Ce livre m'a interpellé par sa couverture rouge. Son titre –
Et ça vous fait rire ? – m'a tout de suite donné envie d'aller plus loin. Surtout, il suffit de regarder le dessin de la couverture pour se rendre compte de ce qui nous attend à l'intérieur : un homme est dans une fosse avec des ours visiblement affamés et attirés par cette chair humaine. Il appelle désespérément à l'aide. Une autre personne passe – probablement un visiteur – et se contente de photographier la scène sans plus de réaction… le ton est donné.
Le livre est composé de 188 dessins. Chaque page se compose d'un « gag (les guillemets sont de rigueur, car un gag désigne un effet comique, résultant de situations burlesques et peut être synonyme de « blague ». Cependant, il n'est pas certain que tout le monde prenne les illustrations de Dagsson pour des gags…).
Ses dessins sont assez rudimentaires, en noir et blanc, avec peu ou pas de décor selon les pages. Assez naïfs, ils peuvent s'apparenter au coup de crayon d'un enfant (un rond pour la tête et un pour le tronc, quatre traits pour les bras et les jambes). Mais il ne faut pas se fier à cet air enfantin. Les paroles proférées par les personnages n'ont rien de puéril. Bien au contraire : le cynisme et l'humour noir sont des traits caractéristiques de tout le livre. L'auteur aborde plusieurs thèmes, et pas des plus légers : l'amour, la mort, le sexe, l'éducation, la religion, les moeurs, les relations humaines, la maladie, le handicap, l'homosexualité, pour plonger bien des fois dans l'immoralité, le violent, le sanglant et même la scatologie. Que les âmes sensibles s'abstiennent. Ce livre n'est pas à mettre entre toutes les mains.
Sans doute vous souvenez-vous du fameux journal satirique français des années 60, Hara-kiri, cynique, parfois grivois et d'ailleurs interdit en 1970, même si le mensuel continuera de paraître jusqu'en 1986. Eh bien le travail de Dagsson me fait penser à celui de
Philippe Vuillemin ou de
Jean-Marc Reiser pour ne citer qu'eux, fervents collaborateurs de cette publication. Des similitudes se font jour. Il existe par exemple un dessin de
Reiser identique à celui de Dagsson : une femme vomissant dans la poussette de son bébé.
Autre point commun, une couverture de Hara-kiri présentant une femme, un couteau planté dans le dos, avec ces mots : « poisson d'avril ». Dagsson reprend la même idée, un homme venant de tuer deux personnes avec son fusil et riant : « ahahahahah, poisson d'avril ! ». Bête et méchant…
Voilà le style tout en provocation de l'auteur islandais, même s'il me semble qu'il va encore plus loin que ses confrères français. Aucun sujet ne l'arrête, il n'a pas de tabou. Il fait dans le cru, c'est direct et sans détour. C'en est même parfois surprenant d'horreur. Citons par exemple ce dessin de la page 96, où des enfants viennent jouer chez leur copain. La mère les accueille à la porte, leur offrant une boîte : « Désolé les gars, Lawrence ne peut pas sortir jouer. Il a la lèpre. Mais vous pouvez vous amuser avec ses orteils. Ils sont tombés ce matin ». Cruel et ignoble n'est-ce pas ?
La noirceur est parfois extrême, le glauque et le morbide font leur apparition. C'est le cas d'un homme qui se fait écraser entre deux voitures. Sur un pont au-dessus, des passants sont hilares. Discrètement, sur la droite du dessin, une petite fille murmure : « papa… ». de mauvais goût. Comme dans bien d'autres pages d'ailleurs. Plus de morale. Tout peut être dit.
Des dessins contenant des éléments scatologiques ponctuent également l'ouvrage. Dans une pièce de théâtre l'actrice défèque de son balcon sur l'homme en bas. Celui-ci se défend par un « c'est pas dans le script ». Ou encore : un homme demande s'il peut entrer dans un bar. le videur lui répond : « oui, si tu bouffes ma merde ». Et il y a encore bien d'autres dessins immondes du même genre.
La satire est également récurrente. Par exemple, un ange dit à Dieu : « Je vais faire une apparition pour des enfants au Mexique. Je te ramène quelque chose ? » Et Dieu de répondre : « Un burrito au poulet et… heu… Ils font toujours les cocas à la vanille ? ». Dans un genre plus morbide, au téléphone : « Bonjour, j'ai besoin d'une ambulance. Je viens de chier mes intestins et mon chien est en train de les bouffer… Dans 20 minutes ? Merci ».
Malgré tout, on peut parfois se retrouver dans ses dessins. Enfin, pas le « moi » apparent, qui vit en société, mais plutôt le « moi » inconscient, celui qu'on enfouit au plus profond de soi, dans ce qu'on a de plus sauvage, d'animal, et des pulsions profondes qu'on ne dévoilera jamais sous peine de passer pour un monstre ou tout au moins pour une personne sans morale. Certains traits de la société sont donc présents, même s'ils sont déformés et caricaturés par l'humour noir. C'est le cas dans un dessin décrivant un réveillon de Noël. Parents et enfants déballent leurs cadeaux, mais le pauvre grand-père en fauteuil roulant, proche de la mort, se voit privé de cadeau. Pourquoi ? : « Désolé papi, pas de cadeau pour toi, ça vaut plus le coup ». Autre dessin illustrant ce propos : lors d'un spectacle intitulé « les monologues du vagin », l'actrice commence à parler lorsque quelqu'un se lève dans la salle et dit : « Parle avec ta chatte, vas-y ! ».
Mais pas de panique, quelques dessins sont plus drôles, plus « respectables » – c'est tout au moins mon avis. Citons le concert d'une chanteuse qui dit à l'auditoire : « la prochaine chanson est dédiée à mon mari, Alphonse, qui est assis là-bas dans le fond. Elle s'intitule : “et si tu me donnais un orgasme de temps en temps ? ” ». Un autre dessin porte à sourire : un juge disant « je t'aime » à un condamné. C'est aussi le cas où un homme près d'un arbre, à la campagne, s'adresse au lecteur : « C'est là que j'ai perdu ma virginité. Oh, comme elle me manque ».
Bref, à la lecture de cet ouvrage on se sent parfois presque coupable de se divertir avec ces « gags », presque honteux de rire de toutes ces horreurs. Mais, finalement, en y réfléchissant bien, tout le monde ne rit-il pas – au moins un peu ou dans son for intérieur – du malheur des autres ? Ce livre ne peut pas être devenu un best-seller pour rien.
En conclusion, amis de l'humour noir, je vous conseille donc cette lecture décalée.