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Marie-Pierre Bay (Traducteur)
EAN : 9782070420001
915 pages
Gallimard (31/03/2002)
4.02/5   75 notes
Résumé :
Rien ne sera plus comme avant pour ces survivants venus de Pologne qui se retrouvent à New York en 1947.
Alors ils sont saisis d'une folle envie d'agir, d'aimer, d'entreprendre, de réussir. D'aimer, surtout.
Au centre du roman, Grein, pris entre trois femmes : la sienne, sa maîtresse et Anna, fantasque et irrésistible.
Pour pouvoir vivre ensemble, Grein et Anna défient leur entourage, au risque de briser des vies et de se détruire mutuellemen... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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L'action se déroule en 1947, au sein de la communauté juive polonaise exilée à New York. Écrit en 1957, en yiddish (comme la quasi-totalité de l'oeuvre littéraire de Singer), publié d'abord en tant que feuilleton dans un journal et à cette même année, le roman sera finalement traduit en anglais et édité pour la première fois aux Etats-Unis en 1998.
Les personnages de OMBRES SUR L'HUDSON sont pour la plupart des émigrés arrivés de fraîche date aux Etats-Unis, victimes de l'antisémitisme ayant fui les persécutions massives engendrées par la montée des fascismes en Europe, certains étant des rescapés directs de la Shoah. Ils ont pratiquement tous en commun le fait d'avoir perdu des amis ou des parents proches, parfois leurs épouses et enfants, exterminés dans les camps de la mort nazis.
Ambitieux sur le fond, mais restant en même temps accessible sur la forme à un public très large, OMBRES SUR L'HUDSON est une lecture agréable, une oeuvre intelligente, instructive et surtout passionnante. Ce roman-fleuve, issu donc lui-même d'un très long feuilleton, se révèle in fine comme une brillante chronique de moeurs d'une communauté et d'une époque particulières. Aussi, tout en embrassant les particularismes d'une religion complexe, le judaïsme, et de la culture yiddish dont l'auteur lui-même était issu, l'intrigue se développe-t-elle sur fond de tournants importants, historiques et sociétaux, survenant dans l'après-guerre, et dont les prémices encore balbutiantes sont néanmoins déjà présentes, deux années s'étant à peine écoulées depuis la fin du deuxième conflit mondial : en 1947, si l'exode vers la Palestine est devenu très important, l'état d'Israël n'a pourtant pas encore été officiellement créé, la guerre froide est loin d'avoir pris tous ses accents apocalyptiques postérieurs, le communisme en tant que idéologie et parti politique n'est pas encore proscrit aux Etats-Unis, et même le régime stalinien bénéficie à ce moment d'un fervent engouement dans certains milieux nord-américains, notamment parmi les jeunes, les intellectuels et les artistes...Ancré donc dans un microcosme social et culturel à un moment donné, OMBRES SUR L'HUDSON ouvre néanmoins au lecteur une perspective de réflexion plus générale et universelle sur la profonde crise de valeurs morales qui allait secouer en profondeur la deuxième moitié du siècle dernier, pour atteindre enfin son apogée au dernier quart du XXème siècle.
La communauté juive-polonaise exilée à New-York d'où Singer extrait ici une riche galerie de personnages se retrouve à ce moment-là dans une sorte d'entre-deux : partagée entre l'orthodoxie hassidique et l'essor nouveau connu par le mouvement du judaïsme réformé dans les pays anglo-saxons (on pouvait alors se demander, selon le mot devenu célèbre : «vaut-il mieux un juif sans barbe ou une barbe sans juif ?»), entre la nostalgie d'un vieux monde en ruines vers lequel un retour semble plus qu'improbable et l'implantation en cours, à ce stade déjà très laborieuse, d'un futur État hébreu en Palestine, ou encore entre les traumatismes sévères laissés par l'holocauste et l'extermination de six millions de juifs par le régime nazi, images d'horreur gravées à tout jamais dans les esprits, et l'injonction de devoir continuer à croire en une divinité miséricordieuse et en l'appartenance des juifs à un Peuple élu par Dieu...
Et puis, même pour ceux qui arrivent, malgré les doutes qui les assaillent, à vouloir maintenir à tout prix leur foi et leur identité juives («il n'y a d'autre identité possible pour un juif en dehors de l'exil et la religion») comment réussir à concilier une pratique religieuse où la présence de Dieu se manifeste par le respect des «mitsvot», les «commandements» traditionnels, dans un environnement nouveau et aussi peu propice à leur déploiement? Car la «mitsva» exige une attention extrême portée aux moindres détails de la vie quotidienne, elle implique des choix personnels difficiles à faire pour le croyant, forcément à géométrie variable (quitte à tomber dans l'orthodoxie la plus radicale), puisqu'il est quasiment impossible de les suivre toutes à la lettre autrement qu'en s'isolant complètement de la vie civile (les textes sacrés en recenseraient, semble-t-il, 613 !!). Comment s'y arranger en plus, dans un cadre et dans un contexte nouveaux et parfois en totale rupture avec les précédents, comment harmoniser les commandements religieux prescrits et les prérogatives d'un pays exalté par la place prépondérante qu'il est censé désormais occuper dans l'échiquier mondial, avec le rythme frénétique et les tentations omniprésentes de ce New York survolté de l'après-guerre ? Comment résister systématiquement à l'offre pléthorique de biens de consommation et de plaisirs immédiats, telles par exemple ceux suggérés par ces affiches gigantesques de «jambes féminines dénudées» sur les façades des immeubles à Broadway, ou bien refuser les mondanités indispensables pour réussir dans les affaires, ou éviter enfin de faire preuve de bonne volonté et montrer un certain degré d'assimilation, minimum requis pour obtenir le sésame de la citoyenneté américaine ?
Effondrement et corrosion des valeurs anciennes, culpabilité envers ceux qui ont été abandonnés à leur sort et dont souvent on a plus eu aucune nouvelle, sentiment tout aussi douloureux de faute envers le passé, les ancêtres et la tradition qu'on a le sentiment insidieux de trahir irrémédiablement, relâchement progressif des valeurs traditionnelles du judaïsme chez les plus jeunes, dont les parents s'attribuent en définitif à eux-mêmes la responsabilité, attirance et en même temps crainte irrationnelle devant la possibilité de se libérer des attentes et des contraintes extérieures traditionnelles pour s'autoriser enfin à accéder à un bonheur individuel, recherche de pénitence comme un moyen factice de libre-arbitre permettant de continuer à croire en un «ciel plein de sagesse, de grâce, de compassion, de pureté» plutôt qu'à «un univers tel que Einstein ou Eddington le concevaient : un tas de glaise bourré d'atomes aveugles qui couraient dans tous les sens en se cognant fiévreusement au passage»...tel est le lot commun, les questions et les vicissitudes auxquels devront faire face les personnages de OMBRES SUR L'HUDSON.
Singer est avant tout un conteur hors-pair (sur 750 pages, croyez-moi, il n'y a absolument aucune « longueur» à déplorer!). Empreint d'une humanité et d'une empathie extraordinaires envers ses personnages, sans se priver par ailleurs d'honorer la riche tradition d'humour et d'autodérision de sa culture d'appartenance yiddish, l'auteur évite toutefois, avec brio, non seulement les écueils de la caricature mais aussi ceux, à l'opposé, de la bien-pensance ou de la complaisance partisane, sans renier non plus pour autant à sa propre histoire, à ses racines hassidiques ou à son cheminement personnel.
Issac Bashevis Singer réussit la prouesse d'aborder des questions graves, essentielles, tout en se plaçant en simple «raconteur d'histoires», sans autre prétention en apparence que celle de traduire le «fait humain», de restituer en témoin bienveillant le parcours d'hommes et de femmes en quête de rédemption face à la menace d'effondrement de leurs repères et de leurs croyances. Quelles que soient les convictions ou les impasses de ses personnages, juifs orthodoxes ou libéraux, rénovateurs ou messianiques, pour ou contre la création d'un État hébreu, contre ou pour l'assimilation, athées ou communistes, ou bien tout simplement «entre-deux», ceux-ci sont systématiquement traités avec une même et naturelle générosité, et surtout avec le respect que méritent tous ceux qui continuent, malgré tout, à se battre contre le fatalisme, contre toute forme de nihilisme ou contre la perte de leur précieuse capacité de libre-arbitre.
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En entamant ce roman, j'imaginais un roman "à la Balzac", c'est à dire grouillant de vie, une sorte de peinture réaliste d'un quartier juif de New-York... Mais il ne s'agit pas de cela. L'action se déroule en 1947 au sortir de la guerre. le milieu est celui de l'intelligentsia juive qui a fui l'Europe et ses massacres. L'action débute in medias res au cours d'un repas réunissant tous les proganistes du roman qui sont en vrac : un riche parvenu, sa fille, un avocat sans travail, un médecin, un philosophe et la figure centrale, le séduisant Grein qui gagne sa vie en boursicotant et qui sera partagé entre trois femmes tout au long du roman.
Nous suivons tous ces personnages dans leur errance mentale, leur déprime et leur chute. Ombres sur l'Hudson pose les questions bienvenues après la Shoah de l'existence de Dieu, sa bonté (et son bon sens : comment un Hitler ou un Staline ont-ils pu exister ?), la consistance de l'être humain et naturellement de l'identité juive et ce qui la compose (encore). New York est assez peu décrite et semble représenter la situation conflictuelle et labyrinthique de ces personnages coincés entre la vieille Europe perdue à jamais et ce nouveau monde qu'ils ne peuvent tout à fait faire leur.
Le bonheur semble s'échapper à tout instant pour ces rescapés que la culpabilité, le doute et le questionnement de soi étouffent à tout instant.
On soupire et on a parfois envie de les secouer. Car, je les ai trouvés tout autant irritant ces personnages que touchant.
Le roman est long mais la lecture est fluide, l'écriture et certains thèmes étonnament modernes. Ne pas être trop déprimé cependant avant de le commencer ! Non que le ton soit sentimental, larmoyant.. bien au contraire.. mais il y règne une sensation de fin du monde où les blessures béantes de chacun resteront telles quelles.


Challenge Nobel 2013/2014
3 / 15
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New-York, ville d'accueil pour des milliers de juifs fuyant la montée du nazisme durant les années 30, ville de la deuxième chance pour ceux qui perdirent tout en Europe de l'Est. Singer fut l'un de ceux-là. Mais ce n'est pas la possibilité d'un élan nouveau qu'il dépeint dans Ombres sur l'Hudson, roman foisonnant publié dans un premier temps par épisodes en 1957, entièrement rédigé en yiddish, « la langue des martyrs et des saints, des rêveurs et des kabbalistes (…), la langue sage et humble de nous tous, la langue de l'humanité effrayée et pleine d'espoir », dira-t-il en recevant le prix Nobel de Littérature en 1978. Non, ce qu'il choisit de dépeindre, c'est l'agitation stérile d'une douzaine de personnages principaux au lendemain de la deuxième guerre mondiale, chacun incarnant une modalité de déréliction ou de déchéance.
Il y a ceux qui ont su faire fortune mais qui ne savent pas quoi en faire, écrasés par la honte de vivre dans une opulence sans joie alors que tant de parents ont été réduits en cendres, au point d'imaginer qu ' « on a assassiné les bons » et que tout survivant est douteux. Il y a ceux qui traînent leur désenchantement, à l'instar de Grein qui malgré son érudition et sa séduction se perçoit comme « un vieux cheval épuisé qui dort debout ». Ceux qui, artistes reconnus en Europe, renoncent à repartir de rien dans une monde moderne qui leur apparaît clinquant et plat, « à deux dimensions ». Ceux dont la foi vacille, ceux qui voient dans leur histoire entière « un vaste pogrom » dont se moque le Créateur, ceux dont le doute les amène à comparer Dieu à un « Hitler cosmique ». Ceux qui s'agrippent désespérément aux vieilles traditions des communautés juives dont ne veulent plus entendre parler les jeunes générations au contact de la matérialiste Amérique : « Ils avaient résisté à l'idolâtrie pendant trois mille ans et voilà que d'un seul coup ils devenaient des producteurs en vue à Hollywood, des directeurs de journaux connus, des dirigeants communistes radicaux ».
Mais impossible de fuir cette cité de l'enlisement, ce « tohu-bohu », ce « cloaque » protéiforme qui tantôt raconte « une histoire lumineuse, écrite à coups d'éclairage sur des rivières, des lacs, des bateaux », tantôt se laisse engloutir par la neige hivernale, comme « un vestige d'une civilisation déjà à moitié disparue ». Car New-York est surtout la ville de la facilité, « bâtie sur le principe de la récompense immédiate », ville des illusions et de la vénalité, où tout est objet de transactions, y compris la mort : « A New York on peut louer tout ce qu'on veut. Même quelqu'un pour observer les Sept Jours de deuil à votre place ». Les échappatoires seront des leurres, les incessants croisements amoureux révélant davantage l'inconstance des coeurs que leur vitalité. Une suite de chapitres à la fois hilarants et mélancoliques met en scène la fugue des amants scandaleux Grein et Anna en Floride, à Miami, nouvel Eden couvert d'oranges, liberté ensoleillée en dehors de toute convention. Mais passée la première euphorie, ils n'y trouveront que vulgarité et mesquinerie – et leur solitude fondamentale. Retour au point de départ.
L'auteur du Magicien de Lublin, conteur hors-pair fidèle à la ligne claire de ses récits et soucieux de donner la parole à tous les possibles de l'humain, suit avec attention ces consciences égarées, ombres dostoïevskiennes sur le mode mineur, suffisamment lucides pour ne rien ignorer de leur propre inadaptation à la vie, pas assez volontaires pour se dépêtrer de leurs contradictions que la bouillonnante New York exacerbe. On finit par se remarier sans amour, donner naissance à un fils inespéré – mais il sera attardé mental -, ou abdiquer sa judaïté, ou au contraire opter pour un retour rigoriste aux pratiques religieuses, non par élan mystique, mais pour « museler la bête humaine ». Idéal amer, sur la défensive – le seul qu'autorise la ville-monde dans un monde que ne reconnaissent plus les inconsolables déracinés.
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Un groupe de gens qui se fréquentent, s'apprécient, dans un salon new-yorkais. Surtout des homme, si ce n'est la fille de l'hôte, 27 ans. La trentaine, la quarantaine, la cinquantaine, parfois riches, parfois bourgeois, parfois pauvres, plutôt intellectuels. Ils échangent des idées, se contredisent, discutent. La jeune femme qui papillonne dans le groupe fait naître des sentiments, des envies.
Un groupe de gens qui se fréquentent au coeur de New York, on est en 1947. La guerre en Europe s'est terminée il y a peu, avec son lot d'horreurs.
Un groupe de gens qui se fréquentent en 1947 à New York, et ils sont tous juifs, juifs de Varsovie. La guerre et son lot d'horreur n'est même plus dans les têtes, elle est partout, dans les nerfs, les corps, les pensées, tatouée, sculptée, et ces gens qui se fréquentent, parlent de dieu, de la vie, de la destinée humaine, sont encore sonnés par la violence de ce qui s'est passé. Certains y ont perdu leur famille, ont réussi à fuir, d'autres ont émigré avant la guerre, et portent la culpabilité du survivant, certains veulent vivre, mais à chaque pensée, le génocide est là, évoqué comme "ce qu'a fait Hitler, les tueries d'Hitler, cet assassin d'Hitler". Un des personnages est un rescapé des camps, un des personnages les plus attachant.
Presque au même plan, il y a Staline, c'est curieux, ils mettent à égalité les deux assassins, les deux calamités du siècle (Mao n'a pas encore officié). Certains sont tentés par le communisme pourtant, défendent bec et ongles la cause du peuple et son petit père, en tous cas depuis les Etats-Unis. Mais les nouvelles d'URSS ne sont pas bonnes, notamment pour les juifs, mais pour tout le monde en général. On y blague même, pour ceux qui ont réussi à fuir le pays, sur les dénonciations qui occupent le quotidien soviétique : ta maîtresse te dit du mal de Staline, et si tu ne protestes pas vigoureusement, elle file te dénoncer pour non dénonciation… Donc, tu vas la dénoncer, et tout rentre dans l'ordre jusqu'à la prochaine lubie. Personne n'est dupe, il faut juste choper le truc.
Des pages un peu longuettes sur les cérémonies juives. D'autres sur "pourquoi y aurait-il un dieu, si c'est pour permettre à des Hitler ou des Staline de faire ce qu'ils ont fait ?". L'envie de suivre les préceptes de la religion, mais c'est un pensum. Les nouvelles générations qui s'en foutent complètement.
Et les femmes.
C'est quasiment une étude sur l'indécision. Ca conduit le livre et quelque part, ça le pourrit. On s'y reconnait, dans le questionnement, et si je fais ça, si je largue tout, ça va donner quoi dans deux ans, dans dix ans. Et j'ai trop envie de le faire, mais est-ce vraiment ce que je veux ? Mais pourquoi garder les choses en l'état, alors que je m'ennuie mortellement. Par acquis de conscience, par respect pour l'autre, mais la vie est faite d'autre chose, mais au fond, de quoi est faite la vie… Etc.
Pas de leçon de morale, ni de coups de gourdin sur "regardez comme on a souffert" assénés au lecteur. C'est de la vie qui est décrite, pleine de trous, vaille que vaille.
Ca a d'abord paru en feuilleton. L'auteur (prix Nobel) a dû lui aussi se triturer d'indécision sur le sort de ses personnages, alors j'en fais quoi, de celui-là, ce qui rend le livre vivant et bancal… comme la vie.
Ca fait 900 pages et ça pourrait encore continuer, 900 pages en photo d'une société à un moment donné, avec ce passé impossible et cet avenir assombri et pourtant porteur de lumière.
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New York 1947, le roman s'ouvre sur une scène de dîner chez Boris Makaver, homme d'affaires âgé qui a fui le ghetto de Varsovie quelques années auparavant. Les convives autour de lui sont tous des proches ou des amis juifs exilés à New York, dont nous allons suivre à un moment donné la trajectoire.
Cette première soirée au terme de laquelle Anna Makaver quitte son mari Sebastien Luria pour une vieil ami de sa famille, Grein, lance l'un des fils conducteurs du récit, c'est-à-dire les liens qui se font et se défont entre la quinzaine de personnages, et toutes les réflexions qu'entrainent et déterminent les choix de chacun. Grein ne cessera ainsi d'hésiter entre trois femmes, Leah son épouse, Anna fille de son ami Makaver qu'il a connu enfant, et Esther, qui est sa maîtresse depuis douze ans. le docteur Malogrin hésite à reprendre sa femme et sa fille, parties vivre avec un officier nazi pendant la guerre...
Ombres sur l'Hudson peut faire penser à Manhattan Transfert de Dos Passos, notamment dans la construction du récit qui s'attache à une constellation de personnages qui entretiennent des liens plus ou moins étroits, qui disparaissent, ou réapparaissent au détour d'une conversation entre deux personnages. le moteur des personnages restent cependant leur rapport à la judaïté, et à la Shoah : comment et pourquoi vivre après les camps ? Les réponses comme les personnages sont multiples, souvent excessives, et toutes relatives, qu'il s'agisse de la religion, de la passion, du mensonge, de la perte de soi.
Ayant lu ce roman il y a près d'un an, le sentiment que j'en garde est celle d'une grande instabilité des trajectoires, de relativité des choix, qui changent à chaque instant (ce qui paraissait évident la veille parait saugrenu le lendemain), de passages également où l'on s'ennuie devant tant d'indécision qui ressemble parfois à du caprice. C'est sans doute ce qui en fait un grand roman où, comme les personnages, on s'accroche au moindre sursaut de vie, même si c'est encore une illusion.
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Citations et extraits (7) Voir plus Ajouter une citation
Il faisait de plus en plus sombre dans la pièce. Seule une lointaine lueur pénétrait encore par la fenêtre. On entendait le sifflement de la vapeur dans les canalisations du radiateur, comme un petit air monotone mais persistant. La vérité, se dit le professeur Shrage, c'est qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre la vie et ce qu'on appelle la mort. Tout vit: les pavés dans la rue, la vapeur dans les tuyaux, les lunettes sur mon nez. C'est simplement une question de degré. La mort n'existe pas, voilà la réponse à toutes les questions sur la nature de l'existence, les fondations sur lesquelles tout être pensant doit bâtir ses inférences.
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Il [Grein] était un incroyant contraint, en période de trouble ou alors face à une injustice ou à quelque chose de honteux, de lever les yeux en direction du ciel et de faire appel à ce Dieu dont il niait l'existence. Et ceci parce que, chez les Juifs, Dieu était une maladie, une obsession. Pour un Juif, l'idée que Dieu était bon et juste devenait la quintessence de la vie. Qu'il le voulût ou non, un Juif avait sans arrêt des comptes à régler avec le Tout-Puissant : soit il le louait, soit il blasphémait son nom. Il l'aimait ou le haïssait. Mais il ne s'en libérait jamais. S'il souffrait de certains complexes, celui concernant Dieu était inéluctable. Un Juif ne pouvait y échapper, pas plus qu'à sa propre peau, à son sang, à sa moelle. Quand il s'imaginait être en train de fuir Dieu, il se contentait en réalité de tourner en rond comme un âne autour d'une noria ou une caravane perdue dans le désert. En fait, cela était vrai de toute l'humanité.
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Cela voulait-il dire qu'il y avait place dans la nature pour des éléments dépourvus de toute signification ? Alors peut-être que rien n'en avait.
Toujours couché, le professeur suppliait qu'on lui envoyât une signe, une petite lumière, la révélation qu'au-delà de la matière il existait quelque chose, mais rien ne venait, que de la souffrance physique et des rêves creux. Quel choc se serait de constater que les matérialistes avaient raison ! Enfin, heureusement, la fin approchait. S'il n'y avait rien dans l'autre monde, tant pis. Au moins dans sa tombe, on serait tranquille. Mais comment était-il possible que rien n'existât au-delà de notre monde à nous ? Pouvait-on concevoir le cosmos comme résultant d'un pur hasard ? Ou imaginer sourdes et aveugles les puissances qui avaient fait exister Platon, Newton ou Pascal ? Si une peu de terre donnait vie à un rosier, si le ventre d'une femme portant un Dostoïevski, comment des millions, des milliards de mondes pouvaient-ils n'être faits que de matière inerte ? En tout cas, une chose était possible : que les êtres humains fussent aussi limités à l'avenir qu'ils l'étaient autrefois. Ils avaient tous un corps minuscule et une âme microscopique - le corps destiné à pourrir et l'âme à éclater comme une bulle de savon. (pp877-878)
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La voiture tanguait d'un côté de la chaussée à l'autre, comme si elle sentait l'agitation de celui qui la conduisait. Grein vivait en Amérique depuis vingt ans et pourtant il gardait l'étonnement du nouvel immigrant et la curiosité du touriste. Tout lui paraissait extraordinaire : les eaux de l'Hudson clapotant contre les piliers des jetées, la silhouette contre le ciel des usines du New Jersey,les lumières de ces mêmes usines allumées toute la nuit, les bruits mystérieux qui en provenaient, les enseignes au néon, et surtout les antennes de la radio... Il avait du mal à comprendre comment de ces squelettes de fer et d'acier, de ces ondes dont personne ne savait trop la véritable nature, pouvaient jaillir des chansons stupides, des bavardages ineptes et des publicités sans le moindre intérêt.
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Tes livres sacrés parlent sans arrêt du libre arbitre. Moi je te dis qu'un être humain dispose du libre arbitre autant qu'une mite ou une pierre. Je prends des résolutions solennelles. Je jure par tout ce qu'il y a de sacré. Et aussitôt après, je renie tout. Nous sommes des machines, Borukh, des automates aveugles.
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