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EAN : 9782228881166
343 pages
Payot et Rivages (08/01/2006)
4.1/5   25 notes
Résumé :
" Si l'on avait demandé à Johan Huizinga quel était le sujet fondamental de son livre, affirme Jacques Le Goff, il aurait parlé d'abord de l'imbrication intime du Moyen Âge et de ce que nous appelons la Renaissance. L'Automne du Moyen Âge décrit et analyse les " saveurs ", les " idées ", les " émotions " et les " images " dans lesquelles s'exprime une société qui meurt, celle du Moyen Âge, pour donner naissance à une autre, la Renaissance". Marc Bloch et Lucien Febv... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Sur la période du bas Moyen-Âge, ce livre est devenu un classique. On a l'habitude de regarder les 14e et 15e siècles comme une époque charnière annonçant un déclin des modèles médiévaux, faits de ténèbres, et de répétitions des habitudes pourtant désavouées par les faits en cette fin de cycle.
Les temps de rupture et de passage posent problème dès lors que l'on cherche à poser des limites historiques tranchées entre ce qui finit et ce qui va commencer. Il est de fait significatif que l'on ait longtemps traduit le titre de cet ouvrage en employant le terme de "déclin" (Le déclin du Moyen-Âge), remplacé aujourd'hui par "automne", qui sonne plus juste.
Mais comment appliquer des coupures nettes entre Moyen-Âge finissant et début de la Renaissance ? N'y a-t-il pas plus de survivances que l'on ne croit de l'un dans l'autre ? La chevalerie et ce que l'on disait être son esprit étaient-ils vraiment morts au XVIe siècle ? Bayard, entre autres exemples, n'était-il pas lui aussi un modèle de chevalerie comme on l'entendait auparavant ? Tout ce qui se réalise au XVIe était bien en germe au XVe siècle ; il n'est que de regarder ce qui se passe à Florence, sous Laurent de Médicis, pour en trouver l'illustration. Fin et commencement ne sont pas si distincts et éloignés qu'on ne nous l'a abondamment répété. Si l'on déplace les limites du Moyen-Âge de 1453 - année de la prise de Constantinople par les Turcs et de la fin de la guerre de Cent Ans - à 1492 - année qui voit la fin de la Reconquista en Espagne et le ďébarquement de Christophe Colomb dans le Nouveau-Monde, on n'a pas encore répondu à la question de savoir pourquoi les hommes de ce que l'on appelle la Renaissance se comportent encore pour partie -si ce n'est en totale continuité - comme ceux du XVe siècle ? Même ce que l'on va désigner sous les termes de Réforme protestante n'est-il pas l'aboutissement de ce qui s'est produit avant, comme une tentative de réponse à des questions soulevées depuis des siècles ? L'HISTOIRE ne se découpe pas abusivement en tranches, comme on le croit un peu facilement. Et les périodes dites de "crise" ne sont finalement pas moins riches que celles que l'on qualifie de "dorées". Les 14e et 15e n'ont finalement pas moins apporté de nouveautés et/ou d'évolutions que les 13e et 16e siècles. Cela se voit mieux quand l'on cesse de schématiser, classifier et périodiser. La Renaissance n'a pas moins éte cruelle que le Moyen-Âge et celui-ci n'a pas moins vu d'avancées artistiques et politiques, entre autres choses, que le 16e siècle, même si ce dernier a rompu avec l'art gothique - évolutif depuis les XIIe et XIIIe siècle - pour renouer avec l'art gréco-romain - mais pas sans adapter encore pendant un temps une ultime forme de l'art ogival. Tout rentre bien dans tout, en dépit des affirmations de rupture.
Alors, il serait bien de "revisiter" le sujet traité par J. Huizinga, de manière à nuancer encore plus qu'il ne l'a fait.

François Sarindar
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"Toute époque aspire à un monde plus beau. Plus le présent est sombre et confus, plus ce désir est profond. Au déclin du moyen-âge, la vie s'emplit d'une sombre mélancolie."

Un vieux souvenir de fac... le pire examen de l'année. le meilleur professeur. La sensation odieuse d'une tête complètement vidée de sa substance : le cerveau, cuit par la canicule précoce de cette fin mai, essaie de trouver la réponse à la question toute simple :
"Avez-vous lu "L'automne du Moyen Âge" ?
- Ehm... hm... nonhm...
- Dites-moi de quoi parle ce livre. Ce que vous imaginez qu'il pourrait contenir. Courage, vous allez trouver !
- Si vous le croyez..." (ha, certainement !)
Quand je suis ressortie d'un pas incertain au soleil, dans l'affreuse veste vert pomme, la tête me tournait encore. Pendant presque deux heures, on a discuté d'un livre que je n'ai même pas ouvert. Mais aussi de l'art sacré et profane, de l'architecture "flamboyante" du moyen-âge déclinant, de l'amour courtois et des idéaux chevaleresques qui n'étaient alors plus qu'un reflet sentimental de la gloire passée, de la mentalité des gens capables de pleurer pendant des semaines un roi qu'ils n'ont jamais vu, ou commettre un meurtre quand leur adversaire trichait aux échecs. Des prémices timides de la Renaissance dans une époque languissante pleine de codes et symboles obscurs, passions, larmes, contrastes et extrêmes. Et je voulais vraiment lire ce Huizinga !

Rien que le titre "L'automne du Moyen Âge" prépare déjà le lecteur à un fastueux saltarello allégorique, où les dates, les noms et les événements mènent la danse avec l'art et la culture, et créent un tourbillon de chaos parfaitement organisé.
Avec sa fresque expressive, Huizinga ressuscite les dernières décennies du moyen-âge agonisant. Il l'adore, et il ne le cache pas : son ouvrage est une sorte d'élégie, un soupir mélancolique sur un monde disparu, et ceci dès les premières lignes - "Quand le monde était de cinq siècles plus jeune qu'aujourd'hui, les événements de la vie se détachaient avec des contours plus marqués".
Le livre, inspiré par l'oeuvre de Jacob Burckhardt, est conçu comme une mosaïque impressionniste qui mélange les observations de l'auteur avec de nombreuses descriptions et anecdotes cueillies chez les chroniqueurs d'époque, et des citations fragmentaires : ce qui peut paraître de près comme des taches de couleur disparates révèle avec un peu de recul tous les aspects de la culture médiévale tardive dans un surprenant ensemble. Un tel livre ne peut pas rester froidement objectif, ni suivre aucune thèse centrale clairement définie, malgré sa division en cercles thématiques.
L'auteur se concentre sur la période du bas moyen-âge (15ème siècle), en particulier en France et dans les pays de l'actuel Benelux. Il parle avec passion de la culture de l'époque : ce qu'on comprend traditionnellement comme les événements "historiques" (guerres, politique, économie) est plus ou moins éclipsé en faveur des arts (les célèbres Danses macabres ou la peinture flamande) et de la littérature (poésie lyrique courtoise). Il considère la diversité et l'intensité des contrastes de la vie quotidienne comme les traits principaux de l'époque, et il accentue avec un plaisir non-dissimulé les facettes bizarres, parfois grotesques, de la façon de penser de nos ancêtres. Il ne prétend pas présenter ces faits comme quelque preuve de la "mentalité" médiévale, mais cette mosaïque finement composée la reflète aussi bien que n'importe quel miroir. (Les limites que pouvait atteindre tant l'appétence que le dédain pour la vie terrestre seront ensuite parfaitement décrits par M. Bakhtine dans "L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire".)

"L'automne du Moyen Âge" (1919), considéré désormais comme un classique, n'est donc pas un manuel foncièrement rébarbatif destiné aux étudiants en histoire, mais un ouvrage "littéraire", qui prouve que la distance entre l'hagiographie et la fiction n'est parfois qu'illusoire. Huizinga est un bon narrateur et un excellent styliste, et il est impossible ne pas le recommander... même s'il pourrait s'avérer quelque peu dangereux pour une toute première excursion au moyen-âge. Comme un mystérieux feu follet, il peut conduire le lecteur au milieu de la forêt médiévale, touffue, enchanteresse et pleine de dangers, et le laisser errer sans plus lui indiquer le chemin.
Un livre sur l'art et l'esprit du moyen-âge qui est déjà une oeuvre d'art en soi, quoi vouloir de plus ? 5/5
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Paru en 1919, ce livre est en avance sur son temps. Bien avant le début de la Nouvelle histoire (pour situer, 1919, c'est l'année de naissance de Georges Duby), il s'attache à faire une histoire des mentalités aux XIVème et XVème siècles, quand la fin du Moyen-âge s'entrelace avec le début de la Renaissance.

Parce que l'intention de l'auteur, c'est de montrer que la Renaissance est loin de la rupture présentée par ses prédécesseurs, dont l'incontournable Jules Michelet. Et pour ce faire, il va puiser à toutes les sources disponibles : les arts plastiques, la littérature, les écrits philosophiques, énormément de chroniques, quelques éléments notariés ou d'état civil…
Ce faisant, il se perd un peu en chemin, oublie parfois son objectif initial pour s'abîmer dans son étude des mentalités du Moyen-âge. Et ce n'est pas dommage, parce qu'il est passionné par son sujet et nous transmet cette passion pour cette époque « primitive » parce que si contrastée.
Néerlandais, Johan Huizinga s'intéresse aux deux grands ensembles rivaux que sont alors le duché de Bourgogne, qui va de la Bourgogne aux Pays-Bas en passant par la Champagne et la Belgique, et le royaume de France, celui de Charles VI à Louis XI, où le fier hexagone d'aujourd'hui est tout rogné à l'ouest et nord-ouest par les possessions anglaises consécutives à la Guerre de Cent Ans, et à l'est par ce duché de Bourgogne. Dont les monarques sont tous des cousins, les Valois.
Une société figée, lourde jusque dans ses vêtements d'apparat ou blasons trop chargés.

Époque contrastée donc.
Contraste entre des conditions de vie très rudes, aggravées par les exactions induites par les guerres, où la vie se trouve brutalement interrompue par la maladie ou la mort, et la joie de vivre qui se manifeste bruyamment à la moindre occasion festive. Une part non négligeable de ces occasions sont les entrées des souverains dans les villes de leurs territoires, donnant lieu à des festivités qui sont chroniquées et procurent ainsi à l'historien autant de détails sur la vie des petites gens.
Contraste entre l'omniprésence de la religion et l'irrespect, voire les blasphèmes, que génère cette proximité, sans vraiment penser à mal.
Dans ce domaine, contraste entre les développements complexes des écrits dogmatiques et les sujets d'adoration populaire encore emprunts de paganisme primitif. L'Église si prompte à pourchasser brutalement les hérésies laisse avec bonhommie passer ces coutumes populaires. Et sait le justifier.
Contraste encore entre les idéaux chevaleresques, y compris les développements insensés de l'amour courtois ou de l'honneur des gentilshommes, et la trivialité de la vie réelle. Décalage dont les gens ne sont pas dupes et rient grassement.

La pensée du Moyen-âge est empreinte de néo-platonisme, de catégories idéales hiérarchisées, et remplace le raisonnement de causalité par celui des analogies, qui s'écrivent généralement sous forme d'allégories.
On découvre alors ces énumérations invraisemblables, où la multitude est censée renforcer le pouvoir de conviction. La littérature du Moyen-âge, notamment le fameux Roman de la Rose, se perd dans un fatras de détails et d'allégories. Huizinga explique cette lourdeur des écrits de toutes sortes, même s'il est visiblement admiratif (et soulagé) des brusques traits de simplicité et de réalisme chez quelques chroniqueurs ou par le bain de jouvence qu'est François Villon.
Ce mode de pensée est en revanche source de merveilles en peinture. Il faut regarder les oeuvres de la fin du Moyen-âge au-delà de la représentation très convenue, parce que devenue très codifiée, du sujet principal. Là, le goût de l'énumération se traduit par un luxe de détails représentés avec un réalisme fantastique, notamment chez van Eyck, que l'auteur apprécie énormément.

La nouveauté de la Renaissance sera de savoir simplifier, synthétiser, permettre une vision d'ensemble. Bien davantage que de revenir aux thèmes et personnages classiques antiques, qui n'avaient jamais totalement disparus.
Évidemment, Huizinga relève des aspects renaissants antérieurs à la fin du XVème siècle et, inversement, des aspects moyenâgeux bien postérieurs. S'il ne nie pas la nouveauté, il la replace comme une évolution plutôt qu'une rupture.

Ce livre est finalement un formidable voyage dans une époque de déclin certes, où les idéaux nés au XIIème et XIIIème siècles sont affadis par la somme des gloses et codifications, mais qui recèle pourtant des merveilles d'ingénuité, de beauté et d'ironie, parfois d'une modernité surprenante.

Petit avertissement : ce livre n'est malheureusement pas si facile à lire, parce qu'il contient beaucoup de citations en français de l'époque et quelques unes en latin, très rarement traduites. Mais il vaut largement l'effort.
Et petit bémol : de trop nombreuses coquilles émaillent cette édition de la Petite Bibliothèque Payot.
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L'automne du Moyen Age est parfois aussi appelé de son titre officieux : le Déclin du Moyen Age. En privilégiant le premier titre, John Huizinga se met au diapason de l'esprit médiéval fin d'époque tout en allégories et en symboles épuisés.


Publié en 1905, ce livre propose une nouvelle vision du Moyen Age. John Huizinga ne s'accorde pas avec l'analyse d'un autre grand historien de son époque, Jules Michelet, et abolit la notion de démarcation nette séparant le Moyen Age de l'esprit De La Renaissance français. L'automne du Moyen Age, dans un flou indistinct, se fond en partie dans le printemps De La Renaissance. le XVe siècle médiéval ne s'exalte pas mais est décrit comme un siècle d'épuisement pessimiste dont la langueur aura peut-être permis la réaction humaniste qu'on lui connaît, quelques décennies plus tard. Au moment de la publication de ce livre, John Huizinga renouvelle la vision du Moyen Age tardif en piochant dans de nombreuses sources. Il s'intéresse notamment aux témoignages de la vie quotidienne qui exaltent une fougue destructrice dans tous les actes les plus anodins, révélant si ce n'est l'ambivalence d'une population partagée entre la foi exaltée et une excentricité parfois païenne, au moins la tendance à l'exagération d'une époque qui passe d'un extrême à un autre sans jamais toucher le juste milieu. John Huizinga nous décrit tout un paradigme malaxé par des concepts qui trouvent le nom de chevalerie, de courtoisie, et bien évidemment de religion. Importants, ces idéaux qui seront déclinés en images, symboliques et lieux communs, pétrissent toute une vie culturelle et constituent les fondations d'une oeuvre littéraire directement appréciable par ses contemporains lorsqu'elle nous semble dépourvue de signification. John Huizinga nous présente quelques poètes connus, tels Catherine de Pisan ou l'auteur du Roman de la Rose, mais il cite également poètes et poèmes oubliés, oeuvres si imprégnées de leur époque qu'elles n'y survécurent. John Huizinga éclaire notre connaissance des oeuvres littéraires et picturales rescapées de cette époque : si tout n'est qu'allégorie, symboles et religion, si cet ensemble fantasque nous semble être le reflet d'un esprit labyrinthique s'amusant aux jeux du travestissement, ce n'est en réalité que mécanismes de pensée –tout au moins au XVe siècle lorsque, après des siècles médiévaux peut-être plus vivants, toutes les combinaisons allégoriques ont été épuisées. La foi elle-même, devenue réservoir de lieux communs, ne se veut plus expression d'un dévouement pur à Dieu. Les oeuvres de ceux que nous appelons « mystiques », parce qu'ils empruntent au spirituel, apparaissent alors comme les philosophes d'une époque marquée par le paradigme catholique.


Indispensable pour mieux comprendre le Moyen Age, cet Automne prouve également de sa puissance en nous révélant, après lecture, qu'il a su parler indirectement de notre époque en soulignant tous les phénomènes qui semblent se répéter cycliquement d'un paradigme à un autre. Passons d'une dénomination à une autre et c'est notre société qui semble à son tour décrite.

Lien : http://colimasson.over-blog...
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Saisir les frémissements d'un temps nouveau quand se meurt une époque, voilà ce que tente ce livre. Il s'attache à décrire l'écorce médiévale qui se vide de sa sève et il passe en revue les idéaux qui se figent : la chevalerie qui, toute puissante dans la représentation, se fait déjà Don Quichotte dans la réalité; l'amour courtois, qui se perd sous des symboles qui se multiplient à foison; la foi chrétienne, qui devient album d'images arrêtées ou folies de saints jusqu'au-boutistes; l'apparat des cours, qui sous sa chatoyance ne bouge plus; la pensée, qui se noie dans l'allégorie et le détail; l'art, qui enlumine plus qu'il illumine; les lettres, qui ressassent la parole creuse d'un âge qui n'invente plus rien. Certes, on aurait aimé que l'enquête s'attache aux petites gens, on aurait bien voulu voir un peu du quotidien d'un temps oublié, mais le spectacle d'un monde qui se vide de sa substance (comme le nôtre?) incite à réfléchir. La question que pose ce livre est la suivante : comment une civilisation meurt-elle? Elle esquisse alors une autre question : comment ensuite renaît-elle?
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Citations et extraits (63) Voir plus Ajouter une citation
Dans la dureté de cœur de cette époque, il y a un élément ingénu qui nous empêche presque de la condamner. Au milieu d'une épidémie qui ravageait Paris, les ducs de Bourgogne et d'Orléans demandent l'établissement d'une cour d'amour en guise de distraction. Pendant une trêve à l'horrible massacre des Armagnacs en 1418, le peuple de Paris institue dans l'église Saint-Eustache la confrérie de Saint-André ; prêtres et laïcs portent une couronne de roses rouges ; l'église en est parfumée «comme s'il fust lavé d'eau rose ». Le peuple d'Arras célébra l'annulation des procès de sorcellerie qui avaient en 1461 infesté la ville comme une épidémie, en instituant un concours pour la représentation de « folies moralisées » : premier prix, un lis d'argent ; quatrième prix, une couple de chapons. Les victimes qui avaient péri dans les tortures étaient bien oubliées.
La vie était si violente et si contrastée qu'elle répandait l'odeur mêlée du sang et des roses. Les hommes de cette époque, géants à têtes d'enfants, oscillent entre la peur de l'enfer et les plaisirs naïfs, entre la cruauté et la tendresse. Dédain absolu des joies de ce monde, ou fol attachement aux jouissances terrestres, haine ou bonté : ils vont toujours d'un extrême à l'autre.
Peu de chose nous a été conservé du côté clair et joyeux de cette époque : il semble que l'heureuse douceur et la sérénité de l'âme du XVe siècle se soit fondue dans sa peinture ou cristallisée dans la claire pureté de sa musique. Le rire de ces générations est éteint ; son goût de la vie et sa joie insouciante ne demeurent que dans la chanson populaire et la farce. Partout, en dehors des arts, règne l'obscurité. Dans les avertissements menaçants des sermons, les soupirs et la lassitude exprimés dans la littérature, les récits monotones des chroniques et des documents, partout crie le péché et gémit la misère.
Après le moyen-âge, les péchés capitaux d'orgueil, de colère et d'avarice n'ont plus retrouvé l'insolence éhontée avec laquelle ils s'étalaient dans la vie des siècles antérieurs.
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Depuis le temps des troubadours, une grande place dans les conversations courtoises était remplie par la casuistique de l'amour. C'était, si l'on peut dire, la curiosité et la médisance élevées au rang de littérature. La cour de Louis d'Orléans avait comme agréments des repas, non seulement « beaulx livres, dits, ballades », mais aussi « demandes gracieuses ». Celles-ci sont surtout posées aux poètes.
Une compagnie de dames et de seigneurs vient vers Machaut avec une série de « partures d'amours et de ses aventures ». Dans son Jugement d'amour, le poète avait défendu cette thèse : la dame à qui la mort enlève son amant est moins à plaindre que l'amante d'un ami infidèle.
Chaque cas est ainsi discuté d'après des normes sévères. - « Beau sire, que préféreriez-vous : ou entendre dire du bien de votre dame et n'en pas trouver en elle, ou en entendre dire du mal et n'y trouver que du bien ? » A quoi la conception très formaliste de l'honneur obligeait de répondre : «Dame, j'aroie plus chier que j'en oïsse bien dire et y trouvasse mal. »
Si une dame est trahie par son premier amant, agit-elle déloyalement en en prenant un second plus fidèle ? Un chevalier qui a perdu tout espoir de voir sa dame, sévèrement gardée par un mari jaloux, peut-il enfin se tourner vers un nouvel amour ? Si un chevalier délaisse la bien-aimée pour une dame de haut parage qui le refuse, et si, après cela, il désire rentrer dans les grâces de la première, celle-ci peut-elle honorablement le lui accorder ?
De cette casuistique, il n'y a qu'un pas vers le traitement de questions d'amour sous forme de procès, comme dans les Arrestz d'Amour de Martial d'Auvergne.
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Egalement particulières à l'idéal courtois, également stéréotypées et théoriques sont les idées que la véritable noblesse est celle de la vertu et qu'au fond, tous les hommes sont égaux. On a parfois exagéré la signification historique de ces deux conceptions. L'idée que la vraie noblesse est celle du coeur a été considérée comme un triomphe de la Renaissance : on a cité à ce propos la pensée exprimée par le Pogge dans son De Nobilitate. On aime à reconnaître le premier signe d'égalitarisme dans la phrase révolutionnaire de John Ball : "Quand Adam bêchait et qu'Eve filait, qui donc était gentilhomme ?" Et l'on croit que la noblesse devait trembler.

Ces deux concepts étaient depuis longtemps des lieux communs de la littérature courtoise, tout comme ils le furent dans les salons de l'ancien régime. L'idée de la noblesse du coeur était sortie de la poésie des troubadours et de l'exaltation de l'amour courtois. Elle restait une considération morale dépourvue d'aucun but social.
"Dont vient à nous souveraine noblesse ?
Du gentil cuer, paré de nobles mours.
... Nulz n'est vilains se du cuer ne lui muet." (Eustache Deschamps)

La notion d'égalité avait été empruntée par les Pères de l'Eglise à Cicéron et à Sénèque. Grégoire le Grand avait donné au Moyen Age finissant la phrase : "Omnes namque homines natura aequales sumus" (nous sommes tous, hommes, égaux par nature). Elle fut répétée sur tous les tons, mais sans aucun propos de diminuer l'inégalité existante. Car, pour l'homme du Moyen Age, cette idée visait, non point une impossible égalité future dans cette vie, mais la très proche égalité dans la mort. Chez Eustache Deschamps; nous la retrouvons en rapport direct avec la danse macabre, faite pour consoler de l'injustice de ce monde.

pp. 91-92
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Le désir de gloire personnelle est considéré par Burckhardt comme la caractéristique de l'homme de la Renaissance. A l'honneur et à la gloire de classes, qui animent la vie médiévale en dehors de l'Italie, il oppose un sentiment de gloire et d'honneur humains, auquel depuis Dante, et sous l'influence des modèles antiques, aspire l'esprit italien. Il me semble que c'est ici l'un des points où Burckhardt exagère la distance qui sépare le Moyen-Age de la Renaissance, l'Europe occidentale de l'Italie. Cette soif de gloire et d'honneur, propre à l'homme de la Renaissance, est, dans son essence, l'ambition chevaleresque d'une époque antérieure ; elle est d'origine française ; c'est l'honneur de classes étendu, dépouillé du sentiment féodal et fécondé par la pensée antique. Le désir passionné d'être prisé par la postérité n'était pas plus étranger au chevalier courtois du XII°s et aux rudes capitaines du XIV°s, qu'aux beaux esprits du Quattrocento. D'après Froissart, l'accord conclu avant le combat des trente (27 mars 1351) entre messire Robert de Beaumanoir et le capitaine anglais Robert Bamborough se termina par les paroles de ce dernier : "et ainsi nous ferons en sorte qu'on en parle dans les temps à venir, en salles et en palais, sur les places publiques et autres lieux du monde entier." Chastellain, bien que complètement médiéval par l'estime en laquelle il tient l'idéal chevaleresque, n'en exprime pas moins l'esprit de la Renaissance, lorsqu'il dit :
"Honneur semont toute noble nature
D'aimer tout ce qui noble est en son estre.
Noblesse aussi y adjoint sa droiture."

p. 99
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A côté de ce romantisme de la chevalerie, on pourrait placer le romantisme de la sainteté, si l’on entendait par là le besoin de créer la représentation idéale d’une forme de vie déterminée. Il est remarquable que de tout temps, ce romantisme de la sainteté se soit plu davantage aux excès de l’humilité et de l’ascétisme qu’aux brillants exploits mis au service de la religion. L’Eglise a parfois canonisé les grands hommes d’action qui ont relevé ou assaini la culture religieuse, mais l’imagination populaire s’est attachée de tout temps au surnaturel et à l’extrême.
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