Bretagne contemporaine. Les enfants des villages proches de Brocéliande, la forêt des légendes Arthuriennes où Viviane aurait emprisonné Merlin il y a de cela plus de 2000 ans, peuvent voir les esprits des morts se déplacer sur le chemin qui traverse les bois ; ils ont pour coutume de danser à travers ces formes fantomatiques et en acquièrent des dons temporaires. Martin fait partie de ces enfants. Mais, un jour, après avoir dansé parmi les voyageurs, son jeune frère va être retrouvé mort, apparemment victime du loup.
Adulte, Martin et sa soeur Rebecca s'expatrient l'un à Amsterdam, l'autre en Australie ; la mort de leur mère va les ramener à Brocéliande, où l'on constate que la forêt montre des signes de changements…
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Déroutant. Voilà le mot qui me vient au terme de cette lecture du Bois de Merlin.
Non pas que le roman soit mauvais, mais je ne le conseillerai pas non plus.
Je m'explique, je décris.
Le monde : du bien et du moins bien
Le roman se déroule dans ce qui semble être notre monde, à époque contemporaine, mais qui serait doté d'une certaine part de fantastique assez mal introduite et, du coup, très peu crédible dans ses débuts. Dans la première partie, par exemple, la narration s'appesantit sur "le chant", sorte de pouvoir ancestral mal défini et peu explicité, qui guide certains humains et leur accorde de capacités particulières. Il guérit, il ressuscite, il relie les hommes, il les guide, il nous perd. Rebecca connaît (?) maîtrise (?) véhicule (?) suit (?) le chant (je n'ai pas bien compris), et c'est ce chant qui l'aurait emmenée jusqu'en Australie, ce même chant qui l'aurait fait rester à Brocéliande après l'enterrement de sa mère.
Mis à part ce côté incompréhensible (ou trop peu accessible) du monde tel que décrit par l'auteur, on retrouve des facettes fantastiques plus traditionnelles ou, en tout cas, plus aisément compréhensibles : les enfants voient des fantômes, ils acquièrent des pouvoirs quand ils dansent en eux, certains adultes ont la capacité de voir l'invisible, des esprits peuvent parasiter puis vampiriser les corps des vivants, les mages et les sorcières ont une longévité conséquente et utilisent les humains pour leurs vengeances ou pour leur survie, la forêt possède une volonté propre, etc.
Les personnages : du bien et du moins bien
Les principaux personnages sont deux adultes, Martin et Rebecca, frère et soeur, qui vont avoir un enfant : Daniel. Non, pas d'inceste, même si l'auteur laisse planer un doute nauséabond, on apprend par la suite que Rebecca a été adoptée.
Martin est l'exemple du jeune homme droit dans ses bottes, bon, gentil, attentionné, père modèle, respectueux des traditions ; le gendre idéal. Au contraire, Rebecca fait l'effet d'une femme dérangée qui entend des voix, suit des fils invisibles, chante pour aspirer l'eau des poumons de son ex-fiancé mort noyé mais toujours vivant, bref, elle n'est pas bien nette. Alors, quand l'enfant qui nait se révèle être sourd et aveugle, on sent tout de suite qu'une chose étrange s'est passée dans le ventre de sa perturbée de mère.
Et c'est là que la seconde partie du récit, qui se focalise sur les premières années de Daniel et sur la vie de famille face aux difficultés de son état, est vraiment excellente. L'auteur arrive à instaurer un sentiment de tension, d'intrigue, d'horreur presque, qui vaut son pesant de cacahuètes. On sent que le petit n'est pas "normal", que quelque chose se trame, que des puissances supérieures sont à l'oeuvre ; surtout quand une vieille du village le suspecte d'être mort, que son corps ne soit que le véhicule utilisé par un "voyageur"...
Du bien et du moins bien.
L'histoire : du bien et du moins bien
Derrière Martin, Rebecca et Daniel, on se rend bien compte que l'auteur a voulu donner sa vision de l'histoire de Merlin et Viviane. Et c'est là que commence la vraie désillusion car, à mes yeux, après avoir suivi un récit rythmé, tendu, après avoir espéré avec Martin et s'être fait un sang d'encre pour lui, l'auteur nous plonge dans une troisième partie soporifique, accessible seulement aux initiés ou aux connaisseurs des détails de la légende, où Merlin raconte ses histoires sans queue ni tête, son appétit sexuel pour les jeunes vierges dotées de pouvoir magique, ses tribulations auprès de chefs de guerre celtes, ses métamorphoses en piaf, le supplice du pal (malheureusement inversé), jusqu'à son démembrement et son emprisonnement. J'avoue volontiers avoir lu entre les lignes tellement cela n'apportait rien à l'histoire principale, tellement cela arrivait tard, trop tard pour être appréciable, trop tard pour avoir un quelconque intérêt.
Bilan : du bien et du moins bien
Malgré les dernières pages où l'auteur explique la genèse de son roman, je ne suis pas certain d'avoir bien compris son objectif. Ou, plutôt, je me demande bien pourquoi il a employé cette trame.
Robert Paul Holdstock avait pour souhait de rédiger sa vision de la relation qui unirait Merlin et Viviane (c'est chose faite, mais à quel prix), il voulait mentionner et faire revivre des traditions perdues ou en voie d'extinction (c'est chose réussie), il espérait montrer la fragilité de toutes les croyances païennes face au christianisme, tout en offrant au lecteur un autre monde possible, façonné par des éléments magico-religieux, totémiques, païens, qui n'auraient pas été supplantés par le monothéisme (c'est plus ou moins clair même si le postulat est bancale).
J'ai beaucoup apprécié les références au paganisme, aux croyances inconnues (de moi) et aux traditions perdues ou en voie de disparition. J'ai aimé l'idée que les enfants puissent voir des choses invisibles des adultes ; que les anciens puissent avoir une sagesse leur permettant de voir l'indicible et d'ôter les masques des manipulateurs ; que les hommes aient en eux un "os du temps" qui se brise chez nous tous mais qui reste intact chez les être d'exception et les empêche de vieillir.
J'ai apprécié l'ambiance et les rebondissements dans l'histoire du couple et de leur enfant.
J'ai détesté Rebecca et ses pouvoirs cantiques (elle l'a bien cherché !) ainsi que la partie 3 bien trop déconnectée du récit.
Bref, on retiendra du Bois de Merlin que les mages de l'ancien temps peuvent se jouer des mortels, mais il me restera surtout un sentiment amer, une petite pointe de jalousie née du sentiment que seuls des initiés semblent pouvoir apprécier ce roman dans sa totalité.