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Raymond Guérin (Préfacier, etc.)
EAN : 9782266074896
160 pages
Pocket (12/09/1999)
4.35/5   114 notes
Résumé :
Première publication : 1949.

En juin 1940, des centaines de milliers de vaincus s'acheminent vers les stalags sous les coups et les cris du vainqueur. Georges Hyvernaud, instituteur charentais, marche dans ce troupeau en guenilles, hébété de faim, de fatigue et de honte.
Au bout du voyage, cinq ans de nuit et de boue. Dix-huit cents jours d'humiliation, de promiscuité répugnante, de pestilence et d'abjection. Le prisonnier de guerre est cet h... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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‌Un titre , "la peau et les os", et une écriture à son image, difficile d'y trouver une phrase surnuméraire. Les mots y sont choisis à la pince à timbre. Sans être lourd , c'est un texte à densité de granite, une géode qui saisit, à peine franchi le seuil de son repli. Un livre-expérience qui nous laisse sonné quoique sérieusement réveillé.
1940, Georges Hyvernaud passe 5 ans de captivité en tant que prisonnier dans un camp allemand ("amélioré", un oflag, camp pour officiers).


Il choisit de commencer son récit sur une scène de retour, dans la fatuité adipeuse d'un déjeuner dominical avec la famille élargie, où chacun y va de ses phrases-bateau, et des :"ah c'est comme moi,...". L'incommunicabilité de son expérience étreint Hyvernaud et le fait plonger d'une strate supplémentaire dans la désillusion des rapports humains.
La grande scène du retour avec sa femme sera ratée elle aussi, car, il n' y a qu'au théâtre que ce qui doit être dit est dit, et ce qui doit être fait est fait.

Il semble qu' Hyvernaud ne reviendra jamais réellement dans le monde, il est passé définitivement de l'autre côté, où les artifices sociaux sont mis à nu dans leur cruelle vacuité. Quelle différence fondamentale, dit-il, entre l'infernale routine du camp et la vie d'un ouvrier répétant 40 ans le même geste ?


L'amertume qui le hante n'est pourtant pas complète puisqu'il se résout à écrire quelques pages sur ce qu'il a ressenti au plus intime pendant ces 5 longues années perdues. Il restitue fantastiquement ses impressions et convainc s'il en était besoin qu'un livre peut nous faire traverser une expérience comme si nous avions vécu une vie supplémentaire.


Humiliations, privations, énorme impuissance. Mais le coeur de son expérience à lui, c'est l'absence de solitude, d'intimité. le point commun avec la pauvreté selon lui. Même si ses conditions de vie n' étaient pas celles d'un camp de concentration, Hyvernaud s'est vu progressivement disparaître en tant qu'individu, réduit à un sac de tripes avec un numéro, dans une promiscuité incessante et qui constitue une forme de torture mentale anéantissant son identité. Une promiscuité qui bloquera toute proximité. Un combat intérieur contre la haine de ces compagnons de cohabitation forcée.

Aucune échappatoire possible pour une évasion mentale, car l'espace personnel est envahi en permanence. Les sempiternels bavardages de ses voisins de chambrée lui obstruent la tête, embouteillage d'anecdotes ineptes ressassées cent fois, même chanson paillarde reprise chaque jour, des dialogues sur l'énergie spirituelle qui lui paraissent finalement tout aussi risibles et obscènes dans cet univers de pures tripes. Les mots des autres, censés alléger le quotidien, forcent sa tête et en expulsent les dernières cachettes. Dans une journée perpétuellement recommencée, ces hommes parlent en rond, touchent le fond de la petitesse humaine et du non-sens grandiose de l'Histoire. En face, le camp des Russes qui enterrent leurs cadavres par fosses de 300.


Dans le dernier texte, particulièrement émouvant, il évoque un de ses anciens élèves, Gokelaere, dont il vient d'apprendre la mort au hasard d'un entrefilet. Fusillé. Un remords terrible le saisit : cet élève, des plus diaphanes en apparence, 16 ans, une ombre, 3e rang près de la fenêtre, dont la mort brutale, assassiné pour ses idées, révèle soudain qui il était vraiment, son professeur n'a pas su le voir.
Il se souvient maintenant des timides tentatives de cet adolescent pour nouer un dialogue avec lui. Hyvernaud n'avait pas su les entendre. Plongé dans ses remords, il imagine la vie de ce jeune homme et lance sur la feuille quelques lignes de poésie qu'aurait pu écrire Gokelaere dans ses nuits de solitude. Cette rencontre en décalé, pour cruelle qu'elle soit, semble contenir toute la tendresse dont Hyvernaud est encore capable et elle est extraordinairement touchante.

J'ai eu la chance de lire cet auteur trop peu connu à l'occasion d'un "désherbage". Il est temps pour moi d'avouer que je fais partie de l'ignoble armée stalinienne qui élimine les livres dans les médiathèques. Quand il nous faut faire de la place car un livre c'est gros, plus ou moins, mais gros quand même. Et c'est là qu'interviennent les affres du doute : faut il prendre le 2500e feelgood si pour cela il faut éliminer un antique mais fabuleux reportage photo de Paul-Emile Victor ? (Non !) Faut-il jeter négligemment un auteur dont nous ignorons tout ( par un manque de culture injustifiable, certes) pour faire de la place au gros Musso ? Et c'est là que Babelio nous sauve, immense fontaine de fraîcheur, carillonnez angélus, car soudain l' obscur auteur devient cette améthyste magnifique sous le fin burin de quelques critiques qui le dorlotent. Il est sauvé purée ! alors, comme nous sommes nombreux dans la profession à nous servir de ce site, écrivez sans relâche pour vos auteurs vénérés quoique peu connus, Sauvez un livre, faites péter le chignon de la bibliothécaire !
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Je vous ai déjà parlé de ma nouvelle "bible", Les désemparés. 53 écrivains au bord des mots de  Patrice Delbourg , qui constitue un réservoir quasi inépuisable d'auteurs méconnus, oubliés, metéoriques et fulgurants.

J'y plonge régulièrement pour y piocher du nouveau,  avec le petit frisson de l'inconnu...mais en alternant quand même avec des lectures plus franchement divertissantes -polars ou sagas exotiques,  pour déplacer la crainte ou carrément l'oublier!- car ces pépites "desemparées"  sont souvent des brûlots de malheur, des gouffres d'incompréhension, des torrents de guigne...

 Hyvernaud est ma première prise.

La peau et les os est un livre dur, simple, poignant, où Georges Hyvernaud, professeur à l' École Normale d'instituteurs, raconte avec humilité, réalisme et sincérité son expérience des camps de prisonniers,  pendant les cinq années de la dernière guerre.

Il ne s'agit pas de camps d' extermination, ni de camps de concentration, ni de camps de travail.  Pas non plus de camps d'internement comme Gurs ou Les Mille qui ont eu leur poids de cynisme et de cruauté. 

"Juste" des camps de prisonniers de guerre. de simples pékins français faits aux pattes par l'armée allemande. Et gardés par elle derrière des barbelés pendant cinq ans .

Tous ensemble.

Confinés,  si on veut, mais dans une intolérable promiscuité.

 Promiscuité à toute heure, dans tous endroits, aux maigres repas, aux épouvantables latrines, dans les dortoirs, à la réception du courrier, des colis. 

Promiscuité des corps, des gestes, des odeurs, des rêves, des propos, des esprits.

Comme l' écrit très justement Raymond Guérin, son préfacier, un autre "désemparé " dont je me réserve la lecture: " depuis que j'ai eu entre les mains le petit bouquin d'Hyvernaud, je me suis bien rendu compte qu'il était inégalable dans son humilité et sa bonne foi. L'atroce n'y prend pas naissance dans l'événement mais au plus profond du dénuement de l'esprit. »

L'espace individuel est si envahi qu'on en vient à douter que l'espace intérieur existe. Les souvenirs reviennent hanter comme de tristes fantômes ceux qui se demandent s'ils ont encore une vie à eux. Une pensée à eux. Un avenir possible après cette grande lessive collective.

Un peu comme le rescapé des camps qui a  survécu à la géhenne , le prisonnier qui a manqué  cinq ans de sa vie ne peut , à son retour, en parler aux autres.

Il n'a pas leurs mots et n'a plus les siens. On ne l'écoute pas.

Une fois de plus, on ne lui fait pas de place.

Une lecture saisissante  dans sa nudité,  d'une  force sincère,  absolue- et  qui tord le coeur.

 Remarquablement écrit ou plutôt  d'une écriture discrètement remarquable. Sans esbroufe, sans effet, bouleversante .
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Georges Hyvernaud a quelque chose de l'auteur maudit. Fait prisonnier en 1940, il se retrouve enfermé cinq ans dans un stalag d'officiers. C'est l'épreuve de la captivité qui nourrit sa première oeuvre, dont Raymond Guérin soutient la publication en 1949. le livre n'aura aucun succès, et pas davantage le second, le Wagon à vaches. Hyvernaud en tirera la conclusion amère qu'il vaut mieux se taire, peut-être parce qu'il pense que ses mots ne valent rien. Personnellement, je suis toujours remué par ces désarrois d'écrivains qui se résignent au silence.

Je ne vais pas revenir sur les louanges dont ce texte est enseveli depuis qu'on l'a redécouvert. Hyvernaud, qui n'a jamais rien imaginé de tel de son vivant, jouit aujourd'hui d'une notoriété à mes yeux amplement méritée. Si ce récit de captivité est très court (à peine 150 pages), il est aussi d'une densité impressionnante, où on serait bien en peine de dénicher une phrase inutile.
Comment s'étonner cependant de cet insuccès cruel, quelques années seulement après la fin de la guerre ? A l'époque, on célébrait la Résistance et pas l'armée vaincue de 1940. Les prisonniers de guerre n'étaient alors ni un objet d'étude ni un objet de commémoration. le livre d'Hyvernaud pointe bien toute l'étendue du malaise dès son premier chapitre : le récit s'ouvre en 1945 par l'inévitable repas de famille qui doit célébrer les retrouvailles. En quelques pages très cruelles, Hyvernaud démontre le caractère incommunicable de son expérience, et souligne lucidement que personne au fond n'a la moindre envie d'écouter son histoire.
De fait, la mémoire de ces prisonniers de 40 a mis plus d'un demi-siècle à se frayer un chemin dans les mentalités collectives, louvoyant à travers les centaines d'oeuvres qui célébraient inlassablement les glorieux combats de la Résistance. Certes, il y eut Jacques Perret et son inénarrable Caporal épinglé, mais ce caporal-là était plein de fantaisie narquoise et tout entier tourné vers l'évasion, d'ailleurs réussie à la fin du livre. Chez Hyvernaud, l'évasion ne semble pas même un sujet. Les caractères qui défilent sont minables, racornis sur leurs marottes dérisoires. La captivité selon Hyvernaud est l'expérience la plus crue de la promiscuité. le viol permanent de l'intimité, nous dit-il, jusqu'à ce que l'intimité devienne un mot vide de sens, et jusqu'à ce que l'être humain abdique toute dignité. La Peau et les os est ainsi un témoignage sur la façon dont la contrainte, le désoeuvrement et la vie de troupeau peuvent mener à l'écrasement de l'individu. Stalag d'officiers oblige, le processus est d'autant plus douloureux que ces braves petits-bourgeois se prenaient avant-guerre pour autant de Messieurs.

Entrecoupé de bouffées grotesques et féroces, le propos s'engloutit au fil des pages dans le pessimisme et une noirceur parfois suffocante, jusqu'à la conclusion à la fois poignante et parfaitement nihiliste. Bref, ce n'est pas forcément le genre de livre que je conseillerai à qui se trouve un peu déprimé.
Ou le contraire, en fait : le livre peut aussi aider son lecteur à relativiser pas mal de choses. Et après tout, au sortir d'une année aussi éprouvante que celle que nous venons de vivre, c'est un texte qui pousse à rechercher une lumière. Je resterai donc sur cette note optimiste pour conclure ma critique et 2020, en souhaitant une heureuse fin d'année à tous.
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Le retour de Georges hyvernaud après avoir été 5 ans prisonniers dans un olfag est particulièrement poignant. Sa difficulté à vivre, à revivre avec les siens, avec les autres et faire comme si, faire semblant est cruelle.
Georges Hyvernaud fait du tri dans ce qu'il raconte car il y a de l'indicible pour les siens. J'ai trouvé ces pages vraiment dures. "Au théâtre on dit juste ce qu'il faut dire, on fait juste ce qu'il faut faire. Alors que dans la vie, on parle à côté, on agit tout de travers, et il y a toujours des détails qui ne vont pas, des fausses notes. C'est comme ça que nous l'avons ratée la scène du retour. "
Oui, le retour n'est pas celui qu'il rêvait, qu'il espérait, il faut reprendre une certaine place et taire certains faits. Tous les souvenirs ne sont pas bons à dire." Mettre des souvenirs faux sur les vrais jusqu'à ce que les vrais en crèvent. "
Les anecdotes drôles sont plus appréciées, plus entendables alors ce sont elles qu'il raconte. Non on ne va pas s'étendre sur les cabinets, ces endroits sales, puants qui ne laissent aucune intimité et qui pourtant faisaient le quotidien de tous ces prisonniers. Nous lecteurs, nous les découvrons ces cabinets et oui ils font horreur.
"Mes vrais souvenirs, pas question de les sortir. D'abord ils manquent de noblesse. Ils sont même plutôt répugnant. Ils sentent l'urine et la merde. Ça lui paraîtrait de mauvais ton à la famille."

Et puis, il y a Percheval, celui qui est devenu fou, celui qui n'avait plus de volonté à lui, celui qui faisait indéfiniment les choses tant qu'on ne lui disait pas d'arrêter." C'était un homme qui avait compris que tout revient toujours au même, et qu'on a beau avancer, on en est toujours au même point. Et qu'il n'y a pas de raison d'être là plutôt qu'ailleurs et de faire ça plutôt qu'autre chose."
Georges Hyvernaud souffre de ce qu'il a vécu mais aussi de ce qui est dit, rapporté, compris, gardé tant par l'entourage que par les Historiens." L'histoire des Historiens n'a pas d'odeur"
C'est un livre témoignage sur l'humiliation des camps, la pauvreté de la proximité, du manque d'intimité, mais aussi de l'incompréhension des proches ou encore de ceux qui n'ont pas vécu ces moments inhumains et qui pourtant lui rappellent qu'il n'a pas souffert comme les déportés. Cette non reconnaissance est violente.
À travers son écrit, on ressent une certaine déception mais aussi une rage. Sa plume est parfois cynique et toujours percutante.
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Des centaines de milliers de vaincus s'acheminent vers les stalags de l'Allemagne nazie, sous les coups et les hurlements du vainqueur.
Nous sommes en juin 1940.
Hébété de faim,de fatigue et surtout de honte, un professeur charentais :Georges Hyvernaud marche dans ce troupeau en guenilles.
On éprouve des difficultés à écrire sur ce livre.......
Au bout du voyage, cinq ans de nuit, de boue, de pestilence, d'humiliation, de promiscuité répugnante, d'abjection .....
"Rien ne compte plus pour un homme qui ne compte pas ".
Le prisonnier de guerre est un homme nu, privé d'identité et d'espoir.......

C'est un témoignage qui dérange, cru, insoutenable, sur le vide, sur la faim,sur la servitude, sur l'abaissement du corps qui ne compte plus,juste bon à recevoir les coups , à la merci d'un numéro dérisoire :"les allemands nous ont retiré nos pièces d'identité, tous pareils, des hommes sans papiers, sans place, sans poids".
Un livre cru :" Et la vérité, c'est la faim, la servitude, la peur, la merde, comme aux pires époques.Elle est jolie , leur Europe, ces types qui gueulent dans la neige, le ventre ouvert, parmi des mécaniques défoncées, ces esclaves qu'on pousse sur les routes à coups de crosse!"
L'auteur raconte l'indifférence polie ou égrillarde au retour des prisonniers du stalag:"Parce que votre existence a été éventrée, retournée par l'événement, vous imaginez vaguement que vous aviez droit à du neuf, que vous alliez repartir de zéro.
Pas du tout , ça se recolle, ça se retape, c'est comme avant, on remet ça, on remet sa vieille veste, on remet sa vieille vie....."
"Je me sens oublié comme un mort à son enterrement.
Je n'intéresse personne. On fait semblant. Chacun parle de soi. On écoute les autres pour pouvoir leur parler de soi. Mais au fond on s'en fout."
La Peau et les os est un témoignage terrible dont je ne peux citer certains passages tellement ils sont insoutenables, un chef d'oeuvre oublié qui saisit , qui dit des vérités criantes, avec seulement la peau et les os, la pire des déchéances pour cet homme dépossédé à ce moment là de lui même.
Un petit livre que l'on ne devrait pas oublier .
On sent que l'atroce, pour l'auteur,dans sa bonne foi et son humilité était dans le dénuement de son esprit et qu'il craignait la pire des déchéances,celle de l'homme que d'autres hommes ont dépossédé de lui même.
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Citations et extraits (52) Voir plus Ajouter une citation
Personne ne peut souffrir personne. On a parfois l'air de s'entendre. On rigole des mêmes obscénités. On se montre des photos de gosses. On joue aux cartes. Mais il circule là-dessous une haine patiente, attentive, subtile, méticuleuse. Une âcre méchanceté de bureaucrate ou de vieille dame. De jour en jour on aiguise, on recuit, on perfectionne ses griefs et ses répulsions. C'est forcé. C'est à cause de cette misère à odeur de latrines où l'on est barattés tous ensemble, crève-la-faim et crève-l'ennui. On en veut aux autres d'être toujours là. On leur en veut des gueules qu'ils ont, de leurs voix, de leurs goûts et de leur dégoûts, de la place qu'ils tiennent, de dire ce qu'ils disent, de chanter ce qu'ils chantent, de Nietzsche, de la p'tite Amélie, de renifler, de roter, d'exister. On leur en veut de cette existence immuable, inévitable, où se déchire notre existence. Et à tout moment les antipathies crèvent en disputes extravagantes. On ne sait même pas pourquoi.
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On a une trop longue habitude de la soumission. On a tant obéi pendant des siècles, tant accumulé de fatigue, on s'est tellement usé à des tâches misérables, tellement accoutumé à l'étroitesse, à la sévérité, à la grisaille de la vie, qu'on finit par se satisfaire de ce qu'on est et de ce qu'on a. Cet ordre qu'il faudrait changer est si lourd et si ancien qu'on perd courage. Il n'y a qu'à rester à sa place. C'est déjà bien beau d'avoir ça. Une petite place à soi, avec du travail à faire, du pain assuré. On sait qu'on ne pourra pas s'en sortir. On n'en a même plus envie. On se trouve bien là. On s'y trouve heureux. On y sauve même une espèce d'orgueil.
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Les discours belliqueux de Péguy ne pèsent pas davantage. Il voyait venir la guerre. Il la guettait comme un autobus au coin de la rue. Pourvu que je ne rate pas ça – cette occasion de grandeur, d'héroïsme, d'Histoire. Avait-il assez peur de ne pas la prendre, son inscription historique comme il disait. Il l'a eue, il n'a pas à se plaindre, et quelques millions de pauvres types avec lui qui n'en demandaient pas tant. Il y a laissé sa peau. Des littérateurs qui avaient su préserver la leur l'en ont loué en beau style. Je ne sais rien de la mort de Péguy. Personne ne sait rien de la mort de personne. Il avait écrit: «Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre...» Des alexandrins que j'ai appris par cœur, dans le temps. Tout le monde les a appris par cœur. Depuis, j'ai vu pas mal de ces cadavres heureux. Des vrais, et qui pourrissent sans poésie, écrasés au fond d'un fossé. C'est un spectacle qui invite à parler froidement de ces choses. Les morts ne sont ni heureux ni malheureux: ils sont morts. On leur a volé leurs montres et leurs bottes, et ils pourrissent au fond d'un fossé. Cette réalité de la guerre et de la mort a de quoi guérir d'un certain lyrisme martial. Mais Péguy voyait la guerre comme dans les livres que les professeurs commentent en classe. Comme dans Hugo. Comme dans l'Iliade. Comme dans Corneille.
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On a une trop longue habitude de la soumission. On a tant obéi pendant des siècles, tant accumulé de fatigue, on s'est tellement usé à des tâches misérables, tellement accoutumé à l'étroitesse, à la sévérité, à la grisaille de la vie, qu'on finit par se satisfaire de ce qu'on est et de ce qu'on a. Cet ordre qu'il faudrait changer est si lourd et si ancien qu'on perd courage. Il n'y a qu'à rester à sa place. C'est déjà bien beau d'avoir ça. Une petite place à soi, avec du travail à faire, du pain assuré. On sait qu'on ne pourrait s'en sortir. On n'en a même plus envie. On se trouve bien là. On s'y trouve heureux. On y sauve même une espèce d'orgueil.
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La pauvreté, ce n'est pas la privation. La pauvreté, c'est de n'être jamais seul. Je me rends compte maintenant que je suis de l'autre côté. Le pauvre n'a pas droit à la solitude. Il crève avec les autres à l'hôpital. Entre la crèche et l'hospice il y a les garderies et les asiles, les taudis et les casernes. Sa vie, de bout en bout, il lui faut la vivre en commun. On joue dans le sable public des squares et sur le trottoir de tout le monde. On couche à dix dans la même pièce. On se heurte dans les escaliers et les couloirs. Et c'est plein de murs, d'escaliers et de couloirs, la pauvreté. Les portes ferment mal. Les murs ne séparent pas. N'importe qui peut entrer chez les autres pour emprunter cent sous, pour rapporter une casserole, ou simplement s'asseoir les mains aux genoux et raconter sa peine. Et on ne sait même pas où cela commence et où cela finit, "chez les autres".
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