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Critique de colimasson


Outre les quatre pièces du cycle Ubu, l'édition proposée par Folio inclut des documents intéressants qui métamorphosent la vision du lien unissant l'auteur et sa création. de manière synthétique, on associe souvent Alfred Jarry au cycle Ubu. En revanche, on évoque moins la longue genèse des pièces -en particulier d'Ubu Roi-, longtemps appelée "Les Polonais", et rédigée par une génération de lycéens avant qu'Alfred Jarry ne mette le grapin dessus pour la figer dans sa forme définitive et lui associer son nom. La préface de Noël Arnaud redonne à chacun sa véritable place dans le processus de création :


"Pourquoi Jarry s'est-il approprié Ubu qui n'était pas de lui, qui n'était pas lui ? Observer [...] que Jarry y a instillé une dose de sexualité absente des élucubrations originelles, qu'il a haussé le texte du scatologique à l'érotique, trouver preuve de cet infléchissement dans la transformation de certains mots (ainsi des Salopins aux Palotins), c'est bien [...] ; il demeure que les situations ubiques et l'attirail de tortures du Père Ubu existaient, tels quels, dans les premiers écrits de Rennes; l'action personnelle de Jarry sur quelques mots du texte initial n'a fait que rendre plus évidentes des pulsions enfantines et puis adolescentes décelables avant même ce travail de réécriture."


Cela n'enlève aucun mérite à Alfred Jarry. Sans lui, Ubu Roi n'aurait sans doute pas traversé le 20e siècle. Sans lui, l'absurde et le surréalisme n'auraient sans doute pas le même visage -et c'est sans parler des influences moins directes qu'a pu avoir son théâtre. Dans les autres documents présents dans cette édition, on découvre un essai théorique de Jarry sur "L'inutilité du théâtre au théâtre". Si ce texte ouvre la porte au symbolisme théâtral et permet à Lugné-Poe, fondateur du théâtre de l'Oeuvre, de s'enthousiasmer -ce que nous découvrirons dans un échange de lettres inclus dans le dossier de l'édition-, on finit par se demander s'il ne sert pas aussi de justification. En effet, en parcourant les autres documents annexes -le programme d'Ubu Roi, "La bataille d'Ubu Roi" de Georges Rémond, les lettres d'Alfred Jarry à Henry Bauer ou les points de vue de Charles et Henri Morin à propos de l'oeuvre de Jarry-, l'image d'un homme dépassé par sa propre création se précise. Il semblerait qu'Ubu Roi ait moins plu à Jarry pour son contenu intrinsèque que pour les remous que sa représentation devait susciter -et suscita longtemps. Georges Rémond écrit:


"La première d'Ubu roi était proche [...]. "Le scandale, disait Jarry, devait dépasser celui de Phèdre ou d'Hernani. Il fallait que la pièce ne put aller jusqu'au bout et que le théâtre éclatât."
Nous devions donc provoquer le tumulte en poussant des cris de fureur, si l'on applaudissait, ce qui, après tout, n'était pas exclu; des hurlements d'admiration et d'extase si l'on sifflait. Nous devions également, si possible, nous colleter avec nos voisins et faire pleuvoir des projectiles sur les fauteuils d'orchestre."


La biographie d'Alfred Jarry confirme ces soupçons : la plupart des évènements semblent vouloir uniquement remouer la foule et dévier le théâtre de ses voies ordinaires. Qu'aurais-je pensé d'Alfred Jarry s'il avait été mon contemporain ? Si Ubu Roi avait été représenté pour la première fois et avec scandale hier, n'aurais-je pas été d'emblée fatiguée par l'énième tentative d'éclat d'un homme excité par l'extravagant ? Les Inrockuptibles en auraient-ils été friands ? Henri Morin concluait : "Il était libertaire dilettante et surtout parce que c'était la mode". La mode est passée et nous à aider à oublier les fastes d'Alfred Jarry. Et puis alors, de toute façon, son oeuvre ne se résume pas à Ubu. Mais tout de même...


"L'oeuvre non ubique de Jarry est peut-être l'effort désespéré d'égaler autrement la perfection inégalable d'Ubu."


Il est bon d'approcher la bibliographie de Jarry en connaissance de cause. Les annexes de diverses sources regroupées dans cette édition permettront de démêler l'officiel de l'officieux et donneront plus de poids à cette petite Bible lycéenne que fut Ubu.


Lien : http://colimasson.over-blog...
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