Renvoyés dos à dos, les tenants de l’« histoire vraie » et les nouveaux propriétaires de sa légende éternelle ne sont pas prêts à accepter leurs différences. Mais force est de constater que les premiers n’ont plus guère d’espoir de retourner les faits à leur avantage, faute de nouvelles preuves irréfutables sur les raisons objectives du naufrage. Ils offrent donc à leurs contradicteurs des pages blanches que ces derniers s’empressent de combler, avec cette idée qu’ils ont pour mission de corriger le drame, de dépasser la fin d’une histoire pour la transcender. Ce sont eux qui perpétuent l’image du Titanic en répondant à la nécessité de croire à défaut de savoir.
Pour les Inuits, le site d’où s’est détaché cet iceberg était empreint de malédiction. Cette croyance remonterait à plusieurs siècles, au temps où la nourriture se faisait rare et que la seule façon de survivre était de sacrifier une partie du groupe afin de préserver la survie du clan. Les femmes les plus âgées étaient généralement désignées pour accomplir cet acte de renoncement, geste d’offrande et d’abnégation pour la perpétuation de l’espèce. Un rite s’était institué, qui conduisait invariablement ces femmes au sommet d’une falaise d’où elles se jetaient dans le vide.
Les lâches ont tout de suite été désignés, notamment Joseph Bruce Ismay, dont nous avons évoqué le martyre officiel. Mais il n’est pas le seul à partager cet opprobre, que la légende a radicalisé sans lui laisser le plus petit espoir de salut. En dépit des tentatives de réhabilitation, il sera définitivement condamné pour avoir sauvé sa vie.
Héros improvisés du drame, ces quelques hommes harnachés dans leur uniforme à parements interprétèrent divers morceaux dont le plus pathétique, par sa connotation mystique, a nourri la légende du naufrage – bien qu’il soit controversé. On continuera longtemps de se demander si fut joué cette nuit-là Nearer, My God, to Thee (« Plus près de Toi, mon Dieu »). Quoi qu’il en soit, cela n’enlève rien à la légendaire initiative de cet orchestre.
Les icebergs évoquent des monstres voraces sortant du ventre de la banquise en forme d’estuaire. On devine toute leur sauvagerie, leur force prédatrice, leur pouvoir de se fissurer d’une econde à l’autre. Leur comportement s’annonce aussi imprévisible que dévastateur.
Il était une fois le Titanic, de Gérard A. Jaeger : Deux heures quarante qui changèrent le cours de l'Histoire.