Hocquenghem explique la hiérarchie, la politique et la verticalité de l'ordre capitaliste par l'oppression du désir dans la catégorisation des sexualités : le phallus est le centre de toute les attentions du monde social, l'outil de privatisation et d'appropriation puisque sa stature (oh !) met dans l'ombre son opposé, la vacuité, ou, chez l'être masculin, l'anus. L'anus est donc privatisé, il devient le fondement de l'individu, ce qui se cache et que l'on garde pour soi – et donc ce qui se donne, que l'on prend, que l'on domine -, tandis que le phallus s'érige (encore !) comme l'instrument que l'on brandit publiquement comme le sceptre du pouvoir. Plus que la femme, l'homosexuel est alors l'objet et l'emblème de la société capitaliste puisqu'il faut mettre en évidence son refus décrété d'affirmation de l'usage public de son phallus. Au contraire, il n'a rien compris, c'est de son anus qu'il prétendrait faire un usage public. Tout est inversé ; l'ordre social en premier.
Pour le maintenir, la société capitaliste invente donc au moment de son développement historique, à la fin du XIXème siècle, la catégorie de l'homosexuel, comme une antithèse de la voie royale à préconiser pour son bon fonctionnement : la publicité du phallus et la privatisation de l'anus. La catégorie de l'homosexualité n'est donc créée que pour servir de faire-valoir, de piédestal à la société dominatrice et concurrentielle dont la classe régnante, parce qu'elle s'est prétendument accaparé l'usage public du phallus, est dite hétérosexuelle.
L'homosexualité doit donc rester cachée, marginale, pour que l'on croie à son complot, à l'existence d'une menace à contenir, à la nécessaire rigidification (mais arrêtez, enfin !) de l'ordre public, à la pérennisation de la société brutale.
L'homosexualité prend le rôle d'une menace perpétuelle et d'une paranoïa dans le système des valeurs sociétales comme un élément indispensable de sa propre structuration. C'est donc à tort que l'on reproche à l'homosexuel d'être honteux, paranoïaque et pusillanime : il ne l'est qu'autant que la société a décrété qu'il le serait.
Comme on agite le crucifix devant l'Antéchrist pour affirmer la domination du Seigneur, on brandit donc l'hétérosexualité devant l'homosexuel pour asseoir la domination du phallus. C'est donc le fonctionnement dominateur de la société capitaliste qui trouve à se prolonger dans la caractérisation d'un groupe dont on reconnaît l'existence sans la légitimer, puisqu'on la fuit, comme on sait qu'existe le malin et les forces du mal, pour mieux affirmer la voie de la rédemption.
L'homosexuel, caractérisé comme rebut nécessaire de la société (comme, pourrait-on dire aujourd'hui, le déchet qui, par le recyclage, légitime la société de consommation dont l'écologie fait le story telling) est donc (comme le déchet valorise par contraste l'objet prêt à l'emploi) forcément criminel, malade et coupable – on a besoin qu'il en soit ainsi. Puisqu'elle a besoin de lui, elle ne doit plus l'éliminer : la modernité a donc remplacé le bûcher de l'enfer par la culpabilité de la psychanalyse, plus pratique pour prolonger l'existence d'un groupe dont l'existence n'est affirmée qu'aussi fortement que lui est retirée toute visibilité sociale.
La psychanalyse, complice du capitalisme, explique donc que l'homosexuel n'a pas dépassé le stade anal : il n'a pas privatisé son anus pour le cacher derrière son phallus. C'est qu'il refuse la segmentation humaine en dominants et dominés. le capitalisme ne pourrait bien fonctionner.
Quant au communisme, il ne fait pas mieux parce qu'il n'est pas moins répressif : structurer la société au nom des capitalistes ou au nom des prolétaires, refuser l'irruption du privé dans la sphère publique, réprime toujours et dans les deux cas le désir (privé) et structure donc, la domination. Ce qui manque au communisme, c'est, comme au capitalisme, le désir.
On comprend en conclusion que l'abandon de l'inégalitarisme, de la société dominatrice et répressive, qu'elle soit capitaliste ou communiste, passe par la destitution publique du phallus et l'élection (avec un « l », cette fois) de l'anus à sa place : vive l'égalitarisme, l'homosexualité révolutionnaire et son instrument, le front homosexuel d'action révolutionnaire !
Bon, j'ai fait vite pour les dernières pages, assez confuses puisqu'il s'agit de prétendre que la société du désir est à ce point orienté
e vers la satisfaction du désir et le rejet de la culpabilité qu'elle devient inconsciente à elle-même, et tout autant les individus « désirants » à eux-mêmes : autant on comprend l'idée de perforation, si l'on peut dire, par la promotion du désir, d'une société figée qui opprime le désir dans le but de proroger l'ordre social qui lui convient – et de l'intérêt de promouvoir pour cela un « hétéroclisme » voire un « indéterminisme » de l'objet du désir qui peut bien s'exprimer comme il veut, au-delà des catégories que le pouvoir dominant, au travers du langage a prévu pour lui (les homos désirent ça et pas autre chose, les hétéro désirent ça et pas autre chose), - autant on peine à saisir ce que serait une société faites d'individus qui n'essaieraient pas de comprendre leur propre désir – quitte à devoir en surmonter la culpabilité : est-ce que le désir n'est pas coupable et que serait un désir non coupable, de l'anus ou du sexe jusqu'au carré de chocolat ou à reprendre deux fois du dessert ?...
De fait, c'est pourtant bien ce que préconise Hockenghem : le militantisme n'est pas homosexuel et le FAHR n'a pas pour objet d'imposer la société homosexuelle à la place de l'hétéro ni même de promouvoir les droits des homos : il prend seulement la voie de l'homosexualité pour exprimer le besoin d'une société désirante en général parce que le désir est le moyen de briser l'ordre, la structure, la politique en général, honnie parce que culpabilisante.
Donc pour Hockenghem, une fois que le désir est généralisé (dans la société qu'il nomme avec humour, annulaire, et même « anulaire » (anale quoi, où l'ambiguïté ne favorise pas l'élimination de la suspicion qu'il prêche tout de même pour sa paroisse)), il se suffit à lui-même, on n'est même plus dans l'anarchie, qui a encore besoin de l'ordre pour exister, on est dans le désir permanent et éternellement-là, qui, par refus de la hiérarchie et de la culpabilité, refuse même le jugement, donc la dénomination !
Le désir homosexuel est donc une voie de promotion du désir en général, antithèse et broyeur de la civilisation, détestable en ce qu'elle catégorise et culpabilise… on en vient donc à promouvoir une société sans langue, sans passé, sans avenir, bref… sans identité. Une société inconsciente à elle-même où le désir finalement… domine ! Bref à force de toujours vouloir anéantir la domination, on en vient toujours à la fin à en instituer une nouvelle. Et en l'occurrence, cette promotion d'une fin de la civilisation par ce qu'elle ne pourra plus nommer elle-même le désir tant elle sera inconsciente à elle-même mène à des extensions dérangeantes où le « désir » « déjà-là », qui n'est donc même plus réservé à qui en a conscience, à qui sait le nommer, n'est plus l'apanage des adultes… je m'arrête là et réfère simplement aux pages 166-167 auxquelles il me semble difficile d'accorder du crédit… hum hum : pense-t-on vraiment que supprimer le mot « culpabilité » va priver du ressenti coupant de sa lame ?... et que le désir qui nourrit la civilisation saurait se passer d'elle sans que l'on verse dans son contraire, la barbarie ?
Restons-en donc plus modérément à apprécier l'originalité et la pénétration (oh ça va !) d'une pensée qui a su, en son temps, prendre suffisamment de distance pour théoriser son positionnement en même temps qu'elle était en train de le prendre et dont l'innovation percutante ne peut qu'avoir joué un rôle dans la libération sexuelle de la fin du XXème siècle et la promotion de ce qui deviendra la théorie des genres... c'est mieux :-) si si
(du coup j'enl
ève quand même une étoile...)