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Critique de Ode


La mauvaise foi de Michel Houellebecq me ravit.

Vous savez, la mauvaise foi telle que l'entend Sartre avec son garçon de café qui joue à être un garçon de café et rien que cela, sa fonction l'emportant sur son humanité. Houellebecq, lui, se complaît dans son rôle de provocateur, toujours prêt à dénigrer la société ou ses semblables, à appuyer là où ça fait mal, avec son air revenu de tout. Une sorte de Gainsbarre de la littérature, la provocation n'excluant pas le talent.

On sait donc à quoi s'attendre en lisant ses romans : il va chercher à nous choquer d'une manière ou d'une autre. Or en forçant le trait, il nous oblige à voir les choses sous un autre angle, souvent visionnaire, tout en réveillant nos consciences.

"La carte et le territoire" est en apparence son ouvrage le plus consensuel. Son héros, Jed Martin, a une vie d'artiste presque rangée. Il fréquente encore son père, arrive à séduire des femmes, et n'est pas affligé d'une sexualité compulsive. L'action se déroule dans un futur proche, alors que la France, redevenue rurale, tire ses revenus du tourisme. Jed va connaître la notoriété en commençant à photographier en gros plan des cartes Michelin, avant de se spécialiser dans la peinture. Fortement axée sur le monde de l'art, l'intrigue est un mélange d'enquête policière (suite à un meurtre spectaculaire) et de roman d'anticipation, avec de truculents passages sur les figures médiatiques de notre époque et des noms de marques à foison.

En réalité, ce semblant de normalité est un cheval de Troie qui dissimule une critique acerbe et pessimiste de notre société, promise à la déliquescence. Critique d'autant plus insidieuse qu'elle touche notre vie quotidienne, comme la structure familiale, l'amour, la mort, le travail... le territoire est le monde réel (imparfait et voué à la mort), la carte la représentation qu'on s'en fait (idéale et intemporelle), et Jed affiche en lettres capitales que « LA CARTE EST PLUS INTERESSANTE QUE LE TERRITOIRE ». Ainsi, l'indifférence de Jed au monde qui l'entoure est frappante. Il passe Noël avec son père parce que cela se fait, mais ils n'ont rien à se dire. le succès qu'il rencontre sans effort, sans vraiment le mériter, caricature les dérives d'une société qui encourage la réussite facile par le biais du spectacle ou de la télé-réalité. Sa relation détachée avec la brillante Olga en dit long sur son égoïsme et sur l'amour/le sexe vus comme un mode de consommation parmi d'autres – un thème récurrent dans l'oeuvre de l'auteur.

Mention spéciale pour la mise en scène de Houellebecq par lui-même. le comique prime sur la mégalomanie et l'on découvre un repoussant spécimen d'écrivain asocial, assidu des bordels thaïlandais et accro à... la charcuterie (!). C'est pathétique, mais conforme à l'image qu'il veut donner de lui : suffisamment antipathique pour qu'on le laisse tranquille. Toutefois, derrière ce leurre burlesque, c'est sans doute chez Jed Martin qu'affleure sa véritable personnalité. Par sa réussite et ses choix de vie, Jed réalise son fantasme de vivre à l'écart d'un monde qui le déçoit. L'exergue poétique de Charles d'Orléans prend alors tout son sens :
« le monde est ennuyé de moy,
Et moy pareillement de luy. »

Or à jouer les dédaigneux, Houellebecq n'en est que davantage courtisé, jusqu'à obtenir le Goncourt. Preuve que son rôle de misanthrope désabusé lui réussit à merveille ! CQFD
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