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EAN : 9782358730334
528 pages
Le Bruit du Temps (12/10/2011)
2.83/5   3 notes
Résumé :

Premier tome de la traduction intégrale des neuf recueils de poèmes de Zbigniew Herbert (1924-1998) au Bruit du temps, ce volume réunit : Corde de lumière/Struna swiatla (1956), Hermès, le chien et l'étoile/Hermes, pies i gwiazda (1957), Etude de l'objet/Studium przedmiotu (1961), pour leur plus grande part inédits en français.

Que lire après Oeuvres poétiques complètes, tome 1 : Corde de lumièreVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (4) Ajouter une critique
Que peut offrir la poésie dans un monde qui s'écroule ?

Quand on a la langue pour unique royaume, que peut-on gouverner face au tonnerre de l'autoritarisme, à la violence déshumanisée, à la capitulation de la foi, à la disparition du temps des héros et des mythes (grecs, bibliques, historiques, littéraires), au réel privé d'émerveillement ?

en vérité, en vérité je vous le dis
vaste est l'abîme
entre la lumière
et nous

On peut, sans doute, rendre sa pureté et sa transparence à la langue, s'aboucher à la conscience collective, ré-illuminer les objets, jouer les veilleurs au regard blanc et droit comme ceux des statues antiques, et se dépouiller de tout lyrisme pour dire au plus près, au plus clair, les fondements de l'humain dans un monde chaotique…

rends-moi
le cri juvénile
les mains tendues
et ma tête
son immense panache d'éblouissement
rends-moi mon espoir
tête blanche silencieuse



Mieux qu'une critique, quelques extraits :



À Marc-Aurèle

au professeur Henryk Elzenberg

Bonne nuit Marc éteins ta lampe
referme ton livre Déjà au-dessus de toi
résonne l'alarme argentée des étoiles
c'est le ciel qui parle une langue étrangère
c'est un cri barbare de terreur
inconnu de ton latin
c'est la peur séculaire la peur obscure
qui commence à frapper le fragile ordre humain

et vaincra Tu entends ce bruit
c'est le flux des éléments le courant
incontrôlé il Détruira tes lettres
et les quatre murs du monde s'abattront
à quoi bon – frissonner dans le vent
souffler à nouveau sur les cendres brouiller l'éther
se mordre les doigts chercher des mots vains
traîner après soi l'ombre de ceux qui sont tombés

défais-toi donc de ton calme Marc
et tends la main par-delà les ténèbres
qu'elle tremble quand l'univers aveugle
heurte les cinq sens comme une frêle lyre
l'univers l'astronomie nous trahira
le calcul des étoiles et la sagesse de l'herbe
et ta grandeur trop imposante
Marc et mes larmes d'impuissance





La forêt d'Ardenne

Joins les mains pour puiser du rêve
comme on puise eau ou graine
et apparaît une forêt : nuée verte
et un tronc de bouleau comme une corde de lumière
et mille paupières vont battre
une langue feuillue oubliée
tu te remémoreras alors le matin blanc
où tu attendais que les portes s'ouvrent

tu sais l'oiseau entrouvre cette contrée
il dort dans l'arbre et l'arbre dans la terre
source ici de nouvelles questions
sous les pas les courants des mauvaises racines
vois le dessin de l'écorce où
s'imprime une corde de musique
le luthiste tournant les chevilles
afin que résonne ce qui se tait

écarte les feuilles : des fraises des bois
la rosée d'une feuille l'arête d'une herbe
plus loin l'aile d'une libellule jaune
une fourmi enterre sa soeur
plus haut au-dessus de la belladone traîtresse
mûrit doucement un poirier sauvage
sans attendre de meilleure récompense
assieds-toi sous l'arbre

joins les mains pour puiser de la mémoire
des morts les prénoms la graine flétrie
une autre forêt : nuée calcinée
le font marqué d'une lumière noire
et mille paupières serrées
fort sur des globes immobiles
l'arbre et l'air brisés
la foi trahie des abris vides

et cette forêt-là est pour nous pour vous
les morts réclament aussi des fables
une poignée d'herbes l'eau des souvenirs
alors sur les aiguilles de pin sur les murmures
et des odeurs les fils fragiles
peu importe que la branche t'arrête
que l'ombre te mène par des chemins sinueux
car tu retrouveras et tu entrouvriras
notre forêt d'Ardenne





Deux gouttes

Les forêts flambaient —
mais eux
se nouaient les bras autour du cou
comme bouquets de roses

les gens couraient aux abris —
il disait que dans les cheveux de sa femme
on pouvait se cacher

blottis sous une couverture
ils murmuraient des mots impudiques
litanie des amoureux

Quand cela tourna très mal
ils se jetèrent dans les yeux de l'autre
et les fermèrent fort

si fort qu'ils ne sentirent pas le feu
qui gagnait les cils

hardis jusqu'à la fin
fidèles jusqu'à la fin
pareils jusqu'à la fin
comme deux gouttes
arrêtées au bord du visage





Parabole

Le poète imite les voix des oiseaux
il étire son long cou
et sa pomme d'Adam saillante
est comme un doigt maladroit sur l'aile de la mélodie

en chantant il croit vraiment
hâter le lever du soleil
la chaleur de son chant en dépend
et la pureté de ses aigus

le poète imite le sommeil des pierres
la tête dans les épaules
il est comme un fragment de sculpture
à la respiration rare et pénible

en dormant il croit que lui seul
percera le secret de l'existence
et que sans l'aide des théologiens
il happera l'éternité de sa bouche assoiffée

que serait le monde
s'il n'était plein
de l'incessant va-et-vient du poète
parmi les pierres et les oiseaux



La langue

Sans faire attention, j'ai franchi la frontière de ses dents et j'ai avalé sa langue mouvante. Elle vit maintenant en moi comme un petit poisson japonais. Elle se frotte contre mon coeur et mon diaphragme, comme contre les parois d'un aquarium. Elle fait monter de la poussière du fond.
Celle, que j'ai privée de sa voix, me fixe avec de grands yeux et attend la parole.

Mais moi, je ne sais pas en quelle langue m'adresser à elle, celle que j'ai volée ou celle qui fond dans la bouche du trop-plein de la lourde bonté.



Pages de mythologie

Au début il y eut le dieu de la nuit et de l'orage, idole noire et sans yeux, devant laquelle ils bondissaient nus et barbouillés de sang. Puis au temps de la république, il y eut de nombreux dieux avec femmes et enfants, des lits dont les ressorts grinçaient et la foudre qui explosait sans faire de dégât. À la fin seuls des neurasthéniques superstitieux portaient dans leur poche une petite statuette de sel, représentant le dieu de l'ironie. À l'époque il n'y avait pas de dieu qui lui fût supérieur.

C'est alors que les barbares sont arrivés. Eux aussi appréciaient beaucoup le petit dieu de l'ironie. Ils l'écrasaient sous leur talon et en saupoudraient les plats.
Lien : http://www.delitteris.com/no..
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Ce livre volumineux (528 pages) n'est que le premier de trois tomes de poésie (les autres ont 480 et 400 pages). Impossible donc résumer. L'édition est bilingue polonais-français. L'auteur est né en 1924 à Lvov, ville polonaise annexée par l'URSS après le pacte d'amitié de 1939 entre Hitler et Staline. La ville s'appelle aujourd'hui Lviv, et est située en Ukraine. Zbigniev Herbert a été pressenti plusieurs fois pour le Prix Nobel, mais est mort en 1998. À l'occasion des 30 ans de sa mort, Babounette et moi sommes allés hier soir à une conférence sur Zbigniev, suivie d'une belle réception, à l'ambassade de Pologne à Bruxelles. Ses poèmes s'inspirent souvent de l'Antiquité et d'un profond amour de sa patrie, mais pas de sa patrie occupée par l'URSS qu'il sut critiquer habilement dans des allégories. Comme écrivain connu, Zbigniev eut le rare privilège de pouvoir voyager. Il vint plusieurs fois à Bruxelles où un prix aurait dû lui être remis, mais en présence de l'ambassadeur de la Pologne communiste de l'époque, ce qu'il a refusé. Finalement, le prix lui a été remis à Paris. La littérature des pays de langue minoritaire est eu connue hors de leur pays. Grâce à cette édition bilingue, les amateurs de poésie seront comblés.
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Le moins que l'on puisse dire est que cette première découverte de l'oeuvre de Zbiegniew Herbert n'aura pas été une révélation. S'il est difficile d'émettre objectivement un avis négatif sur ces poèmes, je n'ai pourtant pas été très réceptive à l'ensemble trop dense et massif à mon goût.
Je me donne rendez-vous à moi-même pour une nouvelle tentative dans quelques années, en espérant que j'aurai à ce moment là l'esprit plus disponible.
Lien : https://synchroniciteetseren..
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critiques presse (1)
LeMonde
21 octobre 2011
Le langage aussi s'y ressource et s'y retrempe. De là sans doute cette écriture claire, comme lavée de tout soupçon de mensonge, dont les frémissements délicats trahissent une musculature puissante, et qui va droit à la lumière, avec un instinct sûr, pour réconcilier l'homme et sa terre.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
La rose noire

elle apparaît
noire
aux yeux aveuglés
par la chaux

elle effleure l’air
et se fige
diamant
rose noire
dans le chaos des planètes

jouant
du pipeau de l’imagination
fais sortir
les couleurs
de la rose
noire
comme un souvenir
de la ville calcinée

le violet – pour le poison et la cathédrale
le rouge – pour le bifteck et le roi
l’azur – pour l’horloge
le jaune – pour l’os et l’océan
le vert – pour la jeune fille changée en arbre
le blanc – pour le blanc

ô rose noire
dans la rose noire
que caches-tu
parmi les moucherons morts des électrons
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Les élus des étoiles

Ce n'est pas un ange
c'est un poète

il n'a pas d'ailes
seulement la paume droite
emplumée

il bat l'air de cette paume
s'envole à trois pouces
et retombe de suite

quand il est tout en bas
il donne un coup de pied
reste suspendu en l'air un instant
agitant sa paume emplumée

ah s'il arrivait à s'arracher à l'attraction de la glaise
il pourrait habiter le nid des étoiles
il pourrait sauter de rayon en rayon
il pourrait -

mais les étoiles
à la seule pensée
d'être sa terre
tombent effrayées

le poète se couvre les yeux
d'une paume emplumée
il ne rêve plus de vol
mais d'une chute
qui dessine comme l'éclair
le profil de l'éternité
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Les objets

Les objets inanimés sont toujours comme il faut, et on ne peut malheureusement rien leur reprocher. Je n'ai jamais réussi à voir une chaise se balancer d'un pied sur l'autre, ni un lit se bercer. Aussi les tables, même quand elles sont fatiguées, n'osent pas plier. Je crois que les objets font cela pour nous éduquer, afin de nous reprocher notre inconstance.
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La forêt

Le chemin court pieds nus jusqu'à la forêt. Dans la forêt il y a beaucoup d'arbres, un coucou, Jeannot et Margot et d'autres petits animaux. Il n'y a que les petits nains qui manquent parce qu'ils sont sortis. Quand le soir tombe, la chouette ferme la forêt avec une grosse clé, car si le chat venait à y entrer, il en ferait des dégâts.
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