AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782253001287
628 pages
Le Livre de Poche (01/10/1989)
4.41/5   38 notes
Résumé :
Bressan et son épouse débarquent en Indochine au début du siècle.

Ils vont vivre pendant quarante années dans ce pays où rien ne leur rappelle la France. Bressan aura des enfants de sa femme, puis à la mode orientale d'une seconde femme eurasienne, et d'une troisième, annamite celle-ci. Et tout ce monde vivra au cœur de Saigon, dans la vaste propriété que le père aura acquise à ses débuts, Blancs, Eurasiens et Vietnamiens mêlés. Autour d'eux, la colon... >Voir plus
Que lire après Les AsiatesVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Etoiles Notabénistes : ******

ISBN : 9782221101919

Le terme "Asiate" désigne toute personne originaire d'Extrême-Orient, ceci qu'elle soit de type ethniquement asiatique ou pas. A notre époque de bien-pensance, qui condamnerait comme raciste le plus minuscule cube de glace ou encore le moindre grain de sable, soit pour leur couleur, soit pour tout autre raison bien stupide , il paraîtrait que le terme, utilisé comme adjectif (ce qui varie selon les dictionnaires) aurait acquis un sens péjoratif. Nous ne nous mêlerons pas à la querelle et nous contenterons de faire observer que "Les Asiates" dont nous parle Jean Hougron sont aussi bien viêt-namiens que métis ou blancs. Ajoutons, pour une exactitude indiscutable, que seuls deux de ces Blancs, Pierre Bressan et son épouse, Françoise, ne sont pas nés en Indochine.

C'est d'ailleurs par l'arrivée de Françoise, toute jeune mariée de seize ans, à Sai-Gon (le nom de la capitale s'écrivait en effet à l'époque, en 1907, en deux mots), que tout commence. Quand j'écris "tout", je devrais plutôt parler du drame qui va mener les Bressan au déclin en l'espace de deux guerres mondiales et quarante années. Et, en me relisant, je me dis que je ferais peut-être mieux de placer le début ce drame non pas sur la terre indochinoise mais en France, lors de la nuit de noces des nouveaux époux. Viveur égoïste, Bressan s'impose sans grande douceur à une jeune fille qui, comme tant d'autres à son époque et dans la bonne société qui est la sienne, ne connaît absolument rien de l'acte sexuel. Et, malgré ses efforts (mais en fait-il tant que cela ? ), Bressan ne parvient pas à éveiller en sa femme ce plaisir qui serait pourtant légitime et lui permettrait sans aucun doute d'aborder avec plus de facilité les immenses transformations de son existence.

Transplantée, sans grandes précautions, sur un autre continent et dans un pays qui est alors une colonie, confrontée à des usages et à une culture dont elle ignore tout et dont elle ne veut absolument rien savoir, d'ailleurs (ne serait-ce pas s'abaisser ?), Mme Bressan a pour boyesse la jeune Nam. Or, lorsque Bressan - qui se lasse très vite des corps féminins, s'intéressant plus au désir qu'au sentiment, incapable peut-être, on pourrait le croire, d'éprouver un amour véritable autrement que pour lui-même et sa petite vie confortable de fonctionnaire des Douanes - s'en va voir ailleurs lors de la première grossesse de Françoise, eh ! bien, cet imbécile adepte de la facilité en toutes choses ne trouve rien de mieux à faire que de frapper à la porte de Nam . D'où nouvelle grossesse, celle-ci pour la Viêt-namienne, qui produira le premier des enfants illégitimes de Bressan que le lecteur sera appelé à voir évoluer au gré des chapitres : le petit Chu, nommé "Pierre" en secret par sa mère, et qui ne découvrira Saigon (il naît dans le village de Nam, où celle-ci est allée dissimuler plus ou moins sa grossesse) que seize ans plus tard.

Bressan Senior s'étant montré extrêmement prolifique sur le plan de la paternité physique, dressons dès maintenant une espèce de liste de ses rejetons qui, tous, auront un rôle à tenir dans le roman :

1) de son épouse Françoise, trois enfants : Gaston, né avec un pied-bot ; Suzanne, morte un an après sa naissance ; et Henri, aussi blond que son frère est brun, aussi peu aimé de sa mère que Gaston en est chéri, doté en outre d'une beauté qui ne cessera de séduire mais, au contraire de son père, également d'un sens très aigu des responsabilités ;

2) de Nam qui, même lorsqu'elle aura perdu toute espérance de remplacer Françoise en tant que Mme Bressan, restera fidèlement au service de la famille et, sur la fin, nouera même une sorte de "pacte" tacite avec celle qu'elle considère tout de même comme sa seule maîtresse : Pierre Junior, mieux connu comme Chu et qui fera carrière dans le Viêt-minh, donnant d'ailleurs toujours un coup de main à sa parenté blanche toutes les fois qu'il le pourra ;

3) de Pauline, une jeune et belle métisse que l'opinion publique nommera toujours "la deuxième Mme Bressan" bien qu'elle n'ait jamais eu que le statut de concubine, en principe quatre enfants : Solange, qui tombera amoureuse de Henri (son demi-frère aux yeux de la loi et des parents. Mais Pauline est-elle vraiment à même de garantir l'identité de son père ? On peut s'interroger) ; Maurice, mort accidentellement noyé à l'âge de deux ans et que sa mère en fureur affirmera avoir été assassiné par Mme Bressan (ce qui est faux, même si "La Mère", comme on finira par la désigner, a assisté au triste spectacle) ; Alice, qui épousera un métis bien sous tous les rapports, Alfred Papont ; et enfin Georges qui, là, ça ne fait aucun doute, n'est pas le fils de Bressan, ce qui lui permettra de fuir plus tard avec Hiem, en principe pourtant sa demi-soeur ;

4) de Sao, la plus attachante des concubines de l'incorrigible Bressan, quatre enfants aussi, dont l'aîné, Lucien, véritable tueur en série-né et les deux plus jeunes, Bao et Petit-Sapèque, bien qu'officiellement adoubés comme des Bressan, n'ont absolument aucune goutte de sang blanc dans les veines ; et enfin, Hiem, laquelle est, en fait, la fille que Henri a eue de Sao. Secret bien gardé mais qui ne s'oppose donc en rien, on le voit, à l'union finale de la jeune fille avec Georges.

Fermez maintenant les yeux et imaginez l'incroyable et douloureux foutoir que tout cela peut donner sur une quarantaine d'années, commencées dans une stabilité coloniale évidente et qui, sur leur fin, s'enfoncent droit dans l'avenir communiste. Hougron utilise tout ce monde, qui grandit, vieillit ou meurt (parfois dans l'alcoolisme ou la démence sénile), et un pays qui, lui aussi, se métamorphose lentement mais sûrement, avec des soubresauts terribles, pour brosser une fresque véritablement fascinante pas seulement sur l'Indochine mais sur l'Indochine, vue de l'intérieur, par ceux-là mêmes qui y sont nés, blancs, demi-blancs ou jaunes, selon que leurs parents ont ou non mêlé leurs sangs.

De Lucien, l'Annamite si plein de rage et de colère qu'il en vient à accomplir les pires horreurs jusqu'à Henri, Le Blanc caucasien qui ne souhaite qu'une chose en épilogue, quitter le Viêt-nam pour rejoindre Solange partie au Siam, en passant par Chu, le métis qui symbolise (en tous cas, telle est notre impression) un équilibre presque parfait entre les deux cultures, et ceci bien qu'il devienne le Colonel Vo-Thanh du Viêt-minh, et tous les autres, tous restent unis par un lien qui, familial ou pas, n'en est pas moins quasi tangible : tous sont des Asiates et le resteront, où qu'ils aillent, quoi qu'ils fassent. Avec le menu peuple viêt qui piaille, rit, joue de la musique ou se fâche dans les rues de Saigon ; avec les incontournables marchands chinois et indiens ; avec les fourmis viêt-minh que Hougron nous dépeint ici dès le début de leur travail de sape ; avec, en prime, quelques Blancs et Occidentaux de passage, qui ne comprennent rien à l'Indochine et, d'ailleurs, ne s'y intéressent pas, l'impressionnante "tribu Bressan" demeure, dans cette oeuvre, comme le témoignage le plus abouti que Jean Hougron nous ait rendu sur la terre indochinoise.

Il est vrai que la partie est presque terminée. Après "Les Asiates", ne nous restera plus qu'à emprunter les chemins de "La Terre du Barbare", avec, éternel et étouffant jusqu'à l'angoisse, le besoin de la Quête vers un Ailleurs qui, pour l'auteur, fut l'Indochine mais qui, après tout, peut se situer n'importe où. L'essentiel, c'est d'y croire et, même s'il n'est pas parfait, même si l'on y croise encore la Haine, l'Injustice, voire la Médiocrité toute simple, quelle importance si nous y fraternisons aussi avec l'Admiration, le Rêve, la Découverte, la Bonté ? Après tout, tous ne font-ils pas partie de l'Ailleurs que nous recherchons ? ... ;o)
Commenter  J’apprécie          162
Jouant sur deux périodes: 1907 et 1947 les asiates raconte l'histoire de l' Indochine vue de l'intérieur et au travers de plusieurs personnages typiques de l'époque. Pour avoir vécue en Asie du Sud-Est pendant cinq ans je dois admettre que Jean Hougron, aujourd'hui tombé en désuétude surtout à cause de l'image "colonialiste" de ses romans, est le seul qui colle au plus près de la réalité de l'époque. Largement inspirés de sa propre vie ses livres sont un vrai témoignage.
Commenter  J’apprécie          222
Les Asiates /Jean Hougron

Pierre Bressan, 23 ans, est en route à bord d'un navire, avec sa jeune femme Françoise âgée seulement de seize ans, pour l'Indochine, colonie française à l'époque. Douanier jeune marié, il a choisi l'aventure, nourri de lectures exotiques. Françoise a tant rêvé devant cette carte de l'Indochine qu'elle a du mal à croire que le moment de découvrir le pays de ses rêves est arrivé. Ainsi commence ce beau roman au temps de la colonie.
1907 : Pierre et Françoise sont installés à Saïgon et de suite, Jean Hougron nous plonge dans l'ambiance du pays avec un art absolument remarquable, entre la chaleur humide, les odeurs exotiques et le bruit incessant.
de retour du bal chez le gouverneur, Pierre et Françoise se livre à une joute très particulière que l'auteur nous décrit avec talent et retenue. On ne peut pas dire que l'entente sexuelle soit au beau fixe et un retour dans le passé au moment de la nuit de noces à Florence permet de comprendre pourquoi une peur irrépressible se dresse entre eux comme un mur une fois au lit sous la moustiquaire. de guerre las, Pierre ira demain retrouver ses collègues pour une virée à Cholon, avec restaurant chinois, fumerie d'opium et jolies congaïs. Et puis il y a Nam, la jeune boyesse annamite objet de désir parmi d'autres pour Pierre qui se lasse vite de tout corps féminin.
On retrouve les personnages 40 ans plus tard, en 1947. Pierre que l'on appelle alors le Père a 63 ans consacre son temps à des mise en bouteille de maquettes de bateaux et veille sur sa chienne Yra. Son fils Henri va sortir de prison et sa femme a sombré dans l'alcoolisme. Pierre veille sur sa petite fille Henriette quand il n'est pas avec une de ses trois jeunes concubines.
Comment le couple Pierre et Françoise en est arrivé là ? C'est la suite du roman qui nous l'apprend peu à peu, avec une alternance de chapitres évoquant le passé à partir de 1907 et le présent en 1947. En jouant ainsi sur deux périodes, l'histoire de la famille Bressan nous est contée avec ses drames et ses guerres au cours de quarante années.
Au fil des mois et des années, on va suivre Pierre, un homme obsédé par le corps des femmes jeunes, une véritable addiction, un être veule et détestable qui rapidement va imposer, mais toujours sans violence, deux concubines à Françoise qui ne le satisfait pas sexuellement. Pauline l'eurasienne et Sao l'annamite subiront elles aussi le caractère volage de Bressan.
Françoise est une femme gracieuse dans les premières années de mariage, mais fragile et mal aimée, qui rapidement sombrera dans l'alcoolisme.
Leur fils aîné Henri est un homme de combines pas toujours légales et qui connaît la prison. Et puis il y a les innombrables femmes de Pierre et les nombreux enfants métis et quarterons illégitimes qui ne valent pas mieux que les parents. L'alcool et l'opium vont aussi contribuer à la destruction de tout lien familial au sein d'une pitoyable tribu de sang-mêlé dont les histoires sont la fable de Saïgon.
J'ai lu une première fois ce livre il y a environ 50 ans et j'avais été marqué par cette aventure indochinoise. Aujourd'hui, connaissant bien les lieux, les cadres et les modes de vie après plusieurs voyages depuis les années 90, je me représente mieux les situations même si depuis 1947, bien des choses ont changé.
Ce roman de plus de 600 pages est un magnifique et terrible témoignage d'une époque révolue, celle du colonialisme. Il est bien dommage que Jean Hougron fasse partie de ces écrivains oubliés dont l'oeuvre est pourtant remarquable et se dévore à pleines dents avec le dépaysement assuré. Les « Asiates » est sans conteste le roman phare de Hougron, avec une construction extrêmement habile qui donne de la profondeur aux personnages. Des personnages très divers et pour la plupart assez haïssables et manipulateurs tout en étant attachants, si ce n'est Gaston, le fils aîné de Pierre et Françoise, qui toujours s'avance dans la vie ceint de vertu et d'honnêteté.
Pour la petite histoire, il faut savoir que le terme « asiate » désigne toute personne originaire d'Extrême-Orient, qu'elle soit, dans le roman, vietnamienne, métis ou blanche. Pour être plus précis, seuls Pierre et Françoise ne sont pas nés en Indochine. En tout cas, les Asiates du livre ne furent jamais des colonisateurs, mais plutôt des aventuriers quelque peu déboussolés dans le dépaysement.
À noter qu'un très utile arbre généalogique se trouve en fin de volume, auquel on aura recours souvent en cours de récit pour se rappeler qui est qui !
En résumé, un très beau roman.


Commenter  J’apprécie          30
Jean Hougron est un auteur trop oublié alors qu'il a une oeuvre remarquable.
Ses livres se dévorent.
Grand voyage complet.
Dépaysement assuré !
Les Asiates : sans aucun doute dans le haut du classement de ses ouvrages.
Commenter  J’apprécie          173
Le passé éclaire le présent : cette sentence sert de fil conducteur à ce roman qui commence par la description d'une vieille carte de l'Indochine française ayant perdu ses vives couleurs d'autrefois (on va assez rapidement comprendre ce qu'il y a de terni dans ce royaume…). le récit se poursuit par un va-et-vient incessant entre le présent du roman, 1947, et les années antérieures qui s'égrènent sur 40 ans à partir de l'installation du couple Bressan à Saigon en 1907.
Ces flash-backs qui se rapprochent progressivement du présent donnent de la profondeur aux personnages façonnés par les événements. Façonnement chaotique, à l'image de l'histoire de cette colonie française qui entre dans une zone de forte turbulence. Et comme la colonie qui s'avance à grand pas tragiques vers son dénouement, les destins se cristallisent à la fin du roman.
L'intérêt de ce livre est donc de nous présenter, de manière romancée, la société coloniale française dans cette ville de Saigon. Toutes les tares s'y retrouvent : la prostitution à bon marché grâce à la domination blanche, la noyade désespérée dans l'alcool, les tenaces préjugés racistes qui empêchent de comprendre l'effondrement inéluctable de cette société vermoulue, la gangrène des trafics en tout genre qui corrompent les moeurs, la police bien volontiers tortionnaire se sachant couverte par le sceau de l'impunité, l'idéalisation d'une métropole lointaine où tous les rêves pourront se réaliser, les atermoiements de la politique stalinienne du Vietminh ponctués par les purges (nous sommes, en 1947, au « bon vieux temps » du chef « génial »)…
Tout cela c'est du passé, me direz-vous, le temps des colonies et de toutes ses dérives ne sont plus qu'un mauvais souvenir. En êtes-vous bien si sûr ?
Commenter  J’apprécie          81

Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Il fait nuit quand elle entend le Père rentrer. Elle écoute son pas qui va et vient dans la grande salle du rez-de-chaussée. Elle l'a écouté trop souvent pour ne pas savoir que le père est contrarié. Elle en est satisfaite. Elle boit un dernier verre d'élixir et va cacher la bouteille sur une étagère derrière une boîte de biscuits. Elle sort ensuite son porte-monnaie et compte son argent. Il lui reste quarante-deux piastres. Elle hoche la tête, puis se dit que février n'a que vingt-huit jours. Malgré tout, quarante-deux piastres, c'est peu pour finir la semaine. Quand Henri n'est pas en prison, il l'aide à la fin du mois. La Mère essaie de se rappeler, quand son fils doit être libéré. Elle ne se souvient pas si il a été arrêté en octobre ou en novembre. Elle cherche un instant, pense: "c'est en octobre", mais n'en est pas certaine. Il faudra qu'elle demande à Nam, la boyesse.
Commenter  J’apprécie          230
[...] ... On est toujours seul. On ne peut pas prêter sa joie ou sa tristesse comme on prête un objet, ni emprunter celle des autres. Le Père essaie d'imaginer la vie des autres hommes. C'est la première fois qu'il fait vraiment cet effort. Mais ce soir, à cause de l'indifférence nouvelle de Nam, d'Henri qui n'est pas revenu, il se demande de quoi leur vie est faite et ce qui repose sous l'écorce banale des mots et des gestes. Le métier, une épouse, des enfants, des amis. Il n'a jamais eu d'amis. Même quand il était jeune. Probablement parce qu'il n'en avait pas besoin et ne savait quoi leur dire. La compagnie des hommes l'a toujours ennuyé. Intimidé aussi. Il n'a jamais pu s'intéresser à leurs affaires, le travail, la politique, la conquête de l'argent, tous ces goûts, ces besognes d'hommes qui les rendent solidaires, même quand elles les opposent. Eux aussi devaient deviner qu'il n'était pas des leurs, car ils ne le recherchaient pas, sauf les plus sots.

Il n'a jamais aimé que les femmes. Plus précisément les jeunes filles. Tous sont persuadés que ce n'était que pour coucher. Pourquoi leur expliquer que ce n'était pas si simple et que, même dans sa jeunesse, ce n'est pas cette envie seule qui le poussait ? Le désir, bien sûr. Mais le plaisir dépasse tellement cet instant où deux corps se rejoignent.

Le Père fronce les sourcils. Il examine sa vie avec application et se dit qu'il n'en voudrait pas changer. Il est allé vers ce qu'il aimait. Il aurait pu agir autrement, c'est certain, vivre à contre-courant comme beaucoup, et tuer le temps, mentir et se forger des petits dieux exigeants qui auraient jalonné les années de punitions et de menues récompenses, pour leur donner un semblant de saveur. Il n'a pas voulu, ou il n'a pas pu, peu importe. Mais aujourd'hui qu'il tente d'établir la balance, il ne regrette rien. Il laisse à d'autres le soin de le juger. Quant à lui, il se comprend. Il ne s'aime pas toujours, mais il se comprend et ne s'est jamais renié. Ils prétendent que l'Asie l'a intoxiqué. Il leur faut toujours des explications. Des explications dont ils puissent tirer des leçons. Et s'il était resté quelque part dans une ville de France ? Il force ses souvenirs, mais ne réussit pas à s'imaginer différent de ce qu'il est. Là-bas aussi il n'aurait pu faire qu'un mauvais époux, un père médiocre. A la manière occidentale, atténuée, des peuples très compartimentés où les concubines sont qualifiées avec mépris et décence de "maîtresses." Rien n'aurait été changé, sinon les apparences, le vocabulaire, et encore n'était-ce pas sûr. En fait, il n'aurait jamais dû se marier. ... [...]
Commenter  J’apprécie          60
[...] ... Une voix appelle de la maison et Nam sort en trottant, grommelante et soumise. Chu la regarde partir. Cette immense pitié qu'il tient entre ses mains comme un cadeau merveilleux et inutile. Chanh qui disait : "La pitié, quand on ne la dépasse pas, ce n'est que l'autre visage de la soumission." Chanh voulait toujours aller plus loin. Il avait retourné l'amour comme on retourne la fourrure grise d'un lapin pour dénuder ses muqueuses mauves, et il avait dit : "Voilà la haine." C'était un peu cela. Il avait choisi la haine parce que l'amour ne pouvait pas encore servir, mais il savait bien qu'au fond, il s'agissait toujours de la même chose.


Après, il avait cherché un autre emploi et il avait fini par être embauché dans une fabrique de bière. Un jour, il avait voulu aller rendre visite à la vieille Nung. Les voisins lui avaient appris qu'elle était morte. Ils l'avaient trouvée un matin, toute froide, sur son carré de natte. Ils avaient ajouté qu'elle n'avait plus une sapèque depuis trois jours et que c'était une bonne chose qu'elle fût morte.

Il était revenu vers la ville. Il avait bu un verre de choum dans une gargote en plein air et il s'était mis à réfléchir. Moins à la vieille Nung, pour laquelle il ne pouvait plus rien, qu'à sa propre vie, puisqu'on finit toujours par revenir à ce qu'on connaît le mieux.

Ce qui l'avait arrêté, ce n'était pas le côté dramatique et comme théâtral de son expérience. Il le récusait d'instinct, persuadé qu'on ne tire rien de valable de l'exceptionnel, de cette pointe de folie qui s'empare quelquefois des êtres et des choses. L'aspect absurde du monde, il ne l'avait, à vrai dire, utilisé que comme point de départ. La mort de Nung n'apportait qu'un enseignement limité. Presque restreint à sa victime. Mais il y avait le reste. La vie de Nung, par exemple, qui importait beaucoup plus que sa mort fascinante et revêtait une allure de symbole menaçant. C'est à travers la mort, puis à travers la vie de Nung qu'il était allé à sa propre découverte. Plus tard, il s'était dit que ce n'était jamais qu'un prétexte, qu'une occasion aurait surgi et qu'il aurait fini, un jour, par déboucher sur les mêmes évidences.

Mais, aujourd'hui, il lui arrivait encore de s'étonner d'avoir pu vivre si longtemps dans ce village de l'Ouest cochinchinois, où s'était déroulée son enfance, sans jamais rien voir. Peut-être parce qu'un spectacle que l'on a toujours sous les yeux finit par perdre son aspect insolite. ... [...]
Commenter  J’apprécie          10
Elles sont toutes pareilles, avec leurs mines gentilles. Elles entrent dans la vie des hommes avec leur grâce, leur beauté, toutes ces promesses qui sont leur raison d'être. Elles entrent dans notre vie, et tout se trouve soudain bouleversé. Il faut leur farire une placera accepter d'être deux au lieu d'un. Presque rien ne vous appartient plus de ce qui n'était qu'à vous autrefois. La force née de la solitude, par exemple. C'est comme un grand filet très souple qui vient envelopper votre corps. Seuls vos mouvements de fuite vous le rendent présent. Car elles ne s'imposent jamais, du moins les plus habiles, parce qu'elles savent bien, en fin de compte, que ce n'est pas tant à elles que les hommes demeurent fidèles en les acceptant, qu'à une certaine image de l'homme véritable, hors de laquelle plus rien n'est valable. Et, à partir de ce moment-là, tout ne pouvait plus être que gâché, corrompu.
Commenter  J’apprécie          30
Les femmes sont faites pour le malheur, bien que toutes prétendent le contraire. Peut-être parce qu’elles savent l’organiser, alors qu’au mieux les hommes ne savent que s’en sortir.
Commenter  J’apprécie          30

Video de Jean Hougron (1) Voir plusAjouter une vidéo

Littérature
(Le débat commence entre le public et les chroniqueurs à propos d'un article écrit par Matthieu GALEY sur Jean-Paul SARTRE, après son refus du prix Nobel, et dans lequel, Matthieu GALEY explique "qu'il est devenu malgré lui, un auteur lu par les bourgeois"). Sont abordés, les livres :
- " Histoire de Georges Guersant", de Jean HOUGRON - " L' État sauvage", de Georges...
autres livres classés : indochineVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (106) Voir plus



Quiz Voir plus

Famille je vous [h]aime

Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

chien
père
papy
bébé

10 questions
1429 lecteurs ont répondu
Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

{* *}