D'Abraham le scribe fuyant Jérusalem mise à sac par les Romains à Abraham l'imprimeur mourant dans la destruction du ghetto de Varsovie par les nazis, près de 2000 ans d'histoire d'une famille, celle de l'auteur,
Marek Halter, moderne scribe reconstituant la mémoire des siens. de génération en génération, se transmet un rouleau où sont consignés les naissances, les mariages, les décès mais aussi les événements de vies marquées par un exil toujours recommencé. de Jérusalem à Varsovie en passant par Alexandrie, Cordoue, Narbonne, Strasbourg, Constantinople, Varsovie... la famille Halter incarne les vicissitudes traversées par les Juifs de la diaspora. D'une histoire personnelle et singulière,
Marek Halter retrace une histoire universelle, non seulement celle du peuple juif exilé mais aussi celle des pays où ils ont vécus. Ce qui frappe le plus, c'est que partout où ils s'installent, les Juifs ne sont jamais complètement acceptés ni intégrés. Ils sont même régulièrement persécutés et maltraités, au point d'en développer une forme de fatalisme.
C'est ce qui m'a le plus accrochée dans cette très longue lecture. Plus que les histoires singulières de tous ses Abraham, Salomon, Élie... qui finissent un peu tous par se mélanger, c'est l'histoire d'un peuple constamment exclu, rabaissé, méprisé et pourtant si riche de toute cette culture que les ancêtres de
Marek Halter, scribes puis imprimeurs, ont contribué à préserver et à transmettre. Ces innombrables anonymes sortis de l'oubli par leur lointain descendant incarnent aussi la singularité de ce peuple juif qui, toujours persécuté, ne se défendant presque jamais, chassé d'un bout à l'autre de l'orient à l'occident, subsiste malgré tout. Dans ce récit, l'horreur de la Shoah occupe finalement peu de place et ne semble presque qu'une énième persécution subie par ce peuple. On pourrait croire que cette abomination qui a secoué le XXe siècle aurait pu enfin permettre aux Juifs d'être pleinement acceptés dans les pays où ils vivent mais les souvenirs de
Marek Halter, à la fin de son ouvrage, et la simple écoute de l'actualité montrent qu'il n'en est rien. C'est pourquoi un roman comme celui-ci est nécessaire même si, malheureusement, ce n'est pas ceux qui en auraient le plus besoin qui le liront.
J'ai aimé la lecture de ce roman-témoignage très personnel et intime. J'ai aimé voir l'histoire de l'Occident d'un autre point de vue, celui du peuple juif présent en Afrique du Nord, en Espagne, en France, en Europe de l'Est tout au long de ces siècles et dont l'histoire est pourtant très largement ignorée jusqu'à la Seconde guerre mondiale. C'est un roman très long et, pourtant, je ne m'y suis pas ennuyée, même si je l'ai entrecoupé de quelques autres lectures. Mon seul regret est de ne pas avoir eu plus d'infos sur comment le Livre d'Abraham était connu de
Marek Halter. En possédait-il une des copies imprimées par ses ancêtres ? de même, j'aurais aimé avoir, en regard des histoires reconstituées par l'imagination de l'auteur, les quelques lignes qui concernaient tel ou tel personnage sur le rouleau, pour pouvoir faire la part entre la réalité et la fiction.
En résumé : une lecture singulière pour ceux qui s'intéressent à l'histoire du peuple juif ou qui, simplement, voudrait voir l'histoire de ces dix-neuf derniers siècles avec un pas de côté.