« L'air du paradis est celui qui souffle entre les oreilles d'un cheval – proverbe arabe ».
Je suis entrée dans ce livre en toute quiétude ayant déjà pu apprécier l'écriture de
Drago Jancar lors de la parution «
Et l'amour aussi a besoin de repos » et j'en suis ressortie bouleversée et éblouie.
Si certains auteurs possèdent une écriture distanciée, qui nous laisse de marbre,
Drago Jancar est l'exact contraire. Et je dois saluer la traduction d'
Andrée Lück-Gaye : l'héroïne du roman a dû l'ensorceler pour parvenir à tel rendu. J'ai eu les larmes aux yeux presque du début à la fin, touchée, remuée par la beauté du texte, par cette sensibilité qui s'en dégage, cette fine connaissance de l'âme humaine, cette nostalgie qui sied si bien aux slaves. Je suis et resterai toujours émerveillée par ces auteurs qui possèdent cette capacité de nous communiquer leurs émotions, de nous les approprier, à la manière d'un Zweig.
Dès les premières pages, l'intensité émotionnelle qui se libère de la plume de l'auteur est omniprésente, puissante, attachante. L'écriture est belle, douce et délicate, fluide, passionnée. le drame se situe à la fin d'une sinistre période, celle de la seconde guerre mondiale, en 1944, et porte en elle la dualité des relations humaines – l'amour et la haine.
« Que sont devenus Véronika et Léo Zarnik, disparus un matin de janvier 1944 de leur domaine de Podgorsko».
Le livre se partage en cinq chapitres. Chaque chapitre donne la parole à une personne proche de l'héroïne, Véronika Zarnik. Deux femmes, sa maman et la gouvernante, qui la chérissent et attendent son retour ; trois hommes qui l'auront soit aimée soit désirée mais qui se trouveront confrontés, à un moment ou à un autre, à leurs propres sentiments contradictoires. Tout le livre se concentre sur Véronika dont l'absence alimente toutes les suppositions, tous les espoirs, depuis la disparition du couple. C'est une remontée dans le temps, parfois douloureuse, chaque intervenant tentant de trouver une parcelle d'explication à cette disparition. L'âme de Véronika hante leur sommeil, leurs voix résonnent dans une polyphonie tragique.
Véronika est un être de passions qui ne se reconnait aucune limite. Elle se veut libre à l'image des chevaux qui courent dans les prairies. Elle monte à cheval, elle conduit, elle pilote, elle croque la vie à pleine dents, elle aime les êtres, les chevaux pour lesquels elle s'insurge contre leur sacrifice sur les champs de bataille, les animaux, la musique, l'Art en général. Imaginez-la promenant un alligator comme son animal de compagnie. Elle veut vivre comme si la guerre n'existait pas, d'ailleurs, elle refuse que l'on en parle devant elle. Elle reçoit dans sa demeure aussi bien des uniformes allemands, comme elle peut aider, avec son mari Léo, les partisans communistes, acquis au Maréchal Tito. Elle est si mystérieuse, si hors du commun, si sensuelle, qu'elle suscite attachement, tendresse, intérêt tant des femmes que des hommes.
Mais voilà, dans cette période de fin de guerre, où l'envahisseur est fragilisé, où les partisans reprennent le terrain, est-il possible de vivre dans l'insouciance sans tenir compte du contexte douloureux dans lequel est plongé la Yougoslavie, sous occupation allemande? C'est sans compter avec la versatilité de l'être humain.
L'analyse des personnages est profonde. Leurs sentiments, leurs contradictions, leurs motivations, leurs états d'âmes sont parfaitement disséqués, rendus. le récit est un beau plaidoyer contre la guerre à lui seul. Il souligne à quel niveau d'abjection, l'individu « sans histoire » peut se corrompre. C'est dans les toutes dernières pages que le voile sera levé.
Ce livre possède un grand intérêt historique. Il m'a permis d'approfondir quelque peu mes connaissances sur ce pays mais surtout de m'y intéresser de plus près.
« A ce moment-là, un cheval a henni bruyamment, je suis presque sûr que c'était Vranac, peut-être était-elle passée le voir lui aussi, avant de partir pour toujours, peut-être était-ce de joie quand il l'avait sentie à proximité, quand elle avait probablement, comme elle le faisait toujours, posé sa main sur ses nasaux en disant, Vranac, maintenant je vais te seller. »