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Liselotte Bodo (Traducteur)Jacqueline Chambon (Traducteur)Patrick Charbonneau (Auteur de la postface, du colophon, etc.)
EAN : 9782868698322
352 pages
Actes Sud (24/04/1992)
4.15/5   1367 notes
Résumé :
Voici le roman le plus célèbre et le plus émouvant de Marlen Haushofer, journal de bord d'une femme ordinaire, confrontée à une expérience - limite. Après une catastrophe planétaire, l'héroïne se retrouve seule dans un chalet en pleine forêt autrichienne, séparée du reste du monde par un mur invisible au-delà duquel toute vie semble s'être pétrifiée durant la nuit. Tel un moderne Robinson, elle organise sa survie en compagnie de quelques animaux familiers, prend en ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (276) Voir plus Ajouter une critique
4,15

sur 1367 notes
Coup de coeur absolu !

Comment parler d'un livre qui m'a émue, bouleversée, chamboulée au-delà des mots ?
Il est six heures du matin, le jour commence à se lever, mon chat dort sur le canapé à côté de moi, l'homme que j'aime en fait autant dans la pièce voisine. Je referme un livre exceptionnel ! Rien que de très ordinaire me direz-vous.
Je n'en suis pas si sûre car il y a des lectures tellement sublimes où chaque mot est à sa place, chaque geste, chaque sentiment sublimés par une écriture radieuse que l'on ne peut s'en extraire après la dernière page.
Je vais essayer de vous en parler le plus simplement possible.

Une femme dont on ne saura jamais le nom se retrouve prisonnière derrière un mur invisible à travers lequel elle aperçoit la maison voisine où un homme penché au-dessus d'une fontaine est probablement en train de boire et une femme assise sur un banc.
Elle ne met pas longtemps à comprendre l'impensable, il n'y a plus de vie autour d'elle, ces voisins sont figés dans la mort, pétrifiés en pleine action comme les habitants de Pompéi. de ce que l'on suppose être une catastrophe nucléaire, on ne saura rien.
Alors, de quoi parle ce livre ? de la survie, du partage avec un chat, un chien, une vache, ses seuls compagnons rescapés.
Il faut apprendre à vivre avec ce qu'il y a, quelques provisions rapidement épuisées, faire face aux mille tracas quotidiens.
Il faut apprendre à apprivoiser la solitude, la peur, la souffrance.
Au fil des jours dont elle tient soigneusement le décompte sur un agenda on la suit dans ses journées, dans les soins qu'elle donne à ses animaux, dans ses balades avec Lynx, le chien fidèle qui sans cesse lui redonne espoir par un coup de langue ou un regard plein d'amour qui semble dire : Ne t'en fais pas, je suis là !

"Comme c'était beau ces jours-là d'aller dans les bois avec Lynx. Les petits flocons se posaient sur mon visage, la neige crissait sous mes pas, j'entendais à peine Lynx derrière moi. Je contemplais nos traces dans la neige, mes lourds talons et les fines empreintes du chien. L'homme et le chien réduits à leur plus simple expression."


La nature est omniprésente dans ce récit, les saisons se suivent immuablement et les pages du livre se tournent, vite, trop vite.

Il ne se passe pas grand-chose finalement, pas beaucoup d'action, mais tellement plus. C'est triste, c'est plein d'espoir, c'est sublime.
Voilà j'ai essayé de vous parler d'un livre magistral, un coup de poing littéraire que je ne suis pas prête d'oublier.


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Énorme coup de coeur pour ce livre post-apocalyptique d'une auteure autrichienne qui m'était inconnue, Marlen Haushofer.

Que le terme de post-apocalyptique ne fasse pas peur aux lectrices et lecteurs non féru.e.s de science-fiction : cela n'est qu'un prétexte pour ce très grand livre, un prétexte pour distiller de façon originale son essence principale, à savoir celle de la condition humaine dans son rapport à la nature et aux animaux.
Il n'est point question d'explications scientifiques, de causes écologiques ou extra-terrestres : nous ne savons pas ce qui s'est passé et finalement peu importe. Tout est centré sur les réactions d'une femme dont on ignorera le nom jusqu'à la fin dans un contexte extra-ordinaire qui la plonge dans une lutte pour sa survie en pleine montagne bavaroise.

D'ailleurs que s'est-il passé ? Brutalement isolée du reste du monde par un mur invisible, une frontière immatérielle en réalité très symbolique, une femme se retrouve isolée dans un chalet en pleine montagne, soudain confrontée à elle-même et à une nature peu amicale, avec un enjeu immédiat, celui de la survie. En une nuit, sa vie passée et tout ce à quoi elle tenait lui ont été été volés de façon mystérieuse. Elle comprend peu à peu qu'elle est seule, seule survivante d'un phénomène qui la dépasse, toute vie ayant été pétrifiée au-delà de ce mur. Nous lisons son journal de bord, l'écriture, avec peu à peu la contemplation de la nature, étant la seule activité lui permettant de s'occuper l'esprit, sinon rien, pas de livres, pas de conversations, pas de musique, rien.

Il ne se passe rien dans ce livre sinon. Oui rien. Et tout. La peur, la solitude, le dur labeur pour sa survie, et ses relations complices et profondes avec les animaux, notamment son chien Lynx, ses chats, sa vache, en sont les seuls ingrédients. Et quelle incroyable richesse, que de réflexions profondes, essentielles, derrière cette absence d'aventures ! le livre m'a happée au fur et à mesure que cette femme devenait plus rien…du moins un être aspiré peu à peu par quelque chose de plus grand qu'elle. Elle s'efface, s'oublie, se fond, comme si la forêt avait commencé à allonger en elle ses racines et c'est aussi ce que nous ressentons confusément en avançant dans le livre :

« Dans le silence bruissant de la prairie, sous le ciel immense, il m'était presque impossible de rester un moi unique et séparé, une aveugle petite vie entêtée qui refusait de se fondre dans la grande communauté. Autrefois j'avais tiré toute ma fierté d'être une telle vie, mais sur l'alpage cette vie m'apparaissait misérable et ridicule, un néant bouffi d'orgueil ».

Le rapport au temps est autre, un temps pas cadencé par des milliers de montres, l'apparence physique secondaire, les repas se font au rythme de ce qu'offre la nature, les conditions pour obtenir sa pitance fastidieuses, les relations aux animaux sont plus profondes et instinctives. le mur aura réussi à tuer l'ennui, la vacuité, et à faire du moment présent le seul temps à conjuguer. Malgré ça : « Ce n'est pas que je redoute de devenir un animal, cela ne serait pas si terrible, ce qui est terrible c'est qu'un homme ne peut jamais devenir un animal, il passe à côté de l'animalité pour sombrer dans l'abîme ».

Et peu à peu cependant, à mesure que la terreur de la fin se profile, la beauté pure émerge, la splendeur de la vie à l'état brut, sans souvenir ni conscience, sans désir, comme ce que vivent sans doute les animaux…un monde de terreur et de ravissement.

« Comme il faisait clair plus longtemps que dans la vallée, je passais les belles soirées assise sur un banc, enveloppée dans mon vieux loden, à contempler le ciel qui se teintait de rouge à l'ouest. Plus tard je voyais la lune s'élever et les étoiles s'allumer dans le ciel. Lynx était couché à côté de moi sur le banc. Tigre poursuivait les papillons de nuit, petite ombre grise qui bondissait de touffe en touffe ; puis, fatigué, il s'enroulait sur mes genoux et se mettait à ronronner à l'abri de mon manteau. Je ne pensais à rien, je n'avais plus ni souvenir ni peur ».

« le mur invisible » distille en nous comme un doux poison qui nous permet, avec cette femme, de nous libérer de nous-même. de franchir un certain mur intime, une barrière sociale. Ce livre est un chef d'oeuvre qui n'a pas été sans me rappeler « La constellation du chien » de Peter Heller, avec là encore la présence salvatrice d'un chien, sauf que dans ce livre, il restait quand même quelques humains avec lesquels communiquer. C'est ce rien, cette solitude extrême et irrémédiable, cette robinsonnade sans retour, qui rend ce livre unique, expérience de lecture qui touche en nous lecteurs à la fois ce qu'il y a de plus vivant et de plus terrifiant, un peu à l'image de ces cyclamens :

« À la montagne, quand ils sont déjà en fleur en juillet, on dit que l'hiver sera précoce. Dans le cyclamen, le rouge de l'été et le bleu de l'automne se fondent en mauve et leur parfum semble retenir une dernière fois la douceur passée ; mais si on le respire trop longuement, on y sent une tout autre odeur, celle de la décomposition et de la mort. J'ai toujours cru que le cyclamen était une fleur très singulière et un peu effrayante ».

Le mauve, la couleur de l'apaisement et de la spiritualité. Ce livre, mauve, est en effet très singulier et un peu effrayant…Il m'a fait écho de façon troublante. Je ne suis pas prête de l'oublier tant les questionnements et problématiques soulevés sont multiples et intimes.
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Alors qu'elle séjourne dans un chalet isolé en forêt alpine, la narratrice se retrouve coupée du monde par la brusque apparition d'un mur de verre, au-delà duquel toute vie semble avoir disparu. Tout en explorant la vaste zone giboyeuse de son côté du mur, elle tâche d'organiser sa survie, avec pour seule compagnie quelques animaux domestiques.


Le récit n'apportera jamais d'explication sur ce mur et cette apocalypse soudaine : ils ne sont que les prétextes quasi symboliques d'une robinsonnade et d'une réflexion sur la condition humaine. Brutalement ramenée à ses besoins les plus fondamentaux, contrainte à un rude investissement physique pour assurer une survie assujettie à la nature, au rythme des saisons et à l'exploitation durable et raisonnée de ses ressources environnementales, cette femme va vite découvrir un nouvel ordre du monde, à des lieux de ses anciennes préoccupations désormais bien dérisoires, et où elle va expérimenter une forme de bonheur et d'harmonie inédits pour elle.


S'insurgeant contre l'orgueil de l'homme si sûr de sa prééminence sur terre et de son importance individuelle, Marlen Haushofer évoque notre vulnérabilité et notre finitude, questionnant nos choix et le véritable sens de la vie. Loin des artifices et de la fuite en avant de la société actuelle, débarrassée des perpétuelles insatisfactions égoïstes de ses semblables, notre survivante apprend à vivre pleinement le moment présent, à trouver la paix de l'esprit dans l'amour des créatures qui l'entourent et dans l'humble conscience de faire partie d'un tout.


Intriguée par le début étrange de cette histoire, parfois étreinte d'un sentiment de longueur mais portée par l'écriture fluide et agréable, je referme ce livre troublée par cette désillusion si désespérée qu'elle aboutit à la préférence de la solitude et de l'amour des bêtes, au pénible commerce des hommes. Tout l'esprit du livre me semble contenu dans cette citation :


"Les choses arrivent tout simplement et, comme des millions d'hommes avant moi, je cherche à leur trouver un sens parce que mon orgueil ne veut pas admettre que le sens d'un événement est tout entier dans cet événement. Aucun coléoptère que j'écrase sans y prendre garde ne verra dans cet événement fâcheux pour lui une secrète relation de portée universelle. Il était simplement sous mon pied au moment où je l'ai écrasé : un bien-être dans la lumière, une courte douleur aiguë et puis plus rien. Les humains sont les seuls à être condamnés à courir après un sens qui ne peut exister. Je ne sais pas si j'arriverai un jour à prendre mon parti de cette révélation. Il est difficile de se défaire de cette folie des grandeurs ancrée en nous depuis si longtemps. Je plains les animaux et les hommes parce qu'ils sont jetés dans la vie sans l'avoir voulu. Mais ce sont les hommes qui sont sans doute le plus à plaindre, parce qu'ils possèdent juste assez de raison pour lutter contre le cours naturel des choses. Cela les a rendus méchants, désespérés et bien peu dignes d'être aimés. Et pourtant il leur aurait été possible de vivre autrement. Il n'existe pas de sentiment plus raisonnable que l'amour, qui rend la vie plus supportable à celui qui aime et à celui qui est aimé. Mais il aurait fallu reconnaître que c'était notre seule possibilité, l'unique espoir d'une vie meilleure. Pour l'immense foule des morts, la seule possibilité de l'homme est perdue à jamais. Ma pensée revient sans cesse là-dessus. Je ne peux pas comprendre pourquoi nous avons fait fausse route. Je sais seulement qu'il est trop tard."

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« M'obliger à écrire me semble le seul moyen de ne pas perdre la raison. Je n'ai personne ici qui puisse réfléchir à ma place ou prendre soin de moi. Je suis seule et je dois essayer de survivre aux longs et sombres mois d'hiver. Il est peu probable que ces lignes soient un jour découvertes. »

Rarement récit m'aura à ce point donné l'impression d'obéir à une nécessité intérieure, à une raison impérieuse. Les phrases sont calmes et posées et pourtant il s'en dégage un sentiment d'urgence que je reçois à l'instant où j'entre dans ce livre. Cette femme, sa voix se sont introduites si profondément en moi, bousculant mon intimité, que j'ai dû ménager des pauses dans ma lecture, le temps de me remettre de mes émotions, de reprendre tranquillement possession de mon être et de ma vie. Sa peur de devenir folle, son incommensurable solitude furent miennes durant tout ce temps et, pour être franche, si le texte n'avait été si beau dans sa simplicité, si juste dans sa vision du monde, si, par-dessus tout, je n'avais eu le sentiment de commettre une indignité, un sacrilège en n'écoutant pas jusqu'au bout son récit, je l'aurais lâchement abandonné.

Rarement récit m'aura à ce point donné l'impression d'être une bouteille jetée à la mer : écrit avec l'espoir insensé d'être lu et infiniment peu de chances de l'être.
« Mon coeur bat plus vite quand je me représente que des yeux humains se poseront sur ces lignes et que des mains humaines tourneront ces pages. Il est plus probable que ce seront les souris qui dévoreront cette histoire. »

Car la femme qui a écrit ce récit avec l'espoir déraisonnable qu'il soit lu un jour par des yeux humains est très vraisemblablement l'unique survivante d'une catastrophe aux origines mystérieuses qui a éradiqué toute vie de la surface de la Terre. Seule la vallée située à l'extrémité d'une gorge sous les parois abruptes d'une montagne où elle se retrouve seule, avec pour refuge un chalet en troncs massifs et pour unique ami Lynx, un braque de Bavière au beau pelage roux, a été épargnée, séparée du reste du monde par un mur invisible. Il est donc plus qu'improbable que son récit soit jamais lu, mais au fond, ce geste désespéré et insensé, ce désir fou d'être lu, compris, aimé, n'est-ce pas celui de Marlen Haushofer elle-même, celui d'une femme née en un lieu, l'Autriche, et à une époque, 1920, où le monde était organisé par et pour les hommes?
Difficile de dire dans quelle mesure la narratrice emprunte ses traits à ceux de l'auteure, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle les partage avec nombre de femmes de son temps :
« Encore jeune fille, elle se chargea en toute inconscience d'un lourd fardeau et fonda une famille, après quoi elle ne cessa plus d'être accablée par un nombre écrasant de devoirs et de soucis. Seule une géante aurait pu se libérer et elle était loin d'être une géante, juste une femme surmenée, à l'intelligence moyenne, condamnée à vivre dans un monde hostile aux femmes, un monde qui lui parut toujours étranger et inquiétant. »

Femme surmenée « condamnée à vivre dans un monde hostile aux femmes», il ne lui a jamais été donné de prendre sa vie en main… jusqu'à l'apparition providentielle et terrifiante du mur invisible, ce mur froid et transparent qui à la fois la tient prisonnière et la sauve d'une mort certaine, et qui, paradoxalement, pose les bases de sa liberté :
« Grelottante dans mon lit, j'envisageai toutes les possibilités qui me restaient. Je pouvais me tuer, ou chercher à creuser un passage sous le mur, ce qui n'était sans doute qu'une façon plus pénible d'arriver au même résultat. Et, bien entendu, je pouvais aussi rester ici et essayer de survivre. »

C'est ainsi que mue par une sorte de curiosité — « le mur posait une énigme et j'ai toujours été incapable d'abandonner une énigme dont je n'ai pas trouvé la solution » —, mue par l'amour qu'elle voue à ses bêtes, par le sentiment de responsabilité qu'elle ressent à leur égard, elle organise sa survie et prend enfin sa vie en main, seule.

C'est de cette survie qui s'organise et se précise jour après jour, mois après mois, dont nous sommes témoins. Une vie de dur labeur soumise au découragement, à l'inquiétude et à la peur, mais une vie authentique calée sur le rythme de la nature et des saisons, traversée par des moments de joie pure et marquée par la satisfaction du travail bien fait. Une vie rendue possible par la prodigalité de la nature environnante et par l'omniprésence des bêtes. du chien Lynx, indéfectible compagnon à l'écoute des états d'âme de sa maîtresse prêt à sacrifier sa vie pour elle, à la douce Bella, jeune vache pourvoyeuse de lait et de tendresse, en passant par la vieille chatte à demi sauvage ainsi que par toutes celles qui peuplent la rivière, la montagne et les cieux, les bêtes contribuent à rendre cette vie de solitude et de labeur non seulement possible, mais encore désirable. Ce sont elles et le lien étroit qui les unit à la narratrice qui font, à mes yeux, la force et la grande originalité de ce récit. Je crois n'avoir jamais lu de pages aussi poignantes, aussi justes sur le lien puissant, vital, qui attache l'être humain à l'animal. Loin de tout sentimentalisme, sans céder à la tentation de l'anthropomorphisme, Marlen Haushofer crée sous nos yeux une relation faite de réciprocité, d'amour, d'entraide, de compréhension et de respect qui m'a profondément bouleversée.

« Bella paissait sur le pré de la forêt et tournait parfois la tête vers moi. Lynx courait à portée de voix et Perle était sur le banc, occupée à suivre les yeux mi-clos le vol des bourdons. À l'intérieur du chalet, la vieille chatte dormait sur mon lit. Pour l'instant tout était en ordre et je n'avais pas de souci à me faire. »

Rarement récit m'aura à ce point donné l'impression de s'adresser à moi et à moi seule. Un immense merci à Sandrine (@Hundreddreams) dont le récent et remarquable billet m'a fait découvrir et ce livre, et son auteure.
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Brutalement isolée du reste du monde par une frontière immatérielle, une femme se retrouve soudain confrontée à elle même et à une nature peu amicale, avec un enjeu immédiat, la survie.
Que l'on ne s'y méprenne pas, si le récit s'apparente indéniablement au genre science-fiction post-apocalyptique, il ne doit pas décourager les lecteurs peu friands de cette littérature. On ne sait pas ce qui s'est passé et on s'en fiche. le propos tient plus d'une robinsonade, terrestre et montagnarde, que d'une chronique de fin du monde.

La narratrice, seule dans son chalet de montagne, prend vite conscience d'une nécessité, manger pour vivre. Et l'énergie déployée, lorsque l'on a une idée vague et livresque des joies du travail paysan, procure une épuisement rapide qui met à distance les questions existentielles. Qui ne tarderont cependant pas à s'imposer.
Les alliances nécessaires se nouent : un chien, un chat, une vache que leur statut d'animal de compagnie ou de labeur a rendu dépendants et incapables de se débrouiller dans la nature. Leur rôle est fondamental et complexe : ils sont une garantie de ne pas perdre la faculté de parler, même si c'est à sens unique, ils contribuent à rendre le quotidien plus facile bien que leur existence soit une responsabilité, lourde à porter mais garante d'une volonté de rester en vie.
Cette profonde solitude crée de longs débats internes, qui éludent rapidement la question de ce qui a pu provoquer une telle situation. Ce sont les constats de la vacuité et de la vanité de ce qui faisait la vie d'avant, les enfants le travail, la famille et la gestion du temps, dans l'ignorance totale de ce qui fait l'essence de la vie.
L'ex femme lancée malgré elle dans la trépidation d'une vie urbaine souffre aussi dans son corps, les travaux des champs sont exigeants, la nourriture est peu variée et peu abondante, une simple rage de dents devient un enfer, les,muscles et les articulations sont mis à mal.
Elle abandonne sans regret tous les rituels qui concernent son apparence : les animaux ne le lui reprocheront pas.

Peu à peu, émergent des représentations d'une autre dimension, plus profondes, plus intimes, curieusement surgies d'un nouvel exil vers un alpage pour l'été.

C'est un récit bouleversant, dont les effets se font sentir au cours des nuits qui suivent la lecture, par des rêves suffisamment intenses pour que l'on s'en souvienne au réveil. Bien au delà de l'histoire, les interrogations fondamentales se profilent.

Le récit est habilement construit pour ne pas devenir monotone. Un tout petit bémol : certains tournures de phrases sont un peu étranges : effet de la traduction?

Une adaptation filmée existe, sous le même titre, tout à fait à la hauteur, ce qui est assez rare pour être souligné.



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Citations et extraits (228) Voir plus Ajouter une citation
Quand je me remémore la femme que j’ai été (..)
Je ne voudrais pas la juger trop sévèrement. Il ne lui a jamais été donné de prendre sa vie en main. Encore jeune fille, elle se chargea en toute inconscience d’un lourd fardeau et fonda une famille, après quoi elle ne cessa plus d’être accablée par un nombre écrasant de devoirs et de soucis. Seule une géante aurait pu se libérer et elle était loin d’être une géante, juste une femme surmenée, à l’intelligence moyenne, condamnée à vivre dans un monde hostile aux femmes, un monde qui lui parut toujours étranger et inquiétant. Elle en savait un peu sur pas mal de choses mais sur la plupart elle ne savait rien du tout et, en général, dans son esprit dominait un désordre effrayant. C’était bien assez pour la société dans laquelle elle vivait et qui d’ailleurs était aussi ignorante et accablée qu’elle. Mais je dois dire à sa décharge qu’elle en ressentait toujours un malaise diffus et qu’elle garda la conscience que cela ne pouvait pas être suffisant.
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Mais si le temps n’existe que dans ma tête, et si je suis le dernier être humain, il finira avec moi. Cette pensée me rend joyeuse. Il est peut-être en mon pouvoir de tuer le temps. Le grand filet se déchirera et tombera dans l’oubli avec son triste contenu. On devrait m’en avoir de la reconnaissance, mais personne ne saura après ma mort que c’est moi qui ai assassiné le temps. Dans le fond, ces pensées n’ont pas la moindre signification. Les choses arrivent tout simplement et, comme des millions d’hommes avant moi, je cherche à leur trouver un sens parce que mon orgueil ne veut pas admettre que le sens d’un événement est tout entier dans cet événement. Aucun coléoptère que j’écrase sans y prendre garde ne verra dans cet événement fâcheux pour lui une secrète relation de portée universelle. Il était simplement sous mon pied au moment où je l’ai écrasé : un bien-être dans la lumière, une courte douleur aiguë et puis plus rien. Les humains sont les seuls à être condamnés à courir après un sens qui ne peut exister. Je ne sais pas si j’arriverai un jour à prendre mon parti de cette révélation. Il est difficile de se défaire de cette folie des grandeurs ancrée en nous depuis si longtemps. Je plains les animaux et les hommes parce qu’ils sont jetés dans la vie sans l’avoir voulu. Mais ce sont les hommes qui sont sans doute le plus à plaindre, parce qu’ils possèdent juste assez de raison pour lutter contre le cours naturel des choses. Cela les a rendus méchants, désespérés et bien peu dignes d’être aimés. Et pourtant il leur aurait été possible de vivre autrement. Il n’existe pas de sentiment plus raisonnable que l’amour, qui rend la vie plus supportable à celui qui aime et à celui qui est aimé. Mais il aurait fallu reconnaître que c’était notre seule possibilité, l’unique espoir d’une vie meilleure. Pour l’immense foule des morts, la seule possibilité de l’homme est perdue à jamais. Ma pensée revient sans cesse là-dessus. Je ne peux pas comprendre pourquoi nous avons fait fausse route. Je sais seulement qu’il est trop tard.
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Ici, dans la forêt, je me trouve enfin à la place qui me convient. Je n’en veux plus aux fabricants d’autos, ils ont depuis longtemps perdu tout intérêt. Mais comme ils m’ont torturée avec des choses qui me répugnaient ! je n’avais que cette petite vie et ils ne m’ont pas laissé vivre en paix. Maintenant que les hommes n’existent plus, les conduites de gaz, les centrales électriques et les oléoducs montrent leur vrai visage lamentable. On en avait fait des dieux au lieu de s’en servir comme objets d’usage. Moi aussi je possède un objet de ce genre au milieu de la forêt : la Mercedes noire de Hugo. Quand nous sommes arrivés avec, elle était presque neuve. Aujourd’hui, recouverte d’herbe, elle sert de nids aux souris et aux oiseaux. Quand la clématite fleurit au mois de juin, elle devient très belle et se met à ressembler à un gigantesque bouquet de mariée. Elle est belle aussi en hiver lorsqu’elle est brillante de givre ou se couronne d’une coiffe blanche.
Au printemps et à l’automne, je distingue entre les tiges brunes le jaune passé de ses coussins jonchés de feuilles de hêtre, mêlées à des petits morceaux de caoutchouc mousse et de crin, arraché et déchiqueté par des dents minuscules. La Mercedes d’Hugo est devenue un foyer confortable, chaud et abrité du vent. On devrait placer des voitures dans les forêts, elles font de bons nichoirs. Sur les routes, à travers tout le pays, il doit y en avoir des milliers recouvertes de lierre, d’orties et de buissons. Mais celle-là sont entièrement vide et sans habitants. (P 258)
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Aimer et prendre soin d'un être est une tâche très pénible et beaucoup plus difficile que tuer ou détruire. Élever un enfant représente vingt ans de travail, le tuer ne prend que dix secondes. Même le taureau a mis un an pour devenir grand et fort et quelques coups de hache ont suffi à l'anéantir. Je pense à tout ce temps pendant lequel Bella l'a porté patiemment dans son ventre et l'a nourri ; je pense aux heures difficiles de sa naissance et aux longs mois qu'il a fallu pour que le petit veau se transforme en un puissant taureau. Le soleil a dû briller pour faire pousser l'herbe dont il avait besoin, l'eau a dû jaillir et tomber du ciel pour l'abreuver. Il a fallu l'étriller et le brosser, enlever le fumier pour que sa couche soit sèche. Et tout cela a eu lieu en vain. Je ne peux m'empêcher d'y voir un désordre horrible et excessif. L'homme qui l'a abattu était certainement fou, mais sa folie même l'a trahi. Le désir secret de tuer devait déjà sommeiller en lui auparavant. Je pourrais aller jusqu'à en avoir pitié puisque telle était sa nature. Pourtant j'essaierai toujours de l'éliminer, parce qu'il m'est impossible de supporter qu'un être ainsi constitué puisse continuer à tuer et à détruire. Je ne pense pas qu'il en reste un autre de son espèce dans la forêt, mais je suis devenue aussi méfiante que ma chatte. Mon fusil chargé est toujours suspendu au mur, et je ne fais pas un pas dehors sans mon couteau de chasse aiguisé. J'ai beaucoup réfléchi à toutes ces choses et je suis même parvenue à comprendre les meurtriers. La haine qu'ils ressentent envers tout ce qui peut engendrer une vie nouvelle doit être terrible. Je le comprends mais je dois me défendre contre eux, moi personnellement. Il n'y a plus personne qui puisse me protéger ou travailler à ma place et me permettre ainsi de me livrer à mes spéculations sans être dérangée.
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Les orties continueront à pousser, même si je les arrache cent fois, et elles me survivront. Elles ont tellement plus de temps que moi. Un jour, je ne serai plus là et plus personne ne fauchera le pré, alors le sous-bois gagnera du terrain puis la forêt s'avancera jusqu'au mur en reconquérant le sol que l'homme lui avait volé. Quand mes pensées s'embrouillent, c'est comme si la forêt avait commencé à allonger en moi ses racines pour penser avec mon cerveau ses vieilles et éternelles pensées. Et la forêt ne veut pas que les hommes reviennent.
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Vidéo de Marlen Haushofer
C'est à la fin de l'année 1941 que les Américains, entraînés contre leur gré dans la Seconde Guerre mondiale, découvrent, mi-fascinés mi-inquiets, l'existence d'une science nouvelle dans l'exercice de laquelle les Allemands seraient passés maîtres et qui expliquerait leurs spectaculaires succès : la géopolitique.
Un vif débat s'engage alors : faut-il rejeter la géopolitique au motif qu'elle serait un savoir nazi par principe pernicieux ? Ou au contraire s'en rendre maître pour mieux la retourner contre ses concepteurs ?
Entre Seconde Guerre mondiale et guerre froide se joue ainsi un épisode crucial de l'histoire d'une discipline dont l'américanisation rend possible la normalisation et qui éclaire d'une lumière neuve la genèse des visions et des pratiques américaines du monde au XXe siècle. . . .
0:00 Comment les États-Unis se sont approprié une science venue d'Allemagne nazie 0:39 le tournant mackindérien 6:10 Haushofer à Nuremberg 8:19 Une science qui s'américanise

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