Jaune de chrome

- Voilà Érasme, homme de raison s'il en fut jamais. On commença par l'écouter - virtuose nouveau jouant de cet instrument élégant et plein de ressources qu'est l'intellect ; on l'admira même, on le vénéra. Mais les a-t-il incités à se conduire comme il voulait qu'ils le fissent - raisonnablement, décemment, au pis-aller un peu moins dégoûtamment qu'à l'ordinaire? Non pas. Et puis apparaît Luther, violent, passionné, dément follement convaincu au sujet de choses qui ne peuvent comporter de convictions. Il cria, et les hommes se précipitèrent à sa suite. On n'écouta plus Érasme ; il fut honni parce qu'il était raisonnable. Luther était sérieux, Luther était la réalité - comme la Grande Guerre. Érasme n'était que la raison et la décence ; il lui manquait le pouvoir, étant un sage, de pousser les hommes à l'action. L'Europe suivit Luther et s'embarqua dans un siècle et demi de guerres et de persécutions sanglantes. C'est une histoire mélancolique.

Il était près de midi et demi Il venait de rentrer de l'église, enroué et las d'avoir prêché. Il prêchait avec fureur, avec passion, homme de fer, battant à coups de fléau les âmes de ses ouailles. Mais les âmes des fidèles, à Crome, étaient en caoutchouc, en caoutchouc massif ; le fléau rebondissait. Ils étaient habitués à Mr. Bodiham, à Crome. Le fléau tapait sur du caoutchouc, et bien souvent le caoutchouc était endormi.

On arrive auprès des grands chefs-d’œuvre du passé, en s'attendant à quelque illumination miraculeuse, et l'on ne trouve, en les ouvrant, que les ténèbres, la poussière et une légère odeur de délabrement. Après tout, qu'est-ce que la lecture, sinon un vice, comme la boisson, la luxure, ou tout autre forme de sybaritisme excessif ? On lit pour se chatouiller et amuser l'esprit; on lit, surtout, pour s'empêcher de penser.

Car c'est l'émotion qui importe. L'oeuvre écrite est simplement une tentative en vue d'exprimer l'émotion, laquelle est elle-même inexprimable - dans le langage de l'intellect et de la logique. Le mystique concrétise une sensation ardente au creux de l'estomac, pour en faire une cosmologie. Pour les autres mystiques, cette cosmologie est un symbole de la sensation ardente. Pour les non-religieux, elle n'est le symbole de rien, si bien qu'elle paraît simplement grotesque. C'est là un fait mélancolique !... Mais je divague.
Mr. Scogan se ressaisit.

[...] tous les grands hommes que le monde a connus ont été marqués par la même particularité, et cela, pour une raison simple et évidente : la grandeur n'est rien de plus, ni de moins, que le fonctionnement harmonieux des facultés de la tête et du coeur [...]