La carpe

Accomplir des tâches répétitives et avoir un comportement asocial ne signifie pas manquer d'imagination.

La plupart du temps, les écrits sur l'autisme se bornent à souligner les symptômes de la maladie. Parfois, on nous montre les progrès du sujet, mais il est rare que l'on parle des qualités imaginatives des autistes.

Ce n'est pas le cas ici. Dans ce roman, Léo, onze ans, semble prisonnier du monde dans lequel il est né, comme si on l'avait classé une fois pour toute. Pourtant, à l'aide de persévérance et d'une sacré dose d'imagination, il trouve le chemin d'un monde parallèle dans lequel on ne le juge pas: Kom.

Le plus étonnant est finalement que Kom - un monde rural favorisant le développement personnel - n'est pas un simple fantasme, un simple refuge contre la réalité; il demande de la part de Léo un engagement sans faille.

Voyageant d'un monde à l'autre, sa vie prend un sens. Il va tisser des liens avec divers personnages qu'il rencontre tous plus étranges les uns que les autres, puis accepter la mission qui lui est confiée non sans hésiter.

Ce qu'il y a de particulier dans ce roman, c'est le mélange des genres. Il y a de l'aventure, du merveilleux, du fantastique, de l'épopée, du dialogue philosophique, sans pour autant que cela soit décousu ou pesant.

Enfin, choisir un enfant muet - la carpe - comme narrateur, cela pimente cette histoire qui nous rappelle que l'on passe souvent à côté de l'essentiel.

Sommes-nous autistes?

En quoi Léo, narrateur autiste et personnage principal de ce roman, est-il si différent de nous? Comme nous, il communique mal. Comme nous, il n'ose s'engager. Comme nous, il aspire à un monde plus simple, moins technologique, dans lequel nous serions plus proche d'autrui et de la nature. Ce monde-là, Léo le trouve. Il lui permettra de s'épanouir.

Quand on tape « pascal jarnieu », on ne peut manquer de tomber sur son blog qu'il consacre naturellement à ce roman. Dans un de ses articles (article 22), on peut lire: « L'autisme est le cancer de notre société. » Cette affirmation mérite réflexion.

A n'en pas douter, la portée de ce roman dépasse largement celle de l'autisme. La Carpe nous fait réfléchir sur notre société et ses carences. On parle beaucoup de terrorisme aujourd'hui. Même sous une forme idéalisée, l'autre monde appelé « Kom », est la proie d'une menace identique. Ces clins d'oeil font aussi référence au passé.

J'en conclus que derrière cette histoire philosophico-fantastico-merveilleuse, c'est de nous et de notre choix de société dont il est question. Nous devons admettre que le développement de soi est une priorité et que nous ne pouvons fermer les yeux sur l'orientation actuelle de notre société.

Si ma lecture peut sembler un rien extravagante, n'est-ce pas précisément ce qu'un bon roman doit être capable de faire?

Sans coup férir, cet ouvrage atteint sa cible.