyse l'homme tel qu'il l'a connu. […] le concept « homme » l'intéresse moins que les hommes réels avec leurs qualités, leurs vices, leurs arrière-mondes. […] le moraliste joue avec son lecteur ; il le provoque ; il l'incite à rentrer en lui-même, à poursuivre sa réflexion. […]
On peut toutefois se demander […] s'il n'y a pas au fond du cynisme un relent de nostalgie humaniste. Si le cynique n'est pas un idéaliste déçu qui n'en finit pas de tordre le cou à ses illusions. […]" (Roland Jaccard.)
0:14 - Bernard Shaw 0:28 - Julien Green 0:45 - Heinrich von Kleist 1:04 - Georges Henein 1:13 - Ladislav Klima 1:31 - Michel Schneider 1:44 - Hector Berlioz 1:55 - Henry de Montherlant 2:12 - Friedrich Nietzsche 2:23 - Roland Jaccard 2:37 - Alphonse Allais 2:48 - Samuel Johnson 3:02 - Henrik Ibsen 3:17 - Gilbert Keith Chesterton 3:35 - Gustave Flaubert 3:45 - Maurice Maeterlinck 3:57 - Fiodor Dostoïevski 4:08 - Aristippe de Cyrène 4:21 - Générique
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Référence bibliographique : Roland Jaccard, Dictionnaire du parfait cynique, Paris, Hachette, 1982.
Images d'illustration : Marquise de Lambert : https://de.wikipedia.org/wiki/Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles#/media/Datei:Anne-Thérèse_de_Marguenat_de_Courcelles.jpg George Bernard Shaw : https://fr.wikipedia.org/wiki/George_Bernard_Shaw#/media/Fichier:G.B._Shaw_LCCN2014683900.jpg Julien Green : https://www.radiofrance.fr/franceculture/le-siecle-d-enfer-de-l-ecrivain-catholique-et-homosexuel-julien-green-8675982 Heinrich von Kleist : https://fr.wikipedia.org/wiki/Heinrich_von_Kleist#/media/Fichier:Kleist,_Heinrich_von.jpg Georges Henein : https://www.sharjahart.org/sharjah-art-foundation/events/the-egyptian-surrealists-in-global-perspective Ladislav Klima : https://www.smsticket.cz/vstupenky/13720-ladislav-klima-dios Michel Schneider : https://www.lejdd.fr/Culture/Michel-Schneider-raco
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