Il y a quelques années, j'ai lu quelques bouquins de
Christopher Isherwood, des trucs sur l'Entre-guerre, la culture décadente, sur Berlin. J'avais bien aimé, sans plus. Eh bien, avec ce roman différent,
Rencontre au bord du fleuve, j'ai été franchement et agréablement surpris. D'abord, il s'agit d'un roman épistolaire qui s'éloigne des récits autobiographiques familiers. On retrouve Oliver, un Anglais qui s'apprête à prononcer ses voeux pour devenir moine hindou. Il écrit à son frère Patrick pour l'en informer (et pour demander à celui-ci d'informer leur mère.). Ce dernier, qui devait se rendre à Singapour pour affaires, fait un détour en Inde pour parler avec son frère. S'ensuit une chaine de lettres entre ceux-là, puis entre Patrick, leur mère, son épouse Pénélope et son amant secret Thomas. (On n'est qu'au milieu du XXe siècle, après tout!)
Ensuite, le génie de ce roman, c'est que cette correspondance ne reflète pas la réalité. Les lettres ne montrent que ce que chacun comprend et, surtout, ce que chacun veut communiquer (ou cacher). Parfois, inconsciemment, d'autres fois, volontairement. Dans tous les cas, elles révèlent davantage que ce que chacun veut bien l'admettre. En effet, dans ses lettres à son frère, Patrick vante les vertus d'Oliver, son idéalisme, disant (après la surprise initiale) qu'il l'envie de pouvoir se montrer si courageux de tout abandonner. Lui-même ne serait pas capable de renoncer à tout désir humain. Toutefois, dans les lettres à sa mère et à son épouse, il critique les choix d'Oliver.
Par exemple, Patrick écrit à son épouse que son frère, lorsqu'il l'a enfin trouvé, a demandé des nouvelles de Pénélope. On se dit qu'il est prévenant. Puis, en lisant le journal intime d'Oliver, on découvre que ce dernier n'a rien fait de tel. Cette anecdote peut sembler anodine (je l'ai choisie pour ne pas dévoiler d'autres sujets plus importants) mais elle est révélatrice de beaucoup. On devine qu'Oliver est indifférent à Pénélope, que cette dernière se moque de son beau-frère et que Patrick cherche à démontrer à l'un comme à l'autre qu'ils apprécient plus qu'ils ne le pensent.
Avec
Rencontre au bord du fleuve, on découvre des dynamiques familiales très différentes de celles qu'on croyait (mais qui sont sans doute plus près de la réalité). Je pensais avoir affaires à une famille normale mais qui est gangrenée de l'intérieur par un manque de communication, des secrets inavoués qui ne demandent qu'à sortir à la lumière. Les lettres (ou entrées de journal intime) démentent les autres, ou, du moins, apportent un éclairage nouveau sur des événements, des impressions. En ce sens, elles constituent une analyse fine des relations humaines.
Ceci étant dit, ce roman dépasse les relations familiales, ou le concept de bienseillance, mais touche à des sujets beaucoup plus larges. Patrick, le grand frère, veut agir en grand frère. Il se dit que c'est sa responsabilité de ramener son petit frère dans le droit chemin. Tout cela alors que lui-même semble perdu dans sa vie personnelle. Cherchant le plaisir par-dessus le devoir. L'homosexualité non assumée de Patrick est importante. Sa relation avec Thomas me paraissait être l'engouement d'un homme qui se laisse aller à des penchants pour la première fois, comme s'il découvrait sa sexualité. Mais on découvre qu'il a eu d'autres amants avant et que Pénélope se doute de quelque chose. Enfin, Oliver cherche à donner un sens à sa vie. Loin du matérialisme occidental représenté par son frère. Mais, si c'était seulement en réaction à quelque chose, à un vide, et qu'il ne ressent pas vraiment l'appel de l'hindouisme. Difficile à dire.
Bref,
Rencontre au bord du fleuve n'apporte pas les réponses à toutes les questions qu'il soulève mais n'en est-il pas ainsi de la vie? Avec ce bref roman,
Christopher Isherwood a réussi à créer une oeuvre beaucoup plus profonde que je ne l'aurais cru mais, en même temps, très accessible. Je le recommande vivement.