Un sacré brûlot !
Paris, années 20 : Pierre, ouvrier, est licencié, et en perdant son travail, il perd son logement, puis sa petite-amie. Commence alors une période de vagabondage dans la capitale frappée par la crise économique. Mais, "la crise, quelle crise ?" (comme s'interrogera plus tard
Yves Montand). Pas celle des nantis gras et méprisants, qui viennent s'encanailler dans les quartiers chauds en profitant de la misère du peuple. Révolté par les injustices vues et vécues, Pierre décide de se venger en semant la peste dans
Paris. La ville va alors se fragmenter en communautés antagonistes, qui vont chacune tenter de survivre à l'épidémie.
Bruno Jasienski, poète et chef de file du mouvement futuriste en Pologne, écrit ici un roman politique, davantage qu'un livre d'anticipation. D'ailleurs, il a d'abord été publié en 1928 sous forme de feuilleton dans L'Humanité. Jasienski, jeune dandy communiste, a dû quitter son pays en 1925 pour se réfugier en France, d'où il sera expulsé en 1929 à cause de ce roman. Il trouvera refuge en URSS, où il sera fusillé en 1938 pour anti-soviétisme.
C'est donc le livre d'un enragé, dont le titre claque comme une riposte au "Je brûle Moscou" antisémite du futur Académicien
Paul Morand. Et j'ai adoré cette histoire, qui dénonce en ricanant les travers du capitalisme -car le ton est burlesque, malgré la tragédie de l'intrigue. le propos peut paraître naïf et suranné, mais force est d'admettre que près de cent ans plus tard, le constat est toujours d'actualité : les riches s'enrichissent, et les pauvres s'appauvrissent.
J'ai également beaucoup aimé l'aspect fictionnel, où l'auteur décrit d'abord un
Paris de ténèbres expressionniste, hanté par les chômeurs, les prostituées et les bourgeois aux gros cigares, puis où il imagine les différentes communautés qui se forment après la fuite du gouvernement : la République jaune au Quartier latin, la concession des Russes blancs à Passy, l'Etat juif du Marais, la République soviétique de Belleville, etc. -et la République bleue de l'île de la Cité, peuplée de policiers en quête d'un dictateur auquel obéir, pour retrouver un sens à leur existence. En un joyeux divertissement mêlé de réflexions graves, Jasienski oppose les tentatives d'organisation et de survie des uns et des autres, et c'est vraiment foisonnant d'ingéniosité ; on touche alors au roman d'aventure, suspense compris.
Enfin, ça se lit plaisamment, malgré quelques formulations un peu désuètes ou très crues. Mais il y a également une forme de poésie qui accentue le côté fantasmagorique de l'histoire, et qui m'a plu.
C'est donc un roman fiévreux, exotique et insolite, empli de colère, de détermination, d'imagination, et de grotesque ; un roman qui met le feu, en somme.