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Critique de Montecristof


A coup sûr il en a fallu du jus de cerveau, à N.Haratischwili, pour venir à bout de cette construction de plus de 1200 pages (dans la version en allemand qu'on m'a offerte) sans pondre un labyrinthe infranchissable ! Peut-être le parfum du chocolat l'a-t-il guidée vers les bonnes options quand elle hésitait sur la direction à prendre, à un carrefour ? Ou est-ce le son de la musique d'un corps de ballet ? Ou le bruit du maillet d'un sculpteur frappant sur un ciseau à bois ?
Quoi qu'il en soit, l'auteure réussit à nous piloter sans (trop) nous ennuyer dans les méandres de sa saga familiale, au travers du siècle qui vit l'avènement et le déclin de la plus célèbre des utopies modernes, ce rêve impitoyable qui mit un tyran à la place d'un tsar... A voir aujourd'hui encore le comportement des héritiers du démon Staline et de son copain Béria, on mesure d'ailleurs la toxicité de la chimère communiste, sûrement plus réelle pour l'auteure que celle du chocolat !...

Elle construit son roman en 7 phases et donne à chacune d'elle le nom d'un membre de la famille Iachi, six femmes et un homme (dont elle fait un proche de Béria) qu'on voit plus particulièrement vivre et surtout souffrir, sans que le reste des protagonistes soit passé sous silence dans chacune des parties, heureusement . L'ensemble est relativement immersif et court sur sur quatre générations et demi ! Un arbre généalogique sommaire permet de s'y retrouver sans trop de problème (ouf !) quand à la fin on a tendance à peiner avec le souvenir de ce qu'on a lu, quelques centaines de pages plus tôt...
La narratrice est Niza, une Géorgienne de Tbilissi née en 73, arrière-arrière-petite fille d'un génial chocolatier et tante de Brilka, née en 93, à qui elle s'adresse. Brilka est la huitième vie et sa phase est à construire, la huitième partie étant une page blanche qui s'ouvre au début de notre siècle et à la fin du pavé.
Livre d'une femme mûre pour une femme en devenir, cette saga observe la folie des hommes sans ménager les femmes. Niza nous plonge dans le quotidien de la terreur totalitaire qui s'avance à l'Est sur presque un tiers du monde et en dévaste le jour-le-jour, patiemment. Les guerres se suivent et se ressemblent, les pays s'annexent et se libèrent, menés par des hommes que les femmes subissent mais aussi pilotent, à l'occasion. Les corps souffrent et parfois jubilent. Ils connaissent la faim, le froid et la mitraille autant que l'abondance et la jouissance. Souvent ils cherchent l'ivresse. Les coeurs s'attirent, se repoussent, se jalousent, se donnent ou se reprennent. Dans les méandres de la grande histoire du monde s'inscrit la petite de la famille Iachi, et Niza raconte pour Brilka.

Dire que l'auteure est prolixe est un euphémisme. Dire qu'elle a le goût du drame, une évidence. Son style en allemand est accessible, pas trop alambiqué disons. Il ne m'a pas rebuté, même s'il m'est arrivé assez souvent d'être agacé par trop d'emphase, trop de détails, trop d'adjectifs accolés à un même substantif, et surtout par un tic d'écriture récurrent (disons un stylistic haha), l'anaphore. Certes, l'anaphore installe une mélopée, la phrase se transforme en mantra et l'hypnose peut emporter le lecteur, ou l'auditeur. Des fois ça marche (demandez à François Hollande !) mais quand on en rencontre une toutes les cinquante pages ou à peu près comme c'est le cas dans la version allemande, on finit par la voir venir et on devient critique...
Par ailleurs, la fin d'une péripétie est toujours ponctuée par une citation en caractère gras : proverbe, extrait de chanson ou citation d'homme politique, que sais-je, c'est le signe du passage à un autre personnage, à une autre action. Encore un truc d'écriture qui confine au remplissage, car on ne voit pas souvent le rapport avec ce qui vient d'être lu ou ce qu'on découvre après.
Sur le plan de la forme le livre n'est pas sans défaut, donc, mais globalement il se tient, et nous tient. Quant à la traduction française, je me suis promis de me la procurer, pour voir si elle peut faire monter l'émotion avec brio, elle aussi.
Car il lui arrive de réussir son coup, quand même, à Nino H, et trois ou quatre fois l'eau m'est montée aux yeux, je l'avoue !

C'est donc un bilan mitigé, même s'il est positif. Pour moi elle a du souffle, Haratischwili, assez pour tenir la distance puisque j'ai eu envie d'aller au bout de son marathon sans sauter une page, sans négliger une phrase moins évidente à comprendre d'emblée. J'ai appris des choses, j'ai voyagé dans le temps et l'espace, je me suis même attaché à quelques-uns des personnages complexes et torturés, et si l'ennui parfois a failli me terrasser, je ne regrette pas d'avoir moi aussi tenu la distance.
Mais sur le plan du fond, j'ai quand-même regretté que la documentation, très largement historique, n'ait pas exploré plus du côté des nuisances de l'homme rouge sur la nature. Pas grand chose sur Tschernobyl notamment...
Seul compte l'humain. Les femmes du roman n'ont trop rien à faire de l'avenir du monde vivant animal et végétal, de leur responsabilité sur ce plan. Pas vraiment plus que leurs "hommologues" testostéronés.
Le monde, les femmes s'y débattent, elles y souffrent comme les hommes et souvent à cause d'eux, elles y sont peut-être moins toxiques qu'eux statistiquement parlant, dans ce roman elles y cultivent d'ailleurs leur jardin plus que leurs hommes. Mais aucune n'a pris conscience de nos nuisances d'humains sur la terre mère, et des conséquences qui nous sauteront aux yeux dans pas si longtemps peut-être. C'est une dimension qui manque à l'auteure peut-être, en tous cas trop aux femmes d'un roman si foisonnant et ambitieux. Trop pour qu'aucune n'emporte mon adhésion passionnée.
C'est ce qui leur manque pour qu'elles soient, comme la femme idéale d'Aragon, l'avenir de l'homme ...

Mais bon, en allemand écrit j'ai sûrement progressé un peu, alors ne serait-ce que pour ça, merci Mme Haratischwili !...
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