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Jean Petithuguenin (Traducteur)
EAN : 9782246132028
498 pages
Grasset (10/01/1986)
4.13/5   58 notes
Résumé :
Auguste a parcouru le monde. De retour dans son village, il raconte ses aventures mystérieuses. Il envoûte son ami Edevart, naïf au coeur pur, qui rêve de partir. Le drame du village se noue entre les sédentaires heureux de leur sort et ceux que l'inquiétude pousse à la découverte du monde.

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Quelle bonne surprise que ces Vagabonds écrit en 1936 par Knut Hamsun mais qui aurait pu tout aussi bien s'appeler La saga d'Edevart et August les vagabonds.
Une lecture captivante où nous suivons les aventures des deux camarades, amis d'enfance, au gré de leurs déplacements saisonniers afin de subvenir à leurs besoins.
En effet , nous sommes en Norvège, fin 19ème, une période de vaches maigres.
Edevart et Knut évoluent dans une région où pour vivre et survivre il faut s'adapter : paysan, marin pêcheur, colporteur rien n'est jamais définitif.

A travers ce récit le lecteur devient le témoin d'une époque charnière, propice aux changements matériels et à l'appel de nouveaux horizons qui emportent des familles entières vers une nouvelle terre promise, l'Amérique.
Pour ceux qui restent sur le quai dans l'attente de recevoir de prochains échos de leurs migrants, il faut faire preuve de beaucoup d'ingéniosité pour continuer à vivre à Hammarøy dans la province du Nordland, à proximité des Iles Lofoten afin de ne pas crier famine.
« Norem avait aussi des choses à raconter sur les émigrants d'Amérique, les vagabonds. Beaucoup d'entre eux avaient écrit . Parmi les vieux qu'ils avaient laissés au pays, quelques- uns avaient aussi reçu de l'argent. Oui, cela n'avait pas mal tourné en Amérique pour ceux qui étaient partis : ils travaillaient dans les villes ou à la campagne et ne se plaignaient pas. Ils ne voulaient pas rentrer avant de s'être enrichis. Non ! Qu'auraient-ils fait ici ? Ils se rappelaient comme on avait du mal à emprunter une livre de café quand on était dans la gêne. Maintenant ils avaient toujours des dollars d'argent à faire sonner dans leur poche. »
A savoir qu'entre 1850 et 1920, plus de 800 000 Norvégiens ont ainsi émigré en Amérique.

Un tableau de la vie rurale, paysanne, entre terre et mer, au milieu des fjords norvégiens aux reliefs accidentés, dangereux (falaises, marais) .
J'ai particulièrement savouré des scènes magnifiques de pêche et de salage du poisson.
Une toile des valeurs paysannes où le labeur, la solidarité sont mobilisés et nécessaires pour faire face à la précarité , où l'esprit d'initiative est souvent récompensé.
Une galerie de portraits formidables au-delà de nos deux héros, Edevart et August où les femmes ne sont pas en reste.

Un récit très humain où nous partageons la malice, la joie, les malheurs et les amours de nos protagonistes.
Un récit où Hamsun célèbre l'errance, la fuite, le vagabondage qu'il connaît si bien.
Un récit où la nature, sur terre comme sur mer, est omniprésente.

J'ai vraiment été happée par ce titre déniché encore une fois dans une trocante de livre dont la date d'impression mentionne 1961.
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Je m'attendais au récit de vagabonds sur les routes sillonnant l'Europe du début du siècle, frères de coeur de Jack London et Maxime Gorki. Or les routes, ici, sont maritimes, Norvège oblige, et nos héros ne vont jamais très loin. Nous voilà au nord de la Norvège, à l'horizon des îles Lofoten. Dans ces villages de bord de mer, on est loin de la capitale dont on ne parle même pas, et on y vit de la pêche aux harengs et de nos propres élevages bovins. le temps s'écoule rythmé par les saisons, les mariages et les décès.
Les Lofoten, c'est la région de l'enfance de Knut Hamsun, là où il retournera vivre après avoir vécu à Oslo puis aux Etats-Unis. C'est une époque charnière où la région s'enrichit quand tout le reste du pays souffre de pauvreté et voit ses habitants, comme son pays voisin, partir en masse pour le nouveau continent, où les terres sont plus fertiles que ces champs de pierre.

C'est en rencontrant deux saltimbanques roumains écumant les villages du nord qu'Edevart, encore enfant, prend conscience de sa propre envie de sillonner les routes, libre de toute attache, et prêt à rompre les traditions perpétuées dans les familles. Quand il rencontre August, revenu au village après douze ans de vagabondage autour du monde - il aurait laissé des trésors en Inde qu'il lui suffirait d'aller récupérer un jour - tous deux se mettent au commerce pour se faire un peu d'argent. C'est ainsi qu'Edevart prospère petit-à-petit, car ni lui ni surtout August ne manquent d'ingéniosité et de motivation pour y arriver. Mais ils dépensent comme ils gagnent, non sans parfois des excès de générosité et un détachement louable à l'argent.
Auprès de ces deux compères qui ne cessent de se perdre et de se retrouver au cours du roman, apparaissent une multitude de personnages qui gravitent autour d'eux et que leurs idées progressistes influencent. Petit-à-petit, la pêche se fera plus intensive, les besoins des villageois, enrichis grâce à cette pêche, plus pressants. Tout doit être plus grand, plus beau quand Edevart et August, eux ne font que passer, ne s'attachant pas aux graines de modernité qu'ils sèment.
Knut Hamsun dépeint des personnages au profil contrasté, animés d'idées contradictoires qui les rendent psychologiquement très intéressants. Edevart a une obstination certaine dans ce qu'il entreprend mais il se laisse facilement manipuler par amour pour Lovise Magrete, dont les intentions restent ambigües; quant à August, garçon particulièrement ingénieux et jamais à court d'idées pour s'en sortir, est incapable de conserver la moindre fortune qu'il gagne et revient toujours plus miséreux.
J'avais beaucoup aimé La Faim, du même auteur, et je retrouve ici ce que je disais plus haut, c'est-à-dire ces personnalités torturées dont Knut Hamsun ferait partie, lui qui a d'ailleurs été une personnalité culte de la Norvège en tant que prix Nobel avant d'être disgracié vers la fin de sa vie par l'opinion publique pour son soutien à Hitler.
Ca refroidit bien sûr mon admiration pour cet auteur, mais ça ne m'empêchera pas de lire d'autres de ses romans car j'aime beaucoup cette écriture que je trouve fraîche et un peu naïve en quelque sorte, mais d'une naïveté touchante.
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Il me souvient d'un éblouissement devant «Vagabonds», cet excellent film norvégien d'Ola Solum (1989), brillante adaptation du premier volume de la trilogie de Hamsun, "Landstrykere" (1927) dont l'action se déroule principalement dans le pauvre hameau de Polden (Sørdal) entre les années 1860 et 1870.

Le point de départ est un drame amoureux qui se déroule entre Edevard et une jeune femme mariée, Lovise Margrete. Un aventurier, hableur et un peu menteur — "Auguste le Marin" — arrive au port avec le charme du mois d'août, créant à la fois chaos et espoirs...

Il me souvient aussi n'avoir jamais ouvert un livre du célèbre romancier  de « La Faim » avant ce choc esthétique — « lyrique » — que provoqua la vision de ce film (depuis cette date, précieusement gardé sous sa forme de « cassette-VHS-enregistrée-d'ailleurs-presque-par hasard"...) : un long métrage resté invisible depuis sa diffusion unique sur « Arte » — puisque jamais édité en France depuis bientôt 20 années... Bref ! Acteurs attachants, mise-en-scène inspirée, paysages estivaux chatoyants et intrigue tortueuse (à l'image de n'importe quelle existence).

"LandStrykere" (ou "Vagabonds", 1927) est le premier tome d'une trilogie romanesque pleine des mouvements et des musiques "de la vie" : témoin de la grande vitalité du romancier-conteur norvégien, celui qui "avait vécu mille vies" (et exercé mille métiers) avant que de "songer à écrire"...

Affirmons d'ores et déjà qu'il vous faudra absolument lire par la suite les deux composantes suivantes : "Auguste le Marin" ("August Weltumsegler", 1930) puis "Mais la vie continue" ("Men Livet lever", 1933) : une trilogie facilement disponible dans la formidable collection "La Pochothèque".

Le haut style, constamment lyrique et original, de Hamsun qui - pour nous - ne s'est jamais "démodé"...

Le duo Auguste-Edevart nous fait repenser à ces inséparables compères d'errances et de misères que constituaient les deux "tramps" du tout premier des trois romans inachevés de Franz Kafka ("Der Verschollene", de publication posthume en 1927 — donc contemporain de la publication du "Landstrykere" de Hamsun. Une oeuvre qui fut rebaptisée "Amerika" - "L'Amérique" - par son ami Max Brod) : Robinson "l'Irlandais" ivrogne (qui était "l'Auguste" du duo... ) et l'insaisissable Delamarche (le "Mephistopheles" français du jeune ingénu Karl Rossmann et inquiétant "clown blanc" du duo...).

Certes, on devine ici — entre les lignes chantantes des "aventures" d'Auguste et son inséparable ami Edevart - tout le tempérament fantasque de Knud Petersen (1859-1952) alias "Knut Hamsun" [son nom de plume] : mystère de cet homme insaisissable et romancier prolifique qu'incarna récemment au cinéma — avec talent — le célèbre acteur suédois Max von Sydow, jusqu'à sa triste compromission de "grand romancier" avec le nazisme dans la pente déclinante de son existence...

Roman magnifiquement traduit du norvégien en français par Jean Petithuguenin.
Lien : http://www.latribudhotel.can..
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C'est un type de roman "allers-retours": le héros ne cesse de se déplacer entre 2 ou 3 points, toujours les mêmes, un peu comme dans l'Éducation sentimentale. Edevart passe son temps à quitter son village pour Doppen ou le comptoir de Knoff, puis il revient et repart. A la longue, je perdais un peu mes repères temporels.

J'ai trouvé le style original, comme un conte raconté à la veillée avec des interventions personnelles du conteur.

Parmi les thèmes évoqués, c'est la vie d'un village de la côte nord, perdu et pauvre qui m'a le plus intéressé. Et puis, la mentalité de tous ces gens: le créancier ne réclame presque jamais son argent, il attend et fait confiance. On ne se touche pas, on ne pleure pas, on ne demande rien.. Tous ces comportements rappellent bien évidemment ceux de l'Europe du 19ème, mais ici, il y a peut-être encore plus de rigidité et paradoxalement, plus de liberté amoureuse voire sexuelle. Il suffit de se rappeler comment les marins sortent facilement avec les filles pendant le bal donné par SKaaro, ou comment Skaaro se comporte avec la femme du Maire, sans que cela provoque de scandale.

En parlant de comportements, celui de presque toutes les femmes est remarquable: Ane-Maria, Lovise Magrete, la gouvernante Ellingsen, Mattea. Menteuses, hypocrites ou calculatrices et utilisant habilement leurs charmes. On ne trouve pas d'hommes (sauf le Juif) aussi retors dans le récit. On a envie de prévenir Edevart, sans cesse..
Mais tu ne vois donc pas qu'elle va t'avoir ?

Le cadre de l'histoire est d'une grande force: la côte nord de la Norvège, sous des cieux couverts, dans le brouillard. Des paysages froids et déserts. Quand je repense à ce livre, l'image qui me revient aussitôt est celle d'Edevart sur sa ferme de Doppen, vivant de rien avec Lovise Magrete, dans une masure de pierre, basse, sombre, que j'imagine peu chauffée et entourée de landes humides et vertes, avec un vent marin glacial et les vagues sur la grève, plus bas.

A partir de la moitié du récit, j'ai commencé à mieux voir le fil conducteur: le vagabondage n'est pas seulement géographique, mais professionnel, sentimental. Et il concerne les 2 garçons, mais également Lovise et le commis du magasin qui n'arrivent plus à se fixer en Norvège.
J'ai trouvé qu'il y avait une morale qui pointait son nez derrière certains événements secondaires: Knoff est trop ambitieux et va râter son projet d'attirer les bateaux sur son quai, parce-qu'il s'est ruiné en voyant trop grand. Ezra, par contre, le jeune homme qui se marie avec une des soeurs d'Edevart, réussira parce-qu'il fait les choses peu à peu..

August m'a agacé dès le début par ses affabulations et l'influence qu'il exerce sur Edevart. Après coup, je me demande si August n'est pas seulement un artifice littéraire plutôt qu'un personnage réel. Ses réactions auto-destructrices, ses suggestions de construction toujours visionnaires, presque prophétiques, son passé en Inde, en Russie, en Amérique, brumeux et invraisemblable. C'est d'ailleurs ce que suggère Joakim, dans les dernières pages du livre: ne serait-ce pas un envoyé ?

Une autre option serait que August et Edevart seraient les 2 faces d'un même personnage de vagabond, donc 2 personnages aussi abstraits l'un que l'autre.. Juste des concepts. Mais je ne creuserai pas dans ce sens.. Trop fatigant.
En fait, le résumé de l'éditeur met l'accent sur August, mais pour moi c'était surtout le livre de l'initiation d'Edevart.

Enfin, le portrait du colporteur Juif est peut-être un peu caricatural et semble prédire l'adhésion de Hamsun au Nazisme mais je lui trouve beaucoup de points communs avec ceux que fait Albert Londres dans "le juif errant est arrivé".
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Un village presque autarcique en Norvège à la fin du 19e siècle. Se rendre dans la vallée voisine ou débarquer au port d'une autre ville de la côte représentait déjà une expédition en soi. Il suffisait de prendre le bateau et de faire colportage de marchandises d'un bourg à l'autre pour se voir désigné : explorateur. Ramener un morceau d'étoffe à ses proches égayait durablement le coeur. Posséder trois vaches et un cheval constituait la certitude d'une vie confortable.


Parmi les vies paisibles qui se consacraient à la transmission de la flamme vitale d'une génération à l'autre, les vagabonds tenaient le rôle indispensable du marginal vivant d'expédients dans l'errance investie d'âme, semblant vivre plus intensément que les autres mais accusant le coup de l'âge sans famille, sans possessions et les projets se raréfiant. Knut Hamsum décrit le destin du vagabondage à travers les histoires d'Edevart et August à l'époque où le vagabondage s'enchaîne à la fatalité du progrès : le vagabond se sent désormais pressé de s'exiler jusqu'aux États-Unis.


Edevart, vagabond selon l'ancienne loi, ressent le poids de cette nouvelle angoisse. Quoi que ses quêtes l'amenassent à trouver de formidables trésors et à s'enivrer de captivants amours, chacun de ses triomphes paraît obscurci par l'ombre d'un doute nouveau : ces merveilles n'auraient-elles pas plus de valeur si elles étaient américaines ? Les norvégiens de retour des États-Unis l'affirment d'un air entendu : les richesses qui attendent les européens sur le nouveau continent sont inimaginables. La Norvège est un pays arriéré. Pour la première fois peut-être, les villageois se demandent : serions-nous pauvres ?


Les vagabonds ne sont que le premier volume d'une trilogie.
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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
Edevart savait par expérience que son camarade avait l'esprit inventif; il ne riait donc pas de ses idées. Mais il crut prudent de le refréner et dit:
"Je suis un peu inquiet pour toi, August. N'entreprends rien qui risquerait de t'attirer une mauvaise affaire!"
August, dédaigneux:
"N'aie pas peur! Tiens, je vais te dire à quoi je pense. Il s'agit de pilules que les femmes prendraient pour ne pas avoir d'enfant. Je t'en ai déjà parlé, mais tu n'as rien voulu savoir.
- Je n'en veux toujours rien savoir!
- Tant pis pour toi!" dit August.
Et il poursuivit:
"Ca m'étonnerait si je ne réussissais pas. Moi qui parle tant de langues, y compris l'anglais et le russe, je trouverais bien un nom pour ça. J'ai navigué une fois avec un second qui avait un flacon de pilules blanches: elles contenaient du mercure et il les employait, disait-il, pour sa femme quand il était à la maison. Mais il n'osait pas laisser le flacon chez lui: car sa femme aurait pu courir tant qu'elle aurait voulu pendant qu'il n'était pas là et elle n'aurait eu qu'à prendre des pilules. Il m'a montré le flacon. Il y avait sur l'étiquette: "Secale cornutum." Je ne l'ai pas oublié.
- Tu pourrais bien me relayer de temps en temps dans la boutique", dit Edevart.
August n'eu pas l'air d'entendre.
"Imagine- toi combien de pilules de ce genre je pourrais vendre ici à tous les jeunes gars!... et même aux filles, si on y réfléchit!"
Edevart:
"Je voudrais pouvoir m'absenter une fois pour m'acheter à manger.
-Oui...Entendu! Je reviendrai pour te remplacer", dit August en s'éloignant.
Mais il ne revint pas.
Edevart ferma la boutique, le soir, et se promena par les rues. Il s'était acheté des petits pains chez le boulanger et les mangeait en marchant.
La foire était en pleine animation dans la paisible nuit d'été. Elle retentissait de toutes sortes de bruits, de sifflets et de chansons, et du tintamarre des boîtes en fer-blanc. Les gens s'accordaient une heure de détente. Des garçons qui avaient abusé du brandevin se prenaient à partie, se menaçaient de leurs poings vigoureux et invincibles.
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Le lavage du poisson commença par une distribution d'eau-de-vie et de biscuits. August faisait la tournée avec la bouteille et Edevart avec les biscuits. Le lavage était très bien payé car c'était un travail pénible et malpropre; la rémunération était calculée par "grande centaine", de cent vingt. On tirait les morues de la cale et on les transportait à terre avec des canots. Les hommes et un certain nombre de femmes étaient là, avec de l'eau jusqu'aux genoux, et lavaient les poissons. On avait à enlever le sang figé et la peau noire du ventre, pour que la marchandise fût bien blanche. Une fois lavés, les poissons étaient transportés sur les rochers , à l'aide de brancards. August et Edevart dirigeaient l' opération, du pont de la Maase; ils avaient la surveillance de tout, criaient les ordres dans la cale, désignaient les bateaux. Karolus gagnait beaucoup d'argent avec sa barque à huit rames, qui pouvait charger une grande centaine d'un coup. Le capitaine Skaaro était souvent à terre, faisait des tournées sur la falaise, plaisantait avec les femmes qui lavaient les poissons.
Quelques jours plus tard, l'opération était terminée et on procéda à un nettoyage complet de la Maase. Les morues avaient été réparties en petit tas dans les rochers, et on attendait que les dernières traces de neige eussent disparu pour procéder au séchage.
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Quand Ragna eut achevé le ménage dans le carré, l'après-midi, elle appela; et Edevart envoya un gamin la chercher. Elle annonça:
"J'ai fait le ménage dans le carré, lavé l'escalier et les carreaux; j'ai battu les couvertures et fait le lit.
- C'est bien, dit Edevart.
- L'as-tu essayé? ne put s'empêcher de demander Ane-Maria.
- Essayé? Essayé quoi?
- Le lit! L'as-tu essayé?
- Salope!" dit Ragna.
Elles se déchaînèrent l'une contre l'autre. Edevart dut employer la force et exiger la paix. Mais ce fut en vain: elles continuèrent à s'invectiver, sans s'occuper de lui. Les femmes abandonnaient leurs tas de poissons pour faire le cercle. Le travail était arrêté.
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Deux hommes arrivèrent du hameau voisin. Ils avaient le teint foncé, la barbe rare et grise. L'un d'eux portait un orgue de Barbarie sur son dos.
Personne, dans le pays, ce jour-là, ne s'attendait à quelque chose de particulier, mais les deux étrangers survenaient. Ils choisirent un endroit bien en vue, entre les maisons, fixèrent l'orgue sur un pied et se mirent à jouer. Les gens du voisinage se précipitèrent, femmes et enfants, les adolescents, les boiteux ; on fit cercle autour du concert. A cette époque, en hiver, on avait peu de distractions : tous les hommes étaient aux Lofoten ; on ne dansait pas, on ne chantait pas. La commune était pauvre, misérable. Ces deux joueurs d'orgue représentaient un grand événement, une aventure ; et personne ici, sans doute, ne devait, de sa vie, oublier cette aventure.

[Knut HAMSUN, "Vagabonds" ("Land Strykere", Oslo, 1927), traduit du norvégien par Jean Petithuguenin, 1936, pour les éditions Bernard Grasset, Paris : collection "Les cahiers rouges" -- incipit PREMIERE PARTIE - page 7]
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Que faisait-il ici, chez des étrangers ? S’il avait été chez lui, dans son havre de pêche, il aurait pu aller en hiver aux Lofoten et prendre des merlans en été. Il aurait pu faire beaucoup, beaucoup de choses et vivre content. Alors il aurait épousé la petite Ragna et pris la ferme de ses parents ; il y aurait élevé son bétail, cultivé ses champs. Oui, il n’aurait pas eu besoin de rôder un soir d’hiver, comme aujourd’hui, en gémissant de chagrin et d’amour !
Il se sentait abandonné, il avait la nostalgie, il voulait retourner chez lui. Son village était pauvre, mais clair et riant en été : hanté par les nymphes et les génies des eaux ; fertile en légendes l’hiver. Il n’y avait pas un endroit pareil. Et ceci seulement : Ragna avait une si jolie bouche quand elle riait, étant petite et tout le temps qu’elle avait grandi ! Tous les enfants avaient un si joli sourire au village ! Et, s’il voulait penser à quelque chose de plus imposant encore, nulle part dans le monde entier, on ne contemplait d’aussi belles montagnes. Dès le mois de mars, on voyait arriver les étourneaux et, bientôt après, les oies sauvages. O Merveille des vols en soc de charrue et des voix d’oiseaux sous le ciel, devant quoi son père et sa mère lui avaient appris à se découvrir et à se taire ! Oui, il voulait retourner chez lui ! Il voulait faire voile vers le Nord, avec le cotre de Knoff, et retourner des Lofoten chez lui !
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Vidéo de Knut Hamsun
En librairie le 18 août 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454474/mysteres
Dernier tiers du 19e siècle : une paisible ville de la côte norvégienne est le théâtre d'événements mystérieux. Un jeune homme est retrouvé mort dans la forêt, les poignets tranchés par le couteau de la fille du pasteur, en même temps que débarque un étranger, Nagel, « charlatan étrange et singulier ». Crime ou suicide ? La question est sur toutes les lèvres, y compris celle du lecteur. En reconstituant les extravagantes apparitions de Nagel et en relatant ses interactions avec les villageois, le Prix Nobel de littérature Knut Hamsun explore la personnalité d'un héros insolite et insolent.
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