Je me suis dit qu'avant de parler du livre en lui-même qui s'intéresse à la célèbre "Affaire de Damas", il serait peut être bon de rappeler l'affaire. Je vais pas ramener ma fraise, hein, parce que l'Affaire de Damas, moi, j'en trave que pouic, je me suis juste mis à jour avant la lecture du roman histoire de connaître un peu le contexte. Parce qu'un des effets collatéraux de la littérature c'est aussi, par capillarité, de se prendre d intérêt pour des tas de trucs à la base éloignés de vous, ou je me trompe?
Bref, l'affaire de Damas, oui.
En 1840, à Damas, un moine catholique français et son domestique disparaissent. Suites à des dénonciations émanant d un barbier juif, le grand rabbin mais aussi plusieurs notables juifs eux-aussi seront arrêtés et accusés du meurtre rituel du moine. Celui-ci aurait été assassiné afin de récupérer son sang pour la confection du pain azyme de la Pâques juive. Pour la communauté chrétienne et orthodoxe bien implantée et la population musulmane, la culpabilité des emprisonnés ne fait aucun doute. L'enquête partiale supervisée par les français (et à l origine d une véritable campagne anti-juive, dont l'apogée permettra l'affaire Dreyfus des années plus tard) mènera toutes les communautés à la limite du point de rupture, mais l'intervention des gouvernements occidentaux (hormis la France) aboutira à la libération des emprisonnés.
Il est très instructif de constater que ce mythe du meurtre rituel fait long feu encore aujourd'hui dans les pays arabes, alors même qu'il est une légende occidentale datant du Moyen-Age, importée et réinjectée dans l imaginaire moyen-oriental lors des périodes de colonisations et protectorats.
Comment notre auteur decide-t-il d'insuffler de la fiction dans cette histoire sombre où juifs, musulmans et chrétiens sont chauffés à blanc dans le chaudron de Damas? Cette version romancée place au centre un personnage périphérique de l'affaire, Aslan Fahri, fils de l'un des futurs accusés, que l'auteur imagine homosexuel. Pourquoi, me diras-tu? J'ai des scrupules à eventer l'intrigue, alors, après tout t'es un babéliote, lis-moi ce bouquin, tu verras, tout tient, et l'homosexualité du personnage est plus qu'un prétexte.
Complexe, cet Aslan. Victime de discriminations croisées tel qu on le définirait nos jours (juif, homosexuel), tiraillé entre respect des traditions et désirs trop intenses, bassesses et hautes aspirations, souvent veule et lâche, parfois animé d'un feu de révolte et de rêves d'un bonheur de midinette. Une estime de lui-même proche de zéro ce jeune homme, bien aidé en ça par un climat externe mais aussi familial peu ouvert à ce qu'il refrène en lui à grand peine.
Haine de soi, haines au sein d'une meme communauté mais aussi haines entre differentes communautés, fausses accusations, persécutions, trahison des siens... que de thèmes joyeux pour un mois de juillet! Et pourtant, tout cela est passionnant.
Au-delà de la trajectoire personnelle édifiante et désastreuse, au-delà du substrat réaliste de l'histoire collective véridique, surnage en cerise sur le gâteau un style à la désuétude revigorante même si cela sonne tel un paradoxe. L'écriture est menée par un beau souci, celui de rendre l'hebreu (langue originelle du livre) proche de l'arabe et de charrier avec lui une époque et un lieu, dans sa crudité mais aussi sa fluidité, dans une ornementation poétique et un lyrisme hédoniste. L'auteur a tenu lui-même à ce que les traducteurs de chaque pays insufflent cette notion. le résultat est impeccable, avec un petit goût orientaliste XIXème.
Ce livre marque d'une pierre noire la fin d'une époque, une utopie peuplée de communautés disparates, ayant fait société tant bien que mal pendant 2000 ans.
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