AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Woland


Brave New World
Traduction : Jules Castier

ISBN : 9782266128568


Oui, je sais, il est d'usage, trop souvent, de voir en "Le Meilleur des Mondes" un ouvrage de SF. Personnellement, ayant lu d'autres livres de son auteur, je préfère le placer dans notre rubrique "Littérature anglo-saxonne ..." où vous trouverez d'ailleurs également l'éblouissant "1984" de George Orwell.

Que dire du "Meilleur des Mondes" ? Avant tout que sa construction a quelque chose d'incontestablement foutraque. James Joyce a fait mieux puisque son "ulysses" est beaucoup plus épais et rebondi et que, pour autant que je sache, l'Irlandais ne se livrait, en le rédigeant, à aucune expérience hallucinogène. Huxley au contraire aimait ce genre de choses, habitude qui, plus tard, lui permettra de devenir l'un des maîtres à penser des premiers hippies. (Nul n'ignore que c'est dans "Les Portes de la Perception", essai fameux d'Huxley sur ses expériences, que Jim Morrison, l'emblématique chanteur des "Doors", trouvera le nom du groupe qu'il avait formé avec Ray Manzanek.)

Foutraque, disais-je. Oui. Diablement foutraque. Parce que, dès le début - très, très lourd, même en anglais, langue plus "directe" et certainement plus pragmatique que le français - le lecteur se demande non seulement s'il aura la force de suivre - cette force, vu la théorie défendue par Huxley, on peut la trouver - mais aussi parce qu'il ne parvient pas à discerner avec netteté qui est un héros potentiel, qui ne l'est pas. Même dans les dystopies, on aime bien savoir à qui l'on a affaire. ;o)

Huxley - et c'est tout à son honneur, car le pari était gros - a choisi d'attaquer en entraînant d'office son lecteur au Centre d'Incubation et de Conditionnement de Londres-Central, dans une visite qu'y font des étudiants sans que leur soit épargné un seul service. Conditionnement : le mot est écrit, dit et répété et là où nous sursautons avec horreur, les personnages de l'auteur anglais se pâment d'émerveillement. Peu à peu, on comprend que le mode de procréation habituel aux mammifères, avec les relations parents-enfants qu'il suppose, a été remplacé par la conception par éprouvettes et le conditionnement des enfants, dès l'éprouvette même, afin qu'ils deviennent des citoyens "heureux".

La société idéale imaginée par Huxley repose sur cinq castes. Tout au haut de la pyramide, les plus beaux, les plus vigoureux et les plus intelligents, ceux qui peuvent prétendre à diriger, les Alpha - il y a aussi des Alpha-moins et des Alpha-plus, voire plus-plus mais, même si vous êtres un Alpha-moins, vous êtes tout de même quelqu'un qui compte. Juste au-dessous, les Bêta, "citoyens" eux aussi d'un niveau assez élevé. Puis viennent les Gamma, équivalent, en quelque sorte, de nos "classes moyennes". Mais après, ma foi, après, c'est la dégringolade des Delta et des Epsilon - parfois des Epsilon-avortons. Sachez que, pour conditionner ces derniers, on mêle, à un certain moment de leur développement en flacons, une dose excessive d'alcool au sang qui alimente leur plasma ...

Parfois, il peut y avoir des erreurs. Ainsi, Bernard Marx, l'un des personnages principaux, un Alpha de très haut niveau, qui est pourtant très peu heureux dans sa peau, passe pour avoir reçu une dose d'alcool alors qu'il était encore dans son flacon. Ce qui expliquerait sa petite taille, sa laideur et peut-être sa façon étrange de se conduire : il a beaucoup de mal à se faire des relations sociales et regarde avec mépris, même s'il s'en défend, la prise régulière de soma, ce "médicament" qui permet à n'importe quel membre de ce monde en théorie parfait de se mettre "en congé" de tout ce qui l'entoure en se plongeant dans une léthargie quasi-absolue pendant un, deux ou trois jours, voire plus.

Bernard n'a qu'un seul "ami", Helmholtz Watson, un Alpha lui aussi mais un Alpha physiquement dans les normes. Intérieurement, par contre, il présente toutes les caractéristiques de l'artiste et même de l'écrivain. Son rêve, d'ailleurs, c'est écrire de la poésie ... Vous imaginez l'horreur ? Côté sentiments, Bernard est amoureux fou de Lenina Crowne, une très jolie Bêta qui, selon les us et coutumes de l'époque, se fait régulièrement "prendre" (sic) par plusieurs hommes. (On notera que l'idée de l'homosexualité, du lesbianisme ou encore de la simple bisexualité est inconnue du Meilleur des Mondes.) Si le sexe a droit de cité, le sentiment exclusif, en revanche, est une déviance. Quant à l'idée de vivre en couple et d'avoir un enfant ... C'est bien simple : le mot "mère" est désormais un mot pornographique et le mot "père" - pour une raison non précisée mais qui m'a personnellement beaucoup amusée - relève pour sa part du domaine de la scatologie. (Oui, vous lisez bien et j'ignore tout des relations entretenues par Huxley avec son propre père. )

Lors de courtes "vacances" avec Lenina, Bernard visite une "réserve de Sauvages". le couple de brillants Alpha a la stupeur d'y rencontrer John, plus tard surnommé "le Sauvage", et que Bernard tient à ramener à la "civilisation" en compagnie de sa mère, Linda, pour contrer une intrigue montée contre lui par le Directeur du Centre d'Incubation, etc, etc ...

Evidemment, tout cela va mal se terminer. Féru de Shakespeare - le titre anglais du livre est d'ailleurs tiré de "La Tempête" - John est d'abord fasciné, puis épouvanté par la société qu'il découvre. Comme il le dira lui-même, "il y a des choses agréables" mais ...

Le "mais" terrible qu'inspire "Le Meilleur des Mondes" ... Avec toute une foule de questions. Car, l'Administrateur Mustapha Menier, à la toute fin du roman, a beau expliquer (et il est sincère) que, au départ, ce cauchemar a été créé pour rendre les gens heureux et faire taire toutes les guerres - c'est curieux, ça me fait penser à autre chose, ce genre de raisonnements, mais à quoi, déjà ? - il n'en reste pas moins que sont devenus vérités d'Evangile une Génétique en folie qui frôle l'eugénisme pur et dur, un insoutenable contrôle physique et mental des êtres, une dictature qui ne dit pas son nom mais s'impose partout, un pseudo-progrès qui a beaucoup du Grand-Méchant Loup cherchant à dissimuler son sourire hideux sous le bonnet de nuit de la bonne Grand-Mère qu'il vient de dévorer, une mauvaise foi étatique absolue - si la société est si parfaite, pourquoi ses membres doivent-ils, sous peine de "péter les plombs", il n'y a pas d'autres termes, prendre régulièrement les doses de soma que leur distribue l'Etat ? - et bien entendu la mise au ban de la société toutes sortes de question morales et spirituelles.

Mais ce que, faute de mieux, nous nommerons ici "le spirituel" résiste. Ainsi, Linda, pourtant conditionnée dès son flacon pour ne jamais s'occuper d'un enfant, ne peut s'empêcher, malgré tout, d'aimer John. Peut-être pas avec toute l'intensité d'une mère non conditionnée mais n'empêche : l'instinct se réveille. Et cet aspect du récit est d'ailleurs l'un des plus importants. de son côté, même s'il rit sans contrainte de "Roméo et Juliette", Helmholtz ne peut renoncer à la poésie, à la créativité débridée. Jusqu'à Mustapha Menier qui, dans sa jeunesse, s'est vu lui aussi menacer de déportation dans une île parce qu'il aimait un peu trop la physique ... et l'abstraction.

"Le Meilleur des Mondes" est un roman qu'il faut lire. Pourtant, je le répète, il est construit à la va-comme-je-te-pousse, dans un style lourd et donne l'impression fréquente de vouloir bourgeonner dans tous les sens. le changement de "personnalité" de Bernard après son retour de la "Réserve" ne paraît pas non plus très naturel. Cela dit, je pense que ma lecture de ce livre a souffert du fait que j'ai lu "1984" en premier. Si légitimes que soient les questions soulevées par Huxley dans son "Meilleur des Mondes", sa technique et la forme d'absurdité qu'il a choisie pour traiter son récit, elles ne tiennent pas la route devant la solidité d'Orwell, sa détermination, son aisance dans la construction de son livre ainsi que la grande cohérence qu'il donne au psychisme de ses personnages.

Mais bien sûr, ce n'est là qu'un avis personnel. ;o)
Commenter  J’apprécie          315



Ont apprécié cette critique (25)voir plus




{* *}