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02 novembre 2011
La très belle introduction de Thierry Labica sur le marxisme anglo-saxon contemporain, nécessite que je m'y attarde quelque peu. Au delà de son objet, l'auteur pose certaines questions, et souligne des dimensions, incontournables à l'élaboration de possibles alternatives. Il me semble important d'en extraire quelques paragraphes : «… qu'au moment où les processus de prolétarisation-féminisation de la force de travail s'affirment comme tendance lourde à l'échelle planétaire, il faut s'interroger sur la manière dont l'héritage du mouvement ouvrier participe pour une part, lui aussi, de la mise en invisibilité de tels processus » et Thierry Labica en déduit « Dans tous les cas, il semble que toute critique systémique du capitalisme néolibéral qui ne serait pas en même temps féministe – et inversement – court le risque de rester pris au piège d'une certaine cécité ambiante quant à la réactualisation de la centralité du travail au sein de la »mondialisation ». »

En mettant en garde sur « le fétichisme de la différence » réponse viciée aux réductionnismes ouvriéristes, il élargit aussi le propos aux « altérité radicale et immatérialité » : « Outre la production de personnages avec lesquels s'exorcisent la violence et la terreur inhérentes au système lui-même, ces envahissements guerriers du capital auront engendré divers effets d'optique caractéristiques de notre période, entre naturalité, spiritualité »immatérielle » et mysticisme culturaliste d'un monde post-social d'où semble avoir disparu le temps du changement historique et avec lui, l'idée même d'un futur radicalement différent. » En somme un temps rabattu, réduit, confiné « sur l'axe des altérités territorialisées » ou pour le dire de façon inversée et plus percutante « Aussi, à ne plus nommer le capital et les rapports d'exploitation, il semble que l'on soit condamné à chercher dans la pièce éclairée ce que l'on a perdu dans l'autre pièce obscure où s'active la grande et impassible machine à différencier, à coups de crises, de développement géographique inégal, d'inégalités salariales, de dissémination planétaire de la division du travail, de mise en concurrence des sous-traitants, de discontinuité des régimes fiscaux et juridiques. »

Il convient donc de penser « la nouvelle configuration géographique qu'engendrent les nouvelles conditions de circulation planétaire du capital », de théoriser l'espace, de prendre au sérieux la géographie et de « penser chaque niveau en maintenant les autres dans le champ de vision. » Une invitation à prendre à bras le corps l'oeuvre de David Harvey.

Géographie et capital est composé d'articles et d'extraits de livres. Les sujets sont variés même s'ils touchent tous à l'organisation sociale des territoires et mettent l'accent sur une dimension souvent négligée par les penseurs de l'histoire et de l'émancipation. L'écriture est très fluide et tous les textes sont facilement abordables, l'auteur visiblement travaillant la dimension pédagogique de ses présentations.

Très subjectivement, je mettrais l'accent sur quelques points. Cependant, tous les sujets traités méritent l'attention. En effet, la prise en compte de la territorialité, ou de l'inscription territoriale, élargit la compréhension des phénomènes sociaux. Ceci devrait permettre d'élaborer des solutions émancipatrices universelles, sans pour autant écraser, nier ou contourner les singularités du monde d'aujourd'hui.

Dans une première partie « Théoriser l'espace, émanciper la géographie », David Harvey présente ses conceptions « La géographie que nous faisons doit être une géographie des peuples, loin des pieux universalismes, des idéaux et de bonnes intentions, pour s'inscrire dans le concret de préoccupations et de revendications terrestres, pour s'attaquer aux idéologies et aux préjugés tels qu'ils existent, pour être le reflet fidèle des interactions complexe comme la concurrence, les luttes et les coopérations dans le cadre des paysages sociaux et physiques changeant du 20e siècle. »

Sa compréhension de la critique de l'économie politique (marchandise, valeur, circulation, capital fictif, etc.) lui permet, à la fois, d'insister sur les relations ou les interactions « le caractère relationnel de l'espace-temps plutôt que sur l'espace de façon isolée » et de revendiquer les dimensions théoriques, qui font défaut à de multiples critiques de la mondialisation capitaliste « En abandonnant le terrain explicitement théorique, on renonce à la possibilité d'interventions conscientes et créatives dans la construction des géographies à venir » ou « l'importance politique aujourd'hui d'un projet théorique tourné vers l'unification des sensibilités et des compréhensions géographiques avec la force des théories sociales générales formulées dans le tradition du matérialisme historique. »

Faut-il le préciser, ses analyses ne sont ni économistes, ni réductionnistes « Les espaces construits ont des dimensions matérielles, conceptuelles et vécues. »

Dans une seconde partie « Incarnations paysagères du capital », David Harvey analyse les liens entre la construction/modification des villes et les mobilités croissantes du capital « L'urbanisation du capital ». Il en souligne particulièrement deux dimensions : le déplacement « des marchés, destinés à des clientèles particulières, vers un marché de masse » et les « changements dans les rapports de l'ordre spatial issus des nouveaux systèmes de transports et de communications ». Il détaille la concurrence des grandes mégapoles comme « centre de consommation ostentatoire », centre de décisions et centre de contrôle des flux financiers.

En discutant de la place de la justice sociale, l'auteur revient aussi sur les débats autour de l'universalisme, du droit à la ville et de projet « utopien spatio-temporel ».

Dans une troisième partie « Logiques spatiales de la dépossession » David Harvey insiste particulièrement sur les dimensions théoriques nécessaires pour appréhender la société pour penser et assumer les changements « Il faut au contraire voir dans une théorie une structure argumentaire dynamique, réceptive à la complexité des processus sociaux et de leurs modes d'inscription matérielle dans la toile de la vie. »

Reprenant et élargissant les débats du début du vingtième siècle sur l'impérialisme, l'auteur argumente autour du concept « d'accumulation/dévalorisation par dépossession ». Cela lui permet de mieux expliciter les différentes formes et les nouvelles contradictions liées, aux processus de marchandisation qu'il relie, une nouvelle fois, aux dimensions territoriales « Dans une situation historico-géographique donnée, les contraintes d'espace et de temps sont approximativement connues et une structure spatio-temporelle d'accumulation du capital très spécifique se dégage » et souligne la nécessité de repérer « un processus fait de territoriliasation, de déterritorialisation et de re-territorialisation, constamment à l'oeuvre , à travers la géographie historique du capitalisme. ».

La mise à disposition de ces textes en français devrait permettre d'approfondir bien des analyses et de dégager une compréhension élargie du mode de production capitaliste et donc de vivifier des réflexions autour de l'émancipation « Nous devons dépasser les particularismes pour mettre en relief la tendance sous-jacente ; nous devons élargir l'analyse, pour prendre en compte toute une série très diverses d'enjeux. »
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