L’expédition, lointaine et hasardeuse, exigeait beaucoup. Elle ne pouvait ni s’inscrire dans une tradition ni bénéficier d’expériences. Il fallait tout laisser derrière soi et se confier au destin. Prendre la croix et faire vœu d’aller délivrer le Saint-Sépulcre, c’était rompre avec une vie ; c’était s’exclure, pour un temps incertain, de son cadre social et de toutes les communautés ; ceci à une époque où les hommes et les femmes ne se sentaient protégés que dans des groupes fortement charpentés et solidaires : lignages et familles, villages et paroisses, confréries et métiers. De pauvres gens sont alors partis à l’aventure, à l’appel de prédicateurs illuminés, plus ou moins marginaux, sans trop savoir vers quels horizons, sur des routes jalonnées de villes dont ils n’avaient pas entendu parler.
La croisade, cela pourrait sembler l’évidence, fut d’abord une entreprise religieuse qui répondait à de grands élans, au désir impérieux de pratiquer différentes formes de dévotions, particulièrement vives en ces années mille. Il s’agissait d’accomplir le pèlerinage au tombeau du Christ, au Saint-Sépulcre de Jérusalem donc, et aux autres lieux saints de Palestine, la Terre sainte par excellence. Aller à Jérusalem c’était réaliser un vœu de prière. Tout au long de cette première entreprise, les croisés sont communément désignés sous le nom de « pèlerins ».
La croisade ne se réduit pas à des explications simplistes, exclusives. Tout ramener à un seul faisceau d’intentions est de mauvaise méthode. Le systématique est signe de paresse ou d’aveuglement car tout est diversité et complexité. A un moment, pas si lointain de nous, pour une école historique qui, de propos délibéré, privilégiait le matériel et la recherche des profits sur toute autre considération, il fut de bon ton de voir là des entreprises lancées à la conquête de terres nouvelles et de nouveaux marchés.
La naissance du capitalisme au Moyen Age, Jacques Heers