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Critique de Woland


Publié en 1950, "Moïra", à qui Green accorda à regrets le tréma afin de faire correspondre le prénom à sa prononciation irlandaise, est un sobre récit sur les dangers du sentiment religieux lorsque celui-ci est mal interprété. Autant dire que ce roman, bien qu'il ne parle pas évidemment pas de terrorisme, reste d'une redoutable actualité. C'est en effet un sentiment religieux mal compris, très mal ressenti et plus encore récupéré par des hommes de pouvoir qui rend notre monde si dangereux, cinquante-six ans après la parution du roman de Green.

Le héros de Green, Joseph Day, est un jeune protestant américain qui descend de ses collines natales pour entrer dans une université sudiste. Son but essentiel : apprendre le grec afin d'être plus près du Christ. (!!!) Mais évidemment, outre son cours de grec, il se voit contraint de prendre d'autres activités, dont un cours de littérature anglaise où Shakespeare et Chaucer (non-expurgés) tiennent le haut du pavé. Les réactions du jeune Joseph aux audaces de vocabulaire des deux Elizabéthains sont à la fois comiques et tragiques.

Cet homme qui n'affirme n'avoir d'autre préoccupation que son salut et celui des autres (il est fermement décidé à "sauver" des gens qui ne lui demandent rien) est en effet essentiellement hanté par le sexe et les femmes, chose ma foi ! des plus normales à son âge mais qu'il rejette comme il rejetterait Lucifer en personne venu pour le séduire.

Comme Joe possède lui-même un physique des plus avantageux, il se voit vite en but à une recherche homosexuelle, qu'il ne comprend pas tout d'abord, de la part de certains de ses condisciples. Dans les années 50 (songeons à la thématique homosexuelle de "La Fureur de Vivre" avec le personnage de Sal Mineo, amoureux transi de celui interprété par James Dean), les amours viriles ne sont guère appréciées aux USA. A fortiori dans ce Sud traditionnaliste en diable et qui paraît figé à jamais dans son passé de gloire et d'esclavage.

Mais seules les femmes, toujours les femmes, intéressent Joe. Tout au moins le croit-il et tout comme Paul Guéret dans "Léviathan", il finira par user du viol et du meurtre pour arriver à ses fins.

... Mais est-il bien hétérosexuel ? ...

Roman en demi-teintes, d'un style plus élagué, plus nu même que "Léviathan" et les oeuvres de la première période de Green, "Moïra" est un réquisitoire impitoyable et digne d'un Gide à l'encontre du sentiment religieux qui, lorsqu'il est mal compris et mal appliqué, n'engendre que refoulement, inhibitions et crimes. L'auteur y affirme entre les lignes que l'homosexualité est bien souvent une conséquence de cette horreur des femmes qui régit les sociétés patriarcales et qu'y maintiennent d'une main de fer prêtres et religieux.

S'il y a déviation, celle-ci est donc produite par l'homme et non par Dieu. Au contraire, à l'exemple de Joseph Day qui voudrait traiter tous les pécheurs "comme le Christ au Temple", la religion , revue et corrigée par les puritains de toutes confessions, devient une arme destructrice, trop préoccupée à flageller la chair pour ne pas crier au monde que, justement, c'est cette chair et non l'esprit qui la fascine.

L'un des passages les plus critiques du roman se situe dans les premiers chapitres, lorsque l'un des personnages dit à Joe (je cite de mémoire) que l'amour l'intéresse, comme tout le monde, et que, vu sa jeunesse, il aurait tort de culpabiliser. Or, Joe a cette réplique horrible : "Ce qui m'intéresse, c'est seulement la Religion."

Tout à fait comme si, pour les puritains de son espèce, l'amour n'avait rien à voir avec le sentiment religieux, encore moins avec le sentiment divin ... ;o)
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