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Critique de Ys


Ys
24 septembre 2015
Là-bas, c'est cet ailleurs, cet autre chose à demi fantasmé auquel aspirent les âmes écoeurées du quotidien sordide, de l'enlisement dans le médiocre. Un ailleurs où l'esprit pourrait prendre son essor, épuré des boues terrestres, des dégoûts, des lassitudes. Un ailleurs inaccessible sinon par le rêve, l'imagination, l'écriture - ou la religion.

Pour Durtal, écrivain fatigué par le matérialisme triomphant du XIXe siècle, que le christianisme fascine sans savoir le convaincre, cet ailleurs s'incarne dans le Moyen-Âge, époque plus spirituelle, plus pure et plus naïve, où la brutalité des moeurs se relevait toujours par les élans d'une foi sans entraves. En semi rupture avec le naturalisme, auquel il reconnait la capacité à saisir, mieux que tout autre courant, la dimension charnelle, matérielle, de l'humain, mais à qui il reproche de s'arrêter là, d'ignorer le goût du mystère et les élans de l'âme, il imagine une nouvelle littérature, un matérialisme spiritualiste, autrement plus complet, et rédige en parallèle une biographie de Gilles de Rais.
Gilles de Rais - le preux compagnon de Jeanne d'Arc, l'ami fidèle, le seigneur raffiné épris d'art et de beauté, fasciné par l'alchimie et tombé dans les tréfonds du satanisme le plus sulfureux, dans les invocations, les sacrilèges, les enlèvements, les viols, les tortures, avant de se jeter à corps tout aussi éperdu dans les élans du repentir : qui, mieux que lui, incarne les excès du corps et de l'âme, l'absolu dans le mal et dans le bien ?

A mesure que son récit avance, l'existence de Durtal se met, elle aussi, à osciller entre deux pôles d'attraction. D'un côté, les discussions sur la spiritualité chrétienne et l'inévitable persistance du satanisme, avec quelques amis choisis, dans les tours de Saint-Sulpice. de l'autre, une femme - une femme étrange, insaisissable, très froide et très exaltée, une femme double qu'il ravale à la chair pour mieux s'en dégoûter, faute d'accepter en elle l'incarnation très réelle (trop sans doute) de ses fantasmes. Gilles est un homme, un mythe, un personnage que le point de vue de l'écrivain modèle à sa guise. Elle est femme, bien réelle, contemporaine, mue par une volonté impénétrable - une volonté tout à la fois très virile, et très féminine dans son mystère. Douteuse, donc, et dangereuse. Ces êtres en qui s'allient et se combattent les rages folles des sens et les plus beaux élans de l'esprit font des compagnons imaginaires parfaits, mais ne sauraient être tolérés comme relation réelle pour un homme comme Durtal, que le réel rebute tant, et qui ne sait guère qu'aspirer sans passion à des élans qu'il ne saurait atteindre. Un homme, qui plus est, imprégné de tous les préjugés sur la femme que le XIXe siècle a couronnés. Bien de son temps, sur ce point, Durtal, et avec une petitesse admirable malgré son dégoût pour les petitesses de son temps.

Chrétien, au fond, il l'est jusqu'à la moelle - non par la croyance, non par la foi, mais par l'appartenance morale, jusque - et surtout - dans ses aspects les plus déplaisants, les plus étriqués. Il en a gardé le pire - l'incapacité à concilier les élans contradictoires de l'homme, de ses deux natures terrestre et spirituelle - mais sans l'élan de la foi qui pourrait le sauver. Empêtré dans son impuissance, d'un pessimisme obstiné, incapable de rire de tout cela, mais très lucide sur lui-même et ne renonçant jamais à ses désirs d'absolu, il est à la fois assez déplaisant et assez touchant.
Parfaite incarnation de ce naturalisme spirituel qu'il cherche à définir au début du roman, et que Huysmans illustre avec beaucoup de talent en mettant côte à côte pot au feu et discussions théologiques, symbolisme satanique et séance de ménage avant rendez-vous galant. Les deux sont également évocateurs sous sa plume, qui elle-même allie quelques tics des écrits naturalistes aux beautés des mots rares, la recherche de précision et le goût de l'étrangeté.
Un mariage très à mon goût, même si l'esprit ne l'est pas tout à fait.
Lien : http://ys-melmoth.livejourna..
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