Même si on aime à suivre les sorties récentes et les lire en quasi flux tendu, il est tout aussi jouissif de pouvoir fouiller dans les classiques de l'imaginaire, mais les traductions ne sont finalement plus si nombreuses (en proportion) en grand format, moyens limités oblige. Toutefois, le Bélial' fait un gros travail notamment sur
Poul Anderson (
L'Épée brisée par exemple), mais les éditions ActuSF aussi ont leur catalogue étranger avec leur collection Perles d'Épice et en 2014 y est apparu ce
Dr Adder publié par
K. W. Jeter en 1984 mais écrit une vingtaine d'année plus tôt !
Dès le départ, le lecteur comprend très vite pourquoi ce roman a été adoubé par le grand
Philip K. Dick. Nous sommes dans une réalité glauque, sordide et surtout que nous avons au départ du mal à différencier de la nôtre. Mais petit à petit, les éléments discernables apparaissent et font tâche, mais dans le bon sens du terme. En effet, à la suite d'E. Allen Limmit, nous découvrons une L.A. bien étrange : arrivé dans un quartier chaud, L'Interface, il découvre bien vite que celui-ci est bien sous la coupe d'un personnage haut en couleurs, le
Dr Adder, qui fait justement « l'interface » entre la Zone-Rat, zone de non-droit où rôdent révolutionnaires et marginaux, et le comté d'Orange, vaste banlieue droguée où règne le dieu télévisuel (toute ressemblance avec les villes occidentales du XXe siècle est délibérée).
Qui est donc ce
Dr Adder ? Personnellement, il me fait penser à ce scientifique joué par Kiefer Sutherland dans « Dark City » : impressionnant, un brin fou, très inventif, l'accent germaniste en moins forcément et la jambe en meilleur état (au moins au début). Entouré de prostituées desquelles il tire la majeure partie de ses revenus, ce
Dr Adder utilise une technologie qui permet de connaître l'ultime fantasme des clients qui viennent le voir afin que celui-ci le leur réalise physiquement, car bien souvent cela consiste à enlever ou placer ailleurs un membre de leur corps. Forcément, à force d'amputations demandées et d'opérations consenties, l'ambiance de l'Interface nous apparaît très vite comme glauque au possible, d'autant plus l'auteur glisse des détails bien crus et vicieux aux bons moments, sans jamais virer au voyeurisme facile. de cet aspect transhumaniste avant l'heure, le Dr mérite bien son nom d'éternel « Adder ».
Une fois comprise cette bonne introduction, le récit s'emballe véritablement quand se déclenchent les hostilités entre les partisans de ce
Dr Adder et ceux, plus fanatiques, d'un certain John Mox, télévangéliste (on est bien dans l'Amérique des années 1970, hein ?) : le choix paraît simple entre les deux extrêmes, du plus pervers au plus puritain. le pauvre Limmit va en apprendre plus qu'il ne le pensait sur lui-même et surtout sur les bas-fonds de cette L.A. pas si éloignée que ça de l'image de celle contemporaine de l'auteur.
Dr Adder est un roman ô combien poignant de par son univers cru et, même s'il n'est pas le personnage principal, le chirurgien aux multiples talents est clairement marquant. Pour le reste, notamment vis-à-vis de la vision de l'auteur sur son oeuvre et sur l'emplacement de ce roman dans sa bibliographie, fiez-vous au très bon contenu qui conclut cet ouvrage (postface de René-Marc Dolhen, bibliographie sélective autour du cyberpunk, interview et bibliographie de
K. W. Jeter, rien que ça !).