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EAN : 9782268013046
468 pages
Les Editions du Rocher (24/03/1992)
3.72/5   59 notes
Résumé :

Tous les matins, Durtal savoure le moment délicieux où les ténèbres de la forêt tiède l'accueillent au sortir de la place que balaie l'âpre vent de Beauce.

Cette forêt symbolique aux troncs séculaires, fabuleux arbres blancs dont la cime se perd dans l'ombre que n'éclaire aucune étoile, c'est la Cathédrale. Durtal est venu s'installer à Chartres sur les instances de son ami l'abbé Gévresin. N'aura-t-il pas là toute la paix qu'il cherche pour ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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De ce livre foisonnant, érudit, citant entre autres (entre milliers d'autres)Isidore de Séville et Saint Augustin, racontant notre Moyen Age avec ardeur et passion, nous régalant de l'explication du Couronnement de la Vierge de Fran Angelico au Louvre, et, surtout, écrit de façon éperdument enthousiaste, sublimement lyrique, épanouie, de ce livre, donc, je vais essayer, en me sentant toute petite, de communiquer ma lecture.
Dans la Cathédrale, le héros de Huysmans se demande : suis-je plus heureux qu'avant ma conversion ? et la réponse est donnée par le foisonnement des symboles présentés dans les cathédrales, et en particulier dans Notre-Dame de Chartres, cette « blonde aux yeux bleus. ».Selon Durtal, critique d'art comme son auteur Joris-Karl Huysmans, descendant de peintres hollandais et lui- même critique d'art, Chartres est la seule cathédrale à avoir gardé une âme, la cathédrale de Paris étant, après tous ses remaniements, devenue froide. (Elle a eu un coup de chaud par la suite, mais c'était imprévisible).
Chartres a été romane, art venant d'Asie, comme l'attestent ses vierges noires et sa crypte perse. Durtal se demande pourquoi les hommes ont voulu par l'arc ogival construire toujours plus haut ? Il prend exemple de la forêt de Jumièges, et l'hypothèse est que l'art gothique est une manière de copier les cimes des arbres qui se rejoignent. Cependant en voyant les plans de la cathédrale il pense au corps du Christ, et aussi à un vaisseau. Les symboles se multiplient pour expliquer un art aussi complexe que le gothique.
Que sont les symboles ? ils concernent les chiffres, les couleurs, les pierres, et chacun au Moyen Age tant décrié et que Huysmans veut réhabiliter ( avec la foi qu'il vient de découvrir) en comprenait le sens . « Ce que les illettrés ne peuvent saisir par l'écriture doit leur être enseigné par les peintures ».
1. les nombres : il y a généralement trois portails, en l'honneur de la Sainte trinité, sauf, exception sans explication, la cathédrale de Bourges, avec 5 portails et 5 nefs (la main ?) et la cathédrale d'Anvers, avec 7 nefs ( 7 dons du Paraclet ?) Chaque chiffre est porteur, depuis le 1 , Dieu unique, le 2 les deux natures du fils, les deux testaments, et selon Saint Grégoire le Grand, les double enseignement de l'amour de Dieu et du prochain, le 3, somme des hypostases et des vertus théologales …..jusqu'au 10 , 11, 12, chaque chiffre trouvant son explication symbolique .
2. les couleurs, en premier le bleu, d'abord évoqué per celui du Couronnement de la Vierge de Fra Angelico, du Louvre, tableau étudié par Durtal, ce bleu mâtiné de blanc et qui s'élève, qui s'échelonne à travers l'escalier jusqu'au drapé du ciel bleu de cobalt, certains rouges, dont la robe de Marie Madeleine.

Huysmans note alors les allégories exprimées par les couleurs :
- le blanc : la pureté la virginité, la sagesse.
- le bleu : chasteté, innocence, candeur. »Les bleus de Fra Angelico sont d « une sérénité extraordinaire, d'une candeur inouïe. » Les bleus dits « de Chartre » des vitraux sont eux aussi inoubliables, « d'un bleu splendide de saphir rutilant, extra-lucide », couleur si belle que toutes les autres se mettent en quatre pour la faire valoir.
- le rouge : couleur de la robe de Saint Jean, et de celle de Marie, dans les peintures des Primitifs. : Passion, souffrance et amour.
- le rose : l'amour de la sagesse, et douleur.
- le vert : espoir de la nature régénérée.
- le noir : teinte de l'erreur et du néant
- le brun : synonyme d'agitation, avidité, sécheresse : un peu satanique.
- le gris : couleur de la pénitence, de la cendre.
- le jaune : Souvent assigné, au Moyen Age, à Judas, indice de la paresse, de l'horreur, de la trahison et de l'envie. (Cette haine du jaune nous parle bien évidemment)
Ces qualifications donnent cependant lieu à tergiversations, chaque couleur pouvant être interprétée en plusieurs sens différents.

3. Les pierres, enchâssées dans les parures des vierges, ont chacune une signification, connue du monde moyenâgeux, le diamant (Marilyn) le rubis (Kessel) , les émeraudes, chacune avec un pouvoir spécial de guérison.
Au delà des symboles expliqués longuement, des retours sur l'architecture gothique, de l'affirmation que les peintres primitifs venaient en premier du Nord, de la Hollande, d'Allemagne, puis d'Italie mais pas de France, qui en revanche a été la première et la meilleure à construire les cathédrales, Huysmans catalogue la Renaissance comme le sacre de la « syphilis de la décence » bien que Durtal ait choisi un peintre à la limite extrême du Moyen âge.
Assez moderne, ce livre, si beau dans son lyrisme emporté ( si on évacue le point de vue mystique /ecclésiastique) avec l'étude des couleurs dignes d'un Pastoureau, la numérologie, et la gemmothérapie, sans oublier sa conclusion : Etant donné que la médecine est devenue plus que jamais un leurre, et même un danger, pourquoi ne pas revenir aux panacées mystiques d'antan ?
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Antoine Compagnon, dans l'histoire de la littérature française à laquelle il a collaboré, sous la direction de Jean-Yves Tadié, décrit avec justesse la crise que le roman traverse dans les dernières années du XIX°s, à la fin du naturalisme. Il signale que "l'écriture romanesque a donc été tentée de s'éloigner de la présentation dramatique de la vie. Sur le modèle de L'Education Sentimentale, on a rêvé d'un roman où il ne se passait rien, à l'envers du roman d'aventures.(...) Avec Huysmans, toutes sortes de développements non narratifs ont pu s'intégrer au roman, comme les chapitres de critique littéraire dans A Rebours (1886) ; dans Là-Bas (1891) et En Route (1895), le truchement de la fiction servait à l'écrivain pour faire part de ce qui lui tenait à coeur : le satanisme, l'histoire de Gille de Rais, la religion, tandis que les personnages restaient vagues." (La littérature française, dynamique et histoire, tome II, p. 605). C'est aussi le cas des "Trois Villes" de Zola, ou de ses "Quatre évangiles", ses très médiocres derniers produits.

Ceci vaut pour la Cathédrale, roman où il ne se passe absolument rien. Durtal, le héros converti du tome précédent, a suivi son père spirituel à Chartres et il contemple la cathédrale. Il la décrit par le menu, en détaille tous les motifs, toutes les statues, tous les symboles, en compagnie d'un abbé local dont c'est la passion. Ceci est donc moins un roman qu'un traité d'architecture et de symbolique médiévales, et si l'on veut à toute force trouver un fil narratif, ce sera celui des hésitations du héros à transformer sa conversion (relatée dans "En Route") en vocation monastique. Mais même ces tergiversations d'une âme à entendre Dieu manquent singulièrement d'énergie, puisque Durtal est définitivement passé du bon côté, le péché tel que nous le connaissons n'ayant plus de prise sur lui.

Reste, de ce roman raté, la splendeur de la prose, qui est l'écho fin de siècle du Génie du Christianisme. Je crois qu'il faut une érudition phénoménale et une attention de tous les instants pour bien comprendre "La Cathédrale" et j'ai toutes les chances d'être passé complètement à côté, car j'attendais, en somme, le roman d'une âme, comme Bernanos en fit plus tard. C'est plutôt ici le poème d'un édifice, de la foi manifestée dans la pierre, d'un Moyen-Age rêvé et célébré en couleurs, lumières et mots.
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Après les débauches parisiennes et l'apaisement au sein de la Trappe, Durtal a suivi son ami, l'abbé Grévesin à Chartres. Il espère pouvoir poursuivre sereinement la rédaction de ses biographies de saints. Mais le doute le tourmente. Il cherche l'apaisement dans la grande cathédrale. « Et au-dessus de la ville, indifférente, la cathédrale seule veillait, demandait grâce, pour l'indésir de souffrances, pour l'inertie de la foi que révélaient maintenant ses fils, en tendant au ciel ses deux tours ainsi que deux bras, simulant avec la forme de ses clochers les deux mains jointes, les dix doigts appliqués, debout, les uns contre les autres, en ce geste que les imagiers d'antan donnèrent aux saints et aux guerriers morts, sculptés sur des tombeaux. » (p. 24) Durtal s'abîme dans la prière et déchiffre ses chapiteaux et toutes ses dentelles de pierre pour y lire l'histoire biblique. Et surtout, il découvre la puissance du culte marial. « Elle ne s'exhibe qu'aux pauvres et aux humbles. Elle s'adresse surtout aux simples qui continuent, en quelque sorte, le métier primitif, la fonction biblique des patriarches. » (p. 14) Progressant lentement et douloureusement sur le chemin de la foi, Durtal doute d'être plus heureux qu'avant sa conversion. Il est tourmenté par son orgueil qui interfère dans ses prières et sa volonté d'humilité. Fasciné par la foi solide de Mme Bavoil, la bonne de son ami Grévesin, il cherche en lui des ressources pour converser plus intimement avec Dieu. La solution serait-elle de se retirer au monde et d'entrer au couvent ? Mais comment vaincre la terreur de la claustration et du renoncement ? « le cloître ! Ce qu'il fallait longuement réfléchir avant de se résoudre à s'y écrouer ! Et le pour et le contre se pourchassaient, à tour de rôle, en lui. » (p. 229)

Joris-Karl Huysmans ne parle jamais de religion sans parler d'art. Dans son oeuvre, l'une ne va pas sans l'autre et chacune justifie l'existence et la gloire de l'autre. Ainsi, les déambulations fiévreuses de Durtal donnent lieu à de puissances évocations où éclate le talent descriptif de l'auteur. L'architecture est décodée du point de vue mathématique, artistique et spirituel. Au gré d'un catalogue comparatif d'autres édifices religieux, Huysmans célèbre la majesté de la cathédrale de Chartres. Vient ensuite l'exaltation de la peinture religieuse et l'explication minutieuse de la symbolique des couleurs et des visages. Dans le roman de Durtal, avec Là-bas et En route, il y a de quoi contenter les amateurs d'art et les âmes spirituelles. Les réflexions sur la foi, la prière et la façon d'être à Dieu naissent toujours d'une observation à la fois sensuelle et mystique des productions artistiques humaines.

Au détour d'un paragraphe, Joris-Karl Huysmans donne un nouveau coup de griffe à Émile Zola, comme s'il n'en finissait pas de brûler ses idoles de jeunesse. Il évoque aussi Sainte Lydwine de Schiedam dont il fera le sujet d'une hagiographie brillante et exaltante. Et toujours cette langue riche, puissance, complexe et inspirée. Lire un texte de Huysmans, c'est un exercice exigeant, mais tellement satisfaisant : à mesure que se déploient les longues phrases, on se rapproche un peu du sublime. Artistique ou religieux, c'est tout comme !
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Joris-Karl Huysmans de son vrai nom Charles Marie Georges Huysmans, est un écrivain et critique d'art français (1848-1907). Huysmans était le descendant par son père, d'une lignée d'artistes peintres hollandais. Certains tableaux du plus célèbre de ses ancêtres, Cornelius Huysmans, peintre à Anvers au XVIIe siècle, figurent aujourd'hui au Louvre et c'est pour mieux évoquer ses origines hollandaises, que Huysmans adopta le prénom de Joris-Karl.
A partir de 1876, Huysmans collabore en tant que chroniqueur d'art, à différents journaux pour lesquels il rédige des comptes rendus des Salons de peinture. Il prend la tête du combat visant à imposer l'Impressionnisme au public. Après sa conversion au catholicisme vers 1895 et relatée dans son roman En Route, il publie en 1898 La Cathédrale.
Durtal a suivi à Chartres son ami et confesseur l'abbé Gévresin qui essaie de l'aider à traverser une crise spirituelle. Là, il fait la connaissance de l'abbé Plomb avec lequel il explore la cathédrale, pas à pas, tout en menant des discussions très instruites sur l'architecture des lieux. Taraudé par l'idée de se consacrer plus pleinement à la vie religieuse mais hésitant à franchir le pas, il envisage de faire une retraite à l'abbaye de Solesmes. Quand le roman s'achève, sans que rien ne soit réellement décidé de son avenir, Durtal accepte de se rendre à Solesmes avec l'abbé Plomb pour une courte période d'essai.
Le héros du roman, Durtal, est un avatar de J.K. Huysmans qui vient de se convertir au catholicisme depuis quelques années à peine. Ses tourments sont ceux de l'écrivain qui après s'être retiré dans plusieurs monastères quittera Paris en 1899 pour s'installer définitivement dans le petit village de Ligugé, près de Poitiers dans la Vienne, où il s'est fait bâtir une demeure à proximité de l'abbaye bénédictine Saint-Martin. Là, il partagera la vie quotidienne des moines et se préparera à devenir oblat. Mais en 1901, la loi sur les congrégations vient dissoudre la communauté de Saint-Martin, poussant les moines à l'exil et obligeant Huysmans à rejoindre Paris.
Roman complexe et érudit, la cathédrale – qui donne son titre à l'ouvrage – est le centre de ce récit. C'est ici, en ses murs, que Durtal vient chercher le repos de l'âme et les réponses aux questions qui l'obsèdent sur la force de sa foi et le vide qu'il ressent au plus profond de lui-même. Protection des murs mais surtout présence réconfortante de la Vierge à laquelle la cathédrale de Chartres est dédiée.
Les longues discussions avec l'abbé Plomb sont prétextes à aborder la symbolique sous toutes ses formes, qu'elle soit architecturale ou bien envisagée sous l'aspect des couleurs, des pierreries, des vitraux, du bestiaire etc. Conversations pointues entre experts, exposition de théories esthétiques, la lecture du roman nous plonge dans un débat intellectuel et mystique de haute tenue qui m'a souvent dépassé je l'avoue. Cette avalanche de documentation et de savoir, à laquelle il faut ajouter l'utilisation de mots rares, en font un bouquin pour public averti.
Mais au-delà de cet aspect, il y a aussi cette interrogation spirituelle de l'écrivain qui le pousse à se consacrer de plus en plus complètement à sa foi sans trop savoir comment. Coincé entre son intellectualité qui le pousse à analyser froidement les faits, et la foi totale qui nécessite un abandon quasi naïf, Durtal ne sait sur quel pied danser et c'est ce qui fait toute la saveur de ce texte.
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Durtal, jeune critique d'art parisien, souhaitant rester à proximité de son confesseur, l'abbé Gévresin, s'installe à Chartres. Il est alors ébloui par la cathédrale Notre-Dame dédiée, donc, à la Vierge Marie. Il va ainsi tenter d'en comprendre la symbolique, aidé par un prêtre érudit joliment nommé l'abbé Plomb.
Huysmans a construit une oeuvre bien étrange où l'intrigue se résume à l'indécision de Durtal quant à son entrée dans l'ordre des bénédictins de l'abbaye de Solesmes. Elle lui sert de prétexte à l'élaboration d'un projet plus ambitieux: comprendre les enjeux de la symbolique chrétienne du Moyen Âge pour retrouver la majesté perdue de l'Eglise catholique.
Ce faux roman séduit par sa liberté de ton. Cela vaudra à son auteur, paradoxalement, les foudres d'ecclésiastiques bornés. On ne pouvait pourtant pas lui reprocher de tout faire pour convertir de nouvelles âmes quand les rangs des églises avaient plutôt tendance à se vider chaque dimanche.
La truculente poétique de la Cathédrale s'apprécie au delà de toute considération métaphysique. Il y a des passages extraordinaires décrivant les visions de Durtal qu'un athée convaincu peut apprécier sans complexe.
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Citations et extraits (37) Voir plus Ajouter une citation
-- Ce qui doit vous coûter, c'est le manque de relations intellectuelles ; vous, qui avez vécu dans le monde des lettres, comment vous arrangez-vous pour supporter l'inertie de cette province ?
Durtal rit.
-- Le monde des lettres ! non, monsieur l'abbé, ce n'est pas lui que je pourrais regretter, car je l'avais quitté bien avant de venir résider ici ; puis, voyez-vous, fréquenter ces trabans de l'écriture et rester propre, c'est impossible. Il faut choisir : eux ou de braves gens ; médire ou se taire ; car leur spécialité, c'est de vous élaguer toute idée charitable, c'est de vous guérir surtout de l'amitié, en un clin d'oeil.
-- Bah !
-- Oui, imitant la pharmacopée homéopathique qui se sert encore de substances infâmes, de jus de cloporte, de venin de serpent, de suc de hanneton, de sécrétion de putois et de pus de variole, le tout enrobé dans du sucre de lait pour en celer la saveur et l'aspect, le monde des lettres triture, lui aussi, dans le but de les faire absorber sans hauts le coeur, les plus dégoûtantes des matières ; c'est une incessante manipulation de jalousie de quartier et de potins de loges, le tout, globulé dans une perfidie de bon ton, pour en masquer et l'odeur et le goût.
Ingérés à des doses voulues, ces grains d'ordures agissent, tels que des détersifs, sur l'âme qu'ils débarrassent presque aussitôt de toute confiance ; j'avais assez de ce traitement qui ne me réussissait que trop et j'ai jugé utile de m'y soustraire.

ed. Bartillat, p. 734.
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(Réception officielle de l'évêque de Chartres).

Et subitement, un remous s'était creusé dans la cohue des laïques et des prêtres qui se rangèrent, chapeaux bas, devant un vieux landau de corbillard traîné par une rosse étique et conduit par une sorte de moujik, un cocher dont la face bouffait sous des broussailles lui sortant des joues et de la bouche, des oreilles et du nez. La carriole s'était amarrée devant le perron et il en était descendu un gros homme, soufflé tel une baudruche, et sanglé dans un uniforme brodé d'argent ; puis, derrière lui, un monsieur plus mince, vêtu d'un habit à parements bleu foncé et et bleu clair ; et tous saluèrent le préfet qu'escortait l'un de ses trois conseillers de préfecture.
Ils avaient soulevé leurs bicornes empanachés de plumes, distribué quelques poignées de main et ils se perdaient dans le vestibule, quand l'armée parut, à son tour, représentée par un colonel de cuirassiers, par des officiers de l'artillerie et du train, par quelques fantassins gradés à culotte rouge, par un gendarme.
Et ce fut tout ; une heure après cette réception, la ville exténuée s'était rendormie, n'ayant même pas le courage de déplanter ses mâts ; les Lazares étaient retournés dans leurs sépulcres, les vieillards ressuscités étaient à nouveau retombés morts ; la réaction avait lieu, Chartres gisait épuisé pour des mois par cet excès.

ed. Bartllat p. 813
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C'était fou cela ! L'Eglise qui avait créé, qui avait allaité l'art pendant tant de siècles, elle avait été, de par la lâcheté de ses fils, reléguée dans un rancart ; tous les grands mouvements qui se succédèrent dans cet âge, le romantisme, le naturalisme, avaient été faits sans elle ou contre elle.
Il avait suffi qu'une oeuvre ne se contentât plus de raconter de simples historiettes ou d'aimables mensonges se terminant par des conclusions de vertu récompensée et de vice puni, pour qu'aussitôt la pudeur de la bedeaudaille se mît à braire !
Le jour où cette forme, si souple et si large, de l'art moderne, le roman, aborda les scènes de la vie réelle, dévida le jeu des passions, devint une étude de psychologie, une école d'analyse, ce fut le recul de l'armée des dévots sur toute la ligne. Le part catholique, qui paraissait mieux préparé que tout autre pour lutter sur ce terrain que la théologie avait longuement exploré, se replia en désordre se bornant, pour assurer sa retraite, à faire canarder, avec les vieilles arquebuses à rouets de ses troupes, les oeuvres qu'il n'avait ni inspirées, ni conçues.

ed. Bartillat p. 877.
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Vous avez coutume, n'est-ce pas, de débiter des oraisons que vous savez par coeur ; et c'est surtout pendant ce temps que les évagations se produisent ; eh bien, laissez de côté ces oraisons et suivez très régulièrement, dans la chapelle du cloître, les prières des offices. Vous les connaissez moins, vous serez obligé, ne fût-ce que pour les bien comprendre, de les lire avec soin ; vous aurez donc moins de chance de vous désunir.
- Sans doute, répliqua Durtal, mais quand l'on pas pas dévidé les prières que l'on a pris l'habitude de réciter, il semble que l'on n'a pas prié. Je conviens que ce que j'avance est absurde, mais il n'est point de fidèle qui ne la perçoive, cette impression, lorsqu'on lui change le texte de ses patenôtres.
L'abbé sourit.
- Les vraies exorations, reprit-il, sont celles de la liturgie, celles que Dieu nous a enseignées, lui-même, les seules qui se servent d'une langue digne de lui, de sa propre langue. Elles sont complètes et elles sont souveraines, car tous nos désirs, tous nos regrets, toutes nos plaintes sont fixés dans les psaumes. Le prophète a tout prévu et tout dit ; laissez-le donc parler pour vous et vous prêter ainsi, par son intermédiaire après de Dieu, son assistance.

ed. Bartillat pp. 1008-1009.
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— Vous avez la plaisanterie féroce, riposta l’abbé. Croyez bien que si j’avais des servantes et des filles du peuple à gérer, je ne me plaindrais pas, car il y a des qualités et des vertus, il y a du ressort dans les âmes simples, mais dans la petite bourgeoisie et le monde riche ! — vous ne pouvez vous imaginer ce que sont ces femmes. Du moment qu’elles assistent à la messe, le dimanche et font leurs Pâques, elles pensent que tout leur est permis ; et, dès lors, leur sérieuse préoccupation est moins d’offenser le Christ que de le désarmer par de basses ruses. Elles médisent, lèsent grièvement le prochain, lui refusent toute pitié et toute aide et elles s’en excusent ainsi que de fautes sans conséquence ; mais manger gras, un vendredi ! c’est autre chose ; elles sont convaincues que le péché qui ne se remet point est celui-là. Pour elles, le Saint-Esprit, c’est le ventre ; en conséquence, il s’agit de biaiser, de louvoyer autour de ce péché, de ne jamais le commettre, tout en le frôlant et en ne se privant point. Aussi quelle éloquence elles déploient pour me rassurer sur le caractère pénitent de la poule d’eau !
Pendant le carême elles sont toutes possédées par la rage de donner des dîners et elles s’ingénient à servir aux invités un maigre qui en soit, tout en ayant l’air de n’en être pas ; et ce sont d’interminables discussions sur la sarcelle, sur la macreuse, sur les volatiles à sang froid. C’est un zoologiste et non un prêtre qu’elles devraient aller consulter pour ces cas-là !
Quant à la Semaine Sainte, c’est encore une autre antienne ; à l’obsession de la volaille nautique succède le prurit de la charlotte russe. Peut-on, sans blesser Dieu, savourer une charlotte ? Il y a bien des œufs dedans, mais si battus, si mortifiés que ce plat se révèle presque ascétique ; et les explications culinaires débordent, le confessionnal tourne à l’office, le prêtre devient un maître-queux.
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