AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Charles-André Gilis (Éditeur scientifique)
EAN : 9782841610488
380 pages
Albouraq (30/11/-1)
5/5   3 notes
Résumé :

"J'ai vue l'Envoyé d'Allâh au cours d'un rêve que j'eus pendant la dernière décade de Muharram en l'an 627, dans l'enceinte de Damas. Il tenait dans ses mains un livre et me dit : "Ceci est le Livre des Chatons des Sagesses : prends-le et exprime-le pour les hommes, qu'ils puissent en tirer profit !" Je réalisai le désir, purifiai l'intention, concentrai l'effort et l'aspiration à la publication de ce livre dans les... >Voir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten
Que lire après Le Livre des chatons des sagessesVoir plus
Citations et extraits (21) Voir plus Ajouter une citation
Tandis qu’Adam figure l’unité sous son aspect essentiel et synthétique, Shîth la symbolise en tant qu’elle est à l’origine de la multiplicité des déterminations particulières : il est le « don d’Allâh » fait à Adam, dont procède tout l’ensemble des dons, aussi bien les dons « essentiels » qui confèrent al-wujûd aux êtres différenciés que les dons « provenant des Noms » qui sont à l’origine de cette différenciation ; cette distinction fondamentale ordonne le présent chapitre dans sa totalité. Shîth n’est autre qu’Adam, tout comme la « réalité actuelle » n’est autre que la « Réalité principielle » ; il est le « secret de son père », car cette identité constitue le mystère suprême de sa réalisation initiatique(1). Étant le don principiel dont procèdent tous les dons, il est aussi le « premier esprit » ou « esprit universel » dont procède tous les esprits, le « premier mouvement » (non dans l’ordre physique mais dans l’ordre « logique » et principiel)(2) dont procèdent tous les mouvements ; il représente « le Vivant, l’Immuable » (al-Hayy al-Qayyûm) à l’origine de toute vie.

Ceci explique la fonction cyclique de Shîth, qui comporte un double aspect d’ « ouverture » et de « fermeture ». D’une part, « en sa main est la clé des dons » ; de l’autre, c’est « sur ses traces » que l’humanité adamique est « scellée ». Il ferme ainsi ce qu’il a lui-même ouvert, car il détient le « pouvoir des clés » dans toute sa plénitude. Les deux aspects opposés de ce pouvoir unique reflètent au sein de la manifestation les deux phases de la respiration que le « Souffle du Tout-Miséricordieux » exprime dans l’ordre principiel. La représentation physique de ce « souffle divin » est le mouvement ondulatoire, ce qui confirme la relation spéciale de Shîth avec le symbolisme du serpent, que René Guénon a mise en lumière.

Ces considérations nous ramènent à la signification du terme nafth qui désigne précisément l’acte par lequel le serpent crache son venin quand il mort, et, d’une façon plus générale, toute émission de souffrance accompagnée de salive. C’est à cette signification que se rattache la fonction opérative du souffle dans les incantations, les charmes et les envoûtements. Rappelons que René Guénon a évoqué, à propos du Set égyptien, un aspect bénéfique et un aspect maléfique qui correspondent au double pouvoir de « lier » et de « délier » qui est celui des clés. L’aspect maléfique est illustré dans le Coran par le terme naffâthât qui figure dans l’avant-dernière sourate ; Allâh y ordonne à Son Prophète – sur lui la Grâce unitive et la Paix ! – de prendre refuge contre le mal venant de celles qui soufflent dans les nœuds. L’aspect bénéfique est mentionné dans un hadîth que le Prophète introduit en disant : « L’Esprit de Sainteté a insufflé dans mon cœur ». L’insufflation au moyen du nafth désigne ici un mode de l’Inspiration divine dont l’effet bienfaisant concerne le « centre vital » de l’être, ce qui est en accord avec l’ensemble des aspects initiatiques qui se rapportent à Shîth. Au début de son commentaire, Jandî définit le sens de nafth au point de vue linguistique en évoquant « une modalité du souffle qui consiste en l’envoi d’un flux d’air à partir du point d’émission de la lettre thâ(3) affectée du damma, d’une façon relâchée… Son usage habituel et sa raison d’être résident dans le ‘’remède qui guérit du sortilège’’ : il communique les qualités spirituelles et les répand dans le souffle à partir de ses vertus curatives internes. »

La relation de cette modalité particulière du souffle qu’est le nafth avec la question de l’Inspiration divine est confirmée par une autre formule de « prise de refuge » que le Prophète – sur lui la Grâce et la Paix ! – utilisait au début de la prière rituelle : « Je me réfugie en Allâh contre le Shaytân le Lapidé, contre son souffle (nafkh), son insufflation (nafth) et son incitation mauvaise (hamz) » où le terme nafth est considéré traditionnellement comme une désignation de la poésie. Or celle-ci est loin de présenter uniquement un aspect néfaste ; elle revêtait même, au sein des traditions plus anciennes, une fonction rituelle dont le caractère opératif était précisément lié, comme dans le cas du nafth arabe, à certaines formes d’inspiration : « En latin, les vers étaient appelés carmina, désignation qui se rapportait à leur usage dans l’accomplissement des rites, car le mot carmen est identique au sanscrit Karma, qui soit être pris dans son sens spécial d’ ‘’action rituelle’’ ; et le poète lui-même, interprète de la ‘’langue sacrée » à travers laquelle transparaît le Verbe divin, était vates, mot qui le caractérisait comme doué d’une inspiration en quelque sorte prophétique ».(4) Cette efficacité rituelle de la poésie traditionnelle est attribuée en Islam plutôt à certains vocables ou versets coraniques. On ne s’étonne donc pas de trouver, toujours dans le commentaire de Jandî, un passage où celui-ci déclare, à propos de l’usage incantatoire du nafth, que Shîth est « le premier homme à qui ont été révélées les sciences des ‘’dons traditionnels’’, celles des esprits et des anges qui ont pour fonction particulière de soumettre, d’influencer et de gouverner les êtres au moyen des Noms, des Lettres, des Mots et des Versets. »

La nature véritable des dons conférés par Shîth ne peut être comprise pleinement qu’à la lumière de la doctrine du Centre suprême. En effet, alors qu’Adam est une figure de la Tradition primordiale sous son aspect axial et synthétique, son fils représente la diversité des dons conférés aux prophètes et aux envoyés dans l’ordre ésotérique. Dans une perspective cyclique, ces dons peuvent être identifiés aux « Dépôts » et aux « Mystères » qui sont à l’origine de la constitution des centres spirituels, ainsi que des formes traditionnelles qui en sont issues. A cet égard, on soulignera que Shîth n’est pas seulement le « fils d’Adam » par excellence mais aussi le « maître de sayyidnâ Idrîs », considéré dans le Tassawuf comme le « Pôle des esprits humaines ».(5) Évoquant ce point, René Guénon rappelait que « d’anciens auteurs arabes le désignent par les noms, étranges en apparence, d’Aghatîmûn et d’Adhîmûn ; mais ces noms ne sont visiblement que des déformations du grecs Agathodaymôn, qui, se rapportant au symbolisme du serpent envisagé sous son aspect bénéfique, s’appliquent parfaitement à Seth ». Ces aspect bénéfique est constamment rapproché, dans les écrits de notre maître(6), d’une part de la « face lumineuse » de Metatron dont la signification, selon la Kabbale hébraïque, correspond aussi exactement que possible à celle de Shîth dans l’ésotérisme islamique ; d’autre part, d’un symbolisme solaire et apocalyptique(7) qui se rapporte, quant à lui, à la fonction cyclique finale d’ « Idrîs-Hermès » ainsi qu’à celle des trois Sceaux qui lui est solidaire. Ceci permet de comprendre la raison pour laquelle la doctrine des Sceaux est abordée par le « plus grand des Maîtres » précisément à propos du Verbe de Shîth.

Les indications qui précèdent montrent que celui des trois « fils d’Adam » qui représente le « secret de son père » peut être considéré, par la même, comme le dépositaire par excellence de la Science sacrée. Telle est, selon nous, la signification ultime des « mystères de Shîth » évoqués dans ce chapitre dont la sagesse caractéristique conditionne, ainsi que le conseil donné par Jandî le donne clairement à l’entendre, l’intelligence de toutes celles qui sont inclues dans le Livre des Chatons.

(1) Cette signification métaphysique de la filiation de Shîth est analogue (en dépit de différences fondamentales dans la formulation dogmatique et théologique) à celle du Christ par rapport au « Père ». La parenté entre Jésus et Seth est attestée aussi bien dans l’ésotérisme chrétien que dans le Tasawwuf ; nous aurons l’occasion d’y revenir dans notre commentaire sur le Verbe de ‘Isâ.

(2) Toutefois, le mouvement physique est lui aussi représenté par Seth ; cf. René Guénon, Les conditions de l’existence corporelle dans Mélanges, p. 117 : « Qaïn correspond au temps, Habel… à l’espace, et Seth… au mouvement ». Il précisait : « Seth, ou le mouvement, ne procède pas en lui-même de Qaïn et d’Habel, ou du temps et de l’espace, bien que sa manifestation soit une conséquence de l’action de l’un sur l’autre (en regardant alors l’espace comme passif par rapport au temps) ; mais, comme eux, il naît d’Adam lui-même, c’est-à-dire qu’il procède aussi directement des puissances de l’Homme Universel ».

(3) Cette lettre est présente à la fois dans le vocable nafth et dans le nom Shîth.

(4) R. Guénon, La Langue des Oiseaux, chap. VII des Symboles fondamentaux.

(5) Cf. R. Guénon, Le Tombeau d’Hermès, p. 143 et Formes traditionnelles et cycles cosmiques. A cet aspect se rattache la désignation de Shîth comme « Maître des Feuillets primordiaux » (sâhib as-sahâ’if) que lui donne Nâbulusî. Selon un hadîth, ces Feuillets sont attribués principalement à Adam, à Shîth et à Idrîs.

(6) Cf. Le Roi du Monde, chap. III ; Symboles fondamentaux, chap. XX ; Hermès dans Formes traditionnelles et cycles cosmiques, p. 132 à 137

(7) Évoqué par le nombre 666 dans les deux premiers écrits cités dans la note précédente et par la mention finale de la « Citadelle solaire » dans le troisième. (Charles-André Gilis, pp. 91-95)
Commenter  J’apprécie          20
S’agissant du Christ « historique », le pouvoir dont il s’agit est en relation directe avec la doctrine du shubbiha la-hum de Cor, 4, 157, par laquelle est expliquée en Islam la mort apparente du Christ : cette expression signifie littéralement « il a été fait pour eux une image analogue », ce qui veut dire qu’après la Crucifixion la « nature divine » du Christ s’était retirée de sa forme corporelle pour rejoindre le centre subtil « vital » de son étant individuel ; ou encore, pour reprendre les termes de Jandî, que Jésus avait « transporté avec lui par son action de présence » la forme qu’il avait quittée dans le monde sensible de sorte que c’est une forme analogue à celle du supplicié qui était sortie du tombeau « le troisième jour ».

Une fois de plus, on constante combien les divergences et les querelles théologiques sont factices et artificielles(1). En effet, si la doctrine exposée ici est ignorée des exotéristes musulmans (qui s’imaginent que ce n’est pas le Christ qui a été crucifié mais un sosie au sens habituel du terme) tout autant que des théologiens chrétiens, elle est néanmoins parfaitement connue dans le Tasawwuf et l’on en retrouve aussi de nombreuses traces dans le dogme chrétien. Ainsi, la parole du Christ en croix Eli, Eli, lamma sabaqta-nî : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » est celle que la forme humaine adresse à la nature divine quand celle-ci l’a « précédée »(2) dans le centre vital en l’abandonnant dans le domaine extérieur et sensible. D’autre part, la victoire du Christ sur la mort ne s’opère pas au moment de la Résurrection, ainsi que le suggère la présentation théologique habituelle, mais à l’instant même où il expire en disant : « Père, je remets mon esprit entre Tes mains ».

On oublie trop aisément que le Symbole de Nicée, entre les mentions « est mort et a été enseveli » et « le troisième jour, est ressuscité d’entre les morts » affirme que le Christ est « descendu aux Enfers », lieu qu’il ne faut pas confondre avec le séjour des damnés puisqu’il correspond en réalité aux Limbes, cette région proche du Paradis où, selon la perspective propre du Christianisme, les Justes attendaient d’être délivrés. C’est en tant qu’il est déjà « vivant » d’une vie nouvelle et vainqueur de la mort que le Christ opère cette délivrance afin de le faire participer à sa Résurrection et à son Ascension dans le Paradis. Enfin, la « forme analogue » assumée par le Christ après sa Résurrection explique les difficultés que ses proches et ses disciples éprouvent à le reconnaître.

Le commentaire que Qâchâni donne du shubbiha la-hum (ou, plus exactement, des mots mais plutôt Allâh l’a élevé jusqu’à Lui qui figurent dans le verset suivant) mérite également d’être cité ici : « Il a élevé (rafa’a) Isâ : lorsque son esprit a quitté le monde inférieur pour s’unir au monde supérieur. Il séjourne (désormais) au Quatrième ciel(3), ce qui est une allusion subtile (ishâra) au fait que le lieu d’origine d’où son esprit émane est la modalité spirituelle (rûhâniyya) de la Sphère du Soleil (falak ash-shams) qui est le Cœur du Monde(4) ; c’est donc aussi en ce lieu qu’il retourne. Cette modalité spirituelle est une lumière(5) qui meut cette Sphère par son amour enflammé(6), en irradiant directement ses rayons sur elle à cette fin. Comme (l’esprit de ‘Isâ) est retourné à son point d’origine(7) sans avoir réalisé la perfection véritable, il reviendra nécessairement à la fin des temps en se joignant à un corps nouveau. Alors, tout le monde le reconnaîtra. Les Gens du Livre croiront en lui(8), c’est-à-dire les Gens de la Science qui connaissent l’origine et la fin, et qui, tous, tireront leur science du dernier d’entre eux ; avant la mort de ‘Isâ, lorsqu’il s’éteindra en Allâh(9). Lorsqu’ils auront cru en lui viendra le Jour de la Résurrection, ce jour où ils apparaîtront délivrés de leurs voiles corporels, où ils ‘’se dresseront’’ et quitteront l’état d’oubli et de sommeil où ils se trouvent présentement. »

Si le Quatrième Ciel est le « centre vital »(10) du monde humain, où brille « la lumière des hommes », c’est aussi le cœur du domaine subtil où se produisent et se situent les rêves, ce qui montre l’unité profonde des développements apparemment sans lien que comporte le présent chapitre.

(1) Cf. Marie en Islam, chap. IV.

(2) C’est le sens propre du verbe sabaqa (deuxième personne du singulier : sabaqta).

(3) Cette indication est fondée sur un rapprochement implicite entre le verbe rafa’a qui figure dans ce verset et le terme rafa’ nâ-hu utilisé dans la Sourate Maryam (Cor., 19, 57) à propos d’Idrîs, le prophète qui préside au Quatrième Ciel.

(4) Cf. Symboles fondamentaux de la Science sacrée, chap. LXIX.

(5) Cette lumière est celle qui, selon l’Hindouisme, définit la condition de Taijasa ; cf. L’Homme et son devenir, chap. XIII

(6) On notera la similitude de ce passage avec « l’Amour qui meut le soleil et les étoiles » de la Divine Comédie.

(7) Maqarr, terme qui comporte une idée de stabilité et de fixation : ce point d’origine est situé symboliquement sur l’Axe du Monde.

(8) Allusion à Cor., 4, 159

(9) Cette extinction finale est comparable à celle du Kalki-Avatâra ; cf. Les sept Étendards, p. 219

(10) Idrîs préside au Quatrième Ciel qui renferme « le secret de la vie » ; cf. Le dévoilement des effets du voyage, p. 40. Sur la relation entre Idrîs (Hermès) et ‘Isâ (Jésus), voir le texte de René Guénon sur Hermès. (Charles-André Gilis, pp. 202-204)
Commenter  J’apprécie          20
Ce chapitre traite de la signification du terme dîn. Son enseignement est rapporté à Ya’qûb, d’une part parce que le Coran attribue à celui-ci la parole : O mes fils, Allâh a élu pour vous la religion (ad-dîn) ; ne mourrez pas sans être des soumis (Cor, 2, 132) ; d’autre part parce que, selon sa signification suprême, ce terme est interprété ici par référence à la notion de ‘uqûba (rétribution, sanction), vocable qui appartient à la même racine verbale que « Ya’qûb ».

La Sagesse correspondante est qualifiée de rûhiyya (spirituelle) ou de rawhiyya (« reposante ») selon la vocalisation que l’on adopte. La première interprétation se rapporte à la religion de l’Esprit universel, celle qu’Allâh a « élue » et que Ya’qûb a « recommandée » à ses enfants. Pour Qâchânî, il s’agit ici de la « Religion pure », telle qu’elle est évoquée par le terme fitra ; pour Bâlî, il s’agit plutôt des sciences communiquées dans ce chapitre, car elles procèdent de l’Esprit et ne peuvent être assimilées que par lui. A l’appui de cette interprétation, on rappellera que l’Aigle, désigné en arabe par le terme al-‘uqâb (également de la même racine que « Ya’qûb ») est lui-même un symbole de l’Esprit divin.

La seconde interprétation introduit des considérations plus complexes. Elle repose scripturairement sur une autre parole que le Coran attribue à Ya’qûb et qui, comme la première, prend la forme d’un conseil donné à ses fils : O mes fils… ne désespérez pas du Repos libérateur d’Allâh (rawh Allâh) ; en vérité, ne désespère du Repos libérateur d’Allâh que le peuple des mécréants. (Cor, 12, 87). Le terme rawh évoque non seulement l’idée de « repos » mais aussi celle d’un but atteint, d’un soulagement consécutif à une phase d’affliction et d’épreuve ; c’est le « repos qui marque l’arrivée », la paix qui met fin à l’affliction du cœur. Le Calife Alî a dit dans ce sens : « unissez-vous au repos de la certitude (rawh al-yaqîn) ». Initiatiquement, ce terme désigne la « Délivrance » obtenue grâce aux sciences spirituelles enseignées dans ce chapitre. Jandî, qui envisage uniquement cette seconde interprétation, mentionne dans son commentaire « la science des respirations et des souffles » (‘ilm al-anfûs wa-l-arwâh) ainsi que le hadîth selon lequel « le Souffle du Tout-Miséricordieux me vient à partir du Yémen ». Ces diverses indications montrent comment la notion de rawh permet de relier celle de rûh (souffle, esprit) à celle de râha (repos).

Par ailleurs, le terme rawh évoque l’aspect sensible de la respiration représenté par le parfum (al-rîh), mot qui ne diffère de rûh et de râha que par sa lettre médiane. Selon la Science des Lettres, rûh, rawh, râha et rûh apparaissent comme les états multiples d’une même racine et d’une même signification fondamentale(1) ; c’est ce qu’indiquent aussi ces deux hadîths, le premier cité par Qâchânî : « Les esprits ont une odeur comme les chevaux », et le second rappelé par le Lisân al-‘Arab : « Le parfum (ar-rîh) vient du rawh Allâh, c’est-à-dire de la miséricorde d’Allâh à l’égard de Ses serviteurs. » Rawh désigne plus spécialement le nasîm ar-rîh, c’est-à-dire le « parfum subtile » qui se répand tout d’abord, lorsque la bonne odeur n’a pas encore pris la plénitude de sa force. Tout ceci permet de comprendre pourquoi Jandî explique également la présente Sagesse par référence « à la théophanie et à la science divine manifestée dans l’odorat » ; d’autant plus qu’il justifie cette interprétation en citant un autre verset coranique relatif à Ya’qûb : En vérité, je décèle de parfum de Yûsuf (rîh Yûsuf). Puissiez-vous ne pas m’accuser de radotage (Cor, 12, 94.) Le fondement de cette facon de comprendre rawhiyya est, lui aussi, d’ordre métaphysique, car le « parfum subtil » envisagé ici est, en réalité, celui d’al-wujûd.

La Sagesse propre de ce chapitre n’est donc pas seulement une sagesse spirituelle, mais aussi une sagesse du parfum subtil et de la Délivrance. Les données de la tradition islamique montrent comment ces trois aspects complémentaires d’un même type de réalisation initiatique ont été rapportées par Ibn Arabî à sayyidnâ Ya’qûb.

(1) Râha, rûh et rîh diffèrent essentiellement par leurs lettres médianes yâ, wâw et alif, qui symbolisent le Pôle Suprême. Celui-ci, envisagé en tant que « Maître des trois mondes » « soutient l’univers par sa respiration ». On soulignera la parfaite conformité de ces termes avec la signification universelle de ces trois lettres : rîh se rapporte plus spécialement à l’homme individuel, sous sa double modalité « grossière » et « subtile », rûh à l’état supra-individuel et râha à l’être principiel. (Charles-André Gilis, pp. 235-237)
Commenter  J’apprécie          20
La Sagesse du cœur est attribuée à Shu’ayb pour deux raisons. La première n’est pas mentionnée par Ibn Arabî ; il s’agit de l’ordre donné par ce prophète à son peuple de mesure avec équité et de peser avec une balance juste de manière à ne pas caser de tort aux hommes. La seconde, étroitement liée à la première, est mentionnée au paragraphe 6 et se rapporte au nom « Shu’ayb » dont la racine contient l’idée de « ramifications » s’étendant dans toutes les directions à partir d’un centre. Ces deux indications évoquent la fonction du cœur qui est considéré comme le centre de l’être parce qu’il est physiquement le centre du corps. Selon un hadîth prophétique, c’est lui qui maintient la santé des organes et des membres parce qu’il assure l’équilibre du corps dans son ensemble, donnant à chacune de ses parties sa part et le « régissant avec justice ». Il représente l’ « unité de l’ensemble des facultés » corporelles et spirituelles, et c’est pourquoi il est considéré aussi, dans le Tasawwuf, comme l’organe par excellence de la Connaissance métaphysique et de la réalisation initiatique.

René Guénon a montré que le centre de l’espace n’est autre que le point dont il procède, mais que ce point n’est pas de nature spatiale. De même, le cœur contient en lui une « cavité secrète », un « germe » qui est « le point de contact avec le Divin »(1). Ce « centre du cœur » est lui-même de nature divine, ce qui confirme la fonction cognitive et réalisatrice du cœur car Dieu ne peut jamais être connu véritablement que par Lui-même ; il est appelé en arabe « lubb », terme qui a aussi le sens de « moelle ». C’est pourquoi les commentateurs de notre chapitre rapprochent le verset cité dans le paragraphe 5 : En vérité il y a en cela un rappel pour celui qui est doué de cœur de cet autre : En vérité il y a en cela un rappel pour ceux qui sont doués de moelle (ulû-l-albâb). Le « lubb », qui n’est autre que le « noyau d’immortalité », est défini par Jandî de la façon suivante : « Dieu, en tant qu’il est présent en toute chose et en toute créature est le lubb de toute chose » ; c’est aussi la « Face de Dieu » dont il est dit dans le Coran : Toute chose périt sauf Sa Face. Ce verset comporte une application initiatique qui souligne un autre aspect de la fonction du cœur : si, d’une part, le Très-Haut ne peut être connu que par Lui-même, d’autre part la contemplation directe et la réalisation effective de Sa Présence lorsqu’Il est « contenu dans le cœur » exclut toute « association » avec « autre que Lui ». C’est le sens de la parole d’Abû Yazîd citée à la fin du paragraphe 2 : « Si le Trône et ce qu’il contient se trouvaient cent millions de fois dans un des coins du cœur du Connaissant, il ne le percevrait pas ».

D’autres enseignements relatifs au cœur sont liés aux significations de la racine du mot qalb (qui évoque l’idée de « retournement » ou de « renversement ») et de la racine q-b-l qui lui est semblable car elle comporte les mêmes lettres. René Guénon a indiqué que celle-ci « en hébreu et en arabe signifie essentiellement le rapport de deux choses qui sont placées l’une en face de l’autre » ; et il précisait : « De ce rapport résulte aussi l’idée d’un passage de l’un à l’autre des deux termes en présence, d’où des idées comme celle de recevoir, d’accueillir, d’accepter… »(2). Effectivement, la racine q-b-l comporte en arabe le sens de « réceptacle » qui convient éminemment au cœur envisagé en tant que « support des Épiphanies divines ». A ce point de vue, l’idée de « renversement » est également présente, puisque le cœur apparaît comme le « miroir d’Allâh »(3) et comme la manifestation de la Forme divine, ce qui est la définition du Califat.

(1) Le Grand de sénevé, p. 434 des Symboles fondamentaux.

(2) Cf. Qabbalah, p. 61 de Formes traditionnelles et cycles cosmiques.

(3) Ceci explique que le cœur, en tant que réceptacle de la Divinité, ait pour symbole géométrique le triangle inversé. La notion de « miroir d’Allâh » est évoquée par le nombre du mot qalb qui est 132, double de 66 qui est le nombre du Nom de Majesté. (Charles-André Gilis, pp. 327-328)
Commenter  J’apprécie          20
Ils exprimèrent leur ruse en disant : N’abandonnez jamais vos divinités ; n’abandonnez jamais, ni Wadd, ni Suwâ’, ni Yagûth, ni Ya’ûq, ni Nasr… En effet, cet abandon les aurait privés de la connaissance de Dieu dans une mesure correspondante, car tout objet d’adoration comporte un aspect (divin) connu de celui qui connaît cet objet et ignoré de celui qui l’ignore. Les Muhammadiens disent, quant à eux : Ton Seigneurs a décrété de toute éternité que vous n’adorerez que Lui ; c’est-à-dire : Il a établi la chose ainsi. Le Savant (par Allâh) sait Qui est adoré, et dans quelle forme Il s’est manifesté pour être adoré, et que la séparation et la pluralité sont semblables à celles des organes dans la forme sensible de l’homme et des facultés subtiles dans sa forme spirituelle, de sorte qu’en tout objet d’adoration c’est Allâh seul qui est adoré.

Celui dont la connaissance est inférieure s’imagine que la qualité divine est dans ces objets mêmes ; sans cette imagination, ni pierre, ni aucune chose semblable n’aurait jamais été adorée. C’est pourquoi le Très-Haut a dit : Nommez-les ! car, s’ils les avaient nommés, ils les auraient appelés « pierre », « arbre », « astre » ; et si on leur avait dit : « Qui adorez-vous ? » ils auraient répondu : « une Divinité » ; ils n’auraient dit, ni « Allâh », ni « la Divinité ».

Celui dont la connaissance est supérieure n’est pas le jouet de son imagination ; il dit plutôt : « Ceci est un support théophanique qu’ils convient de vénérer », de sorte que rien ne lui fait défaut.

L’ « inférieur », celui qui recourt à l’imagination, déclare : Nous les adorons uniquement pour qu’ils nous rapprochent d’Allâh ; le « supérieur », le savant (véritable), déclare (plutôt) : Votre divinité ne peut être qu’une Divinité unique : faites donc acte de soumission à elle… là où elle se manifeste …et annonce la bonne nouvelle aux humbles : ceux chez qui le feu de leur nature a été éteint(1) de sorte qu’ils disent « une Divinité » et non « un aspect naturel ».(2)

(1) Ibn Arabî explique le sens du terme mukhbitîn (se montrer humble devant Dieu) – tiré de la racine kh-b-t – au moyen d’une assimilation verbale établie avec le verbe khabâ (de racine kh-b-w) qui désigne notamment le fait de laisser s’éteindre un feu. Dans son commentaire, Qâchânî souligne le contraste entre l’ « orgueil » du feu qui cherche à s’élever et l’humilité de ceux qui s’abaissent devant Dieu.

(2) Lorsque le « feu de la nature », c’est-à-dire la vie individuelle, n’est pas éteint à l’intérieur de l’homme, il ne peut voir extérieurement que l’aspect naturel des réceptacles théophaniques. Inversement, s’il perçoit la « qualité divine » de ces derniers, c’est parce que l’extinction en lui du « feu naturel » lui permet d’actualiser son essence principielle, car, selon l’enseignement des Maîtres de la Voie, « seul Dieu peut voir Dieu ». (pp. 124-126)
Commenter  J’apprécie          30

Video de Ibn'Arabî (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de  Ibn'Arabî
Kahina Bahloul est islamologue et depuis peu, imame. Souleymane Bachir Diagne enseigne la philosophie et s'intéresse de près aux intellectuels musulmans.
Pour elle, le poids de la tradition littéraliste et orthodoxe, l'inflation des lectures normatives, amputent l'islam de sa dimension mystique et bloquent l'accès des femmes au domaine religieux. Pour lui, les mêmes tendances freinent le développement d'une pensée islamique vivante et contextualisée.
Tous deux toutefois, soulignent la richesse intellectuelle de nombreux courants islamiques à travers les époques, du philosophe Averroès et du mystique Ibn Arabi, aux penseurs contemporains Mohamed Iqbal, en passant par les réformateurs du XIXème siècle comme Mohammed Abdu.
L'invité des Matins de France Culture. Comprendre le monde c'est déjà le transformer, l'invité était Kahina BAHLOUL / Souleymane Bachir DIAGNE (07h40 - 08h00 - 19 Avril 2021) Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
+ Lire la suite
autres livres classés : Occultisme islamiqueVoir plus
Acheter ce livre sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten


Lecteurs (22) Voir plus



Quiz Voir plus

Jésus qui est-il ?

Jésus était-il vraiment Juif ?

Oui
Non
Plutôt Zen
Catholique

10 questions
1828 lecteurs ont répondu
Thèmes : christianisme , religion , bibleCréer un quiz sur ce livre

{* *}