1907
Dans son carnet de bord, le médecin Antipov, de l'asile d'aliénés de Viborg, dévoile ses craintes… « Est-ce le brusque changement de temps, ou la présence de ces moines bruyants à proximité de nos murs ? L'excitation des malades n'a cessé de croître au fil de la journée. (…) L'inquiétude du personnel est si palpable qu'il me contamine peu à peu. Comment en serait-il autrement ? Nous ne sommes désormais plus qu'une poignée pour assurer la surveillance de nos patients. » L'Etat n'attribue plus d'allocations pour le fonctionnement de l'asile. Malgré les dons généreux de la princesse Natalia Danilovna, les lieux se dégradent et la vétusté rend misérable cet établissement qui était quelques années auparavant, un antre de repos fort prisé par l'aristocratie. L'époque en ce début de siècle est trouble est indigente. le tsar Nicolas II délaisse son pays pour s'occuper de son fils malade, le tsarévitch Aléxis.
Dans les campagnes, de plus en plus d'individus, de brigands, prennent l'apparence de moines qu'on appelle les Stranniki, les illuminés.
« Ainsi se font-ils appeler, ces imposteurs qui parcourent la Russie en brandissant des icônes et en prônant les joies de la table et de la chair, cela au nom de la religion. »
Ces hommes psalmodient des cantiques, incitent le désordre, pillent, violent et profanent certains édifices.
Après une insurrection des malades, aidés par ces errants, Antipov annonce dans une lettre à Natalia, la disparition de son frère Vladimir, interné depuis des années et maintenu prisonnier dans sa chambre capitonnée, depuis l'altération de ses facultés mentales. Sa démence est dangereuse pour ses proches et aucune médecine n'a pu le guérir ou amoindrir sa folie. Les Stranniki l'ayant libéré, Volodia s'est enfui à Saint-Pétersbourg vers le messager de Dieu qu'il adule, Grigori Efimovitch Raspoutine.
A Saint-Pétersbourg, Natalia, veuve, élève seule ses deux enfants, Tanya, dix-huit ans et Misha, quatorze ans. Chef de famille, elle gère et dirige avec habileté le patrimoine des Danilov ; manufactures, exploitations agricoles, usines… Sa vie est très active mais sans passion, loin de la société et de la Cour impériale. Ses plus belles années sont dans ses souvenirs à Kamarov et à Terre-Noire, lorsqu'elle suivait partout Stepan, son frère adoptif, son unique amour. A la réception des courriers du docteur Antipov, elle commence à redouter la visite de Vladimir. Son appréhension est justifiée car ce dernier, obsédé par la restitution de son héritage, s'est placé sous la protection de Raspoutine, un mystique qui se dit un starets, un maître spirituel orthodoxe, et qui est en fait un homme puissant, redouté, manipulateur et cupide.
« Ce faux moine, ce starets, ainsi qu'il veille à se faire appeler, cette sainteté de pacotille, entretient l'illusion qu'il peut guérir le tsarévitch ! On le voit se pavaner partout, suivi d'une cour de femmes dépravées et de partisans sans scrupule. Il tutoie les princes avec une grossièreté qui sent ses écuries. Son arrogance ne fait qu'attiser la braise de l'impopularité qui couve partout (…) La mode est aux magnétiseurs, aux spirites, à ces prétendus faiseurs de miracles qui exploitent la peur et la crédulité de nos salons. »
Vladimir est haineux, il est un démon sans pitié, il cherche à meurtrir sa soeur, la détruire, la faire trépasser.
Natalia doit faire face à ces deux damnés avec audace et courage.
Tanya perçoit la peur qui terrorise sa mère. Petite fille, elle a vu son oncle Volodia essayer de l'étrangler, elle sait donc de quoi il est capable. Dans la chambre de sa grand-mère, où elle aime passer quelques instants de recueillement, elle découvre un livret écrit par Stepan Tchakarov « Terre-Noire, le 1er janvier 1882… ». Serait-ce ce jeune homme vêtu de noir, peint dans un petit médaillon ?
« (…) à côté, un petit portrait, à peine plus grand qu'une soucoupe, représentant le visage d'un jeune homme ténébreux aux cheveux longs qui fixe le peintre avec un air farouche. Ce qu'on devine de ses vêtements laisse penser qu'il est vêtu en habit de soirée et paraît saisi au sortir de quelque bal ou d'une soirée au théâtre Marinski. Qui est-il, je l'ignore, mais il émane de toute sa personne un tel mystère que j'avoue en avoir souvent fait le héros de mes rêves. »
A la lecture du journal, les ombres du passé s'effacent, le voile est levé sur les jalousies, les trahisons, les meurtres, l'exil, la vengeance, les coupables, mais aussi l'amour, le dévouement et l'abnégation. Tanya prend conscience que sa mère a aimé cet homme et que ce fantôme, parti sur un autre continent, pourrait être leur sauveur. Et si elle lui écrivait de revenir, et si elle lui racontait leur détresse, et si… Seul le chevalier Stepan parviendrait à les aider.
Là-bas, à Long Island dans l'état de New-York, les fèves noires qui prédisent l'avenir ont raconté à Stepan son retour en Russie. le moment est venu, il attendait des mots d'ailleurs, ils sont arrivés et l'invitent sans tarder à partir. Son errance se termine et ce dernier voyage le mènera vers la personne qu'il chérit le plus au monde ; un jour, il lui avait dit qu'elle était sa terre, plus précieuse que Terre-Noire.
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Dernier épisode de la trilogie, ce tome est mon préféré. Vingt années ont passée, du premier au dernier volume. Comme dans les deux livres précédents, l'auteur raconte l'histoire à travers des lettres et des pages de journaux intimes. Natalia qui avait délaissé sa plume, la reprend pour témoigner des faits qui la bouleversent. Sa fille Tanya, sur le modèle de sa mère, consigne elle aussi les évènements. Toutes deux sont la mémoire de cette histoire. Leurs chroniques parlent de la fin de leur monde. La Russie depuis quelques temps souffre et des soulèvements révolutionnaires annoncent le changement. Un homme profite133503 de la confusion en devenant le conseiller de la tsarine Alexandra Feodorovna. Ce charlatan est Raspoutine, un personnage doté d'un regard bleu très clair, glacial, hypnotique.
Ce livre est fascinant, les personnages sont romanesques et le héros est sombre, tourmenté et sans miséricorde pour ses ennemis. Quant aux scélérats, ils sont fanatiques, vicieux, charognards et très dangereux. de Saint-Pétersbourg, où peu de descriptions nous font nous attarder, nous partons vers des paysages de steppes, de forêts, de terre de tchernozium, la terre noire riche, fertile, et organique de l'Ukraine. Natalia et Stepan sont à l'image de leur royaume, sauvages, libres et généreux.
Une série digne de Dumas et donc… à conseiller pour nos jeunes (et moins jeunes) !!!
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