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EAN : 9782267026085
774 pages
Christian Bourgois Editeur (09/01/2014)
4.1/5   5 notes
Résumé :
Hostile à Hitler, le capitaine Jünger passe trois années décisives à l'état-major parisien de la Wehrmacht. Il y adopte sa position préférée en politique, celle de l'observateur proche d'un centre de pouvoir. Il assiste aux luttes d'influence entre l'armée et le parti et, sans renoncer à sa méfiance envers les attentats, voit naître dans son cercle d'amis le complot qui manquera de peu l'assassinat de Hitler en juillet 1944. Dans un environnement tragique, il fréque... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ernst Jünger était un amateur de la culture française sous toutes ses formes et il aimait le luxe. Difficile de ne pas être agacé par son récit relativement détaché de ces années de guerre ; de le voir se délecter du chic parisien, boire tranquillement du champagne millésimé, manger des huîtres, raconter ses soirées mondaines, ses rendez-vous galants, ses déjeuners au George V, ses collations chez Ladurée, ses dîners au Ritz, chez Maxim, à la Tour d'Argent… Paris est vraiment sa ville, il est comme un poisson dans l'eau, dans son bocal. Il manifeste un besoin de s'abstraire de l'action politique et de la guerre, peut-être de ne pas rajouter du chaos au chaos et j'ai l'impression que le métier de soldat le dégoûtait de plus en plus. Il aurait peut-être souhaité n'être plus qu'un artiste, un écrivain, comme Jouhandeau, Braque, Picasso ; être du côté des créateurs et non des destructeurs, une autre manière de lutter. Ses observations sur la nature, sa passion pour l'entomologie, la botanique, la relation de ses rêves nocturnes et les réflexions générales sur divers sujets, sont d'autres moyens d'échapper à l'obsession de la guerre. Il faut aimer méditer sur le destin, la liberté, le temps… Pendant toutes ces années Jünger lisait la Bible de bout en bout pour la première fois, c'est le fil rouge de ce Journal, il finit d'ailleurs l'Apocalypse à peu près une semaine avant le débarquement.
Mais, la guerre… Lors de ses premiers mois passés à Paris Jünger a travaillé, en tant qu'historien ou archiviste, sur l'exécution des otages en représailles des attentats contre les officiers allemands. Comparé à ce qui arriva par la suite ce n'était qu'un début, mais déjà le manque d'honneur des nazis l'inquiétait. Ces exécutions étaient au coeur de la lutte d'influence en France entre le parti nazi et quelques membres de la Wehrmacht, comme il l'explique dans sa note du 23 février 1942, où il dédouane en partie le général Otto von Stülpnagel, même s'il le compare à Ponce Pilate. Les vrais donneurs d'ordre étaient à chercher dans le parti nazi et à l'ambassade d'Allemagne.
En ce qui concerne la Shoah, j'ai bien sûr guetté ce qu'il en disait. Il a assisté à la rafle du Vél d'hiv, il écrit à cette occasion : « Pas un seul instant, je ne dois oublier que je suis entouré de malheureux, d'êtres souffrant au plus profond d'eux-mêmes. Si je l'oubliais, quel homme, quel soldat serais-je ? L'uniforme impose le devoir d'assurer protection partout où on le peut. » Mais la première fois qu'il évoque clairement des massacres de masses, si rien ne m'a échappé, c'est le 31 décembre 1942 en Ukraine, et c'est en ces termes : « le général Müller nous fit, par exemple, le récit des monstrueux forfaits auxquels se livra le Service de Sécurité, après la prise de Kiev. On évoqua aussi, une fois de plus, les tunnels à gaz empoisonné où pénètrent des trains chargés de Juifs. Ce sont là des rumeurs, que je note en tant que telles ; mais il est sûr que se commettent des meurtres sur une grande échelle. » le 21 avril 1943, il n'a plus de doute. le 16 octobre, il explique dans le détail la solution finale qui lui est révélée par Friedrich Hielscher.
En 1943 le concept de crime contre l'humanité n'existait pas encore, mais Ernst Jünger l'avait déjà en tête, informulé. Lui le nationaliste ne pensait plus qu'à l'avenir du monde : « Ma façon de participer à l'histoire contemporaine, telle que je l'observe en moi, est celle d'un homme qui se sait engagé malgré lui, moins dans une guerre mondiale que dans une guerre civile à l'échelle mondiale. Je suis par conséquent lié à des conflits tout autres que ceux qui opposent les Etats-nations en lutte. Ceux-ci ne s'y règlent qu'en marge. » Dans quel conflit est-il alors engagé ? Un conflit éthique contre le Mal, autrement nommé le nihilisme, contre la négation de l'individu, la haine aveugle, et la destruction sans discernement. D'où cette impression de détachement qu'il donne, car c'est une lutte avant tout personnelle et désincarnée. Il note vers la fin : « Il reste encore de la faiblesse dans mon dégoût : je participe encore trop au monde du sang. Il faut pénétrer la logique de la violence, se garder de tomber dans l'enjolivement à la Millet ou à la Renan, se garder aussi de l'infamie du bourgeois qui, bien à l'abri sous un toit, fait la morale aux acteurs d'une atroce bagarre. Quand on n'est pas mêlé au conflit, qu'on en rende grâces à Dieu ; mais on n'en est pas pour autant élevé au rang de juge. » Un livre qui s'en tient à l'observation du Mal, et qui essaye d'en comprendre les mécanismes.
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La récente sortie d'une grande biographie de Jünger, par Le Professeur français Julien Hervier, va relancer l'intérêt pour cet intellectuel allemand, mort à 102 ans en 1998.
Son Journal parisien, qui va du 18 février 1941 au 13 août 1944, nous offre une vue « de l'intérieur du monstre », c'est à dire de l'appareil allemand, force obscure qui exige son dû de sang et de sacrifices.
Que fait-il à Paris ?
Il prend du bon temps, multipliant les déjeuners a la Brasserie lorraine, chez Drouant, chez Lasserre, après quoi il ne rentre à son bureau de l'Hotel Majestic (Haut Etat-major) qu'après de longues promenades en compagnie de ravissantes et spirituelles compagnes françaises. le soir, il est souvent invité par le général en chef pour discuter philosophie, métaphysique, géopolitique, botanique ou entomologie (car telle est la diversité de ses intérêts)
Au fil des années, l'aviation alliée attaquera chaque soir un peu plus les industries de guerre parisiennes , et, du toit de l'Hôtel Raphaël, il la regardera en esthète, parfois une coupe de Champagne à la main.
Il rencontre aussi, presque chaque jour Cocteau, Jean Marais, Léautaud, Jouhandeau, Guitry, et Abel Bonnard, peu recommandable ministre de Vichy, avec lequel il semble partager des idées.
Ce capitaine allemand confie à son journal des messages expliquant pourquoi Hitler et ses « lémuriens » (en gros, les Nazis) vont dans le mur ; il décrit les groupes mobiles qui massacrent sur le front de l'Est, et, une fois au moins, les camps de concentration et d'extermination.
Pourquoi, dans un pareil régime policier, ses carnets ne sont-ils pas visités, saisis, et utilisés comme preuves pour un procès qui lui serait mortel ?
Parce qu'il est un héros de la Première guerre mondiale (9 blessures, Croix Pour le Mérite) ? Parce qu'il est protégé par le Haut Etat-Major ? Quelle est sa vraie position ?
Certes il souffre, comme en attestent ses rêves noirs et brouillés, ou ses maladies ; durant l'hiver 42-43 il se fait envoyer en mission d'observation en Russie, tout près de Stalingrad. Il éprouve une légitime compassion pour ses camarades sacrifiés. Certes il est choqué par l ‘étoile jaune qu'il voit dans les rues de Paris, mais il l'est tout autant par les destructions des bombardements dans l'Ouest de l'Allemagne. Pire : l'antisémitisme affleure parfois (ainsi le 9 décembre 1943, dans une observation sur le caractère « peu juif » de l'historien Flavius Josèphe).
Donc un témoin au coeur de l'événement, mais dont il faut souligner l'ambigüité.
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Paris, 21 avril 1943.

A midi, visite du colonel Schaer, un vieux Bas-Saxon. Examen de la situation. Toujours pas de rameau d’olivier. D’entre les choses qu’il raconta, la plus horrible était la description d’une fusillade de Juifs. Il tient les détails d’un autre colonel Tippelskirch, je crois, que son armée a envoyé là-bas pour voir ce qui s’y tramait.
De telles nouvelles me font frémir d’horreur ; le pressentiment d’un monstrueux danger me saisit. Et ceci, sur un plan très général ; je ne serais guère surpris si la planète volait en éclats, que ce fût par la rencontre d’une comète ou dans une explosion. En fait, j’ai le sentiment que ces hommes-là sont en train de percer la terre et que ce n’est pas simplement par hasard qu’ils ont choisi les Juifs pour victimes principales. Leurs maîtres bourreaux possèdent une sorte de clairvoyance inquiétante qui ne repose pas sur l’intelligence, mais sur des instincts démoniaques. A chaque carrefour, ils trouveront la voie qui mène à plus de destruction.
Il paraît d’ailleurs que ces fusillades n’auront plus lieu, car maintenant on passe au stade où l’on gaze les victimes. 
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Paris, 18 août 1942.

Acheté un agenda dans une papeterie de l'avenue de Wagram ; j'étais en uniforme. Une jeune fille, qui servait les clients, m'a frappé par l'expression de son visage ; il était évident qu'elle me considérait avec une haine prodigieuse. Ses yeux bleu clair, dont la pupille s'était rétractée jusqu'à ne plus former qu'un point, plongeaient droit dans les miens, avec une sorte de volupté - celle-là peut-être qu'éprouve le scorpion enfonçant son dard dans sa proie. J'ai eu l'impression qu'il y avait longtemps sans doute que chose pareille ne s'était produite chez les hommes. Le rayonnement de pareils regards ne peut rien nous apporter d'autre que destruction et mort. On devine aussi qu'il pourrait passer jusqu'à vous comme un germe de maladie ou une étincelle, que l'on ne saurait éteindre en soi-même qu'avec peine et en se faisant violence.
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Paris, 7 juin 1942.

Dans la rue Royale, j'ai rencontré, pour la première fois de ma vie, l'étoile jaune, portée par trois jeunes filles qui sont passées près de moi, bras dessus, bras dessous. Ces insignes ont été distribués hier ; ceux qui les recevaient devaient même donner en échange un point de leur carte de textile. J'ai revu l'étoile dans l'après-midi, beaucoup plus fréquemment. Je considère cela comme une date qui marque profondément, même dans l'histoire personnelle. Un tel spectacle n'est pas non plus sans provoquer un choc en retour - c'est ainsi que je me suis senti immédiatement gêné de me trouver en uniforme.
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Paris, 29 septembre 1943.

Toujours sans raison sur cette galère. A ma prochaine incarnation, je reviendrai dans ce monde sous la forme d'une bande de poissons volants. On peut de cette manière se fragmenter [...]
Les queues qu'on voit s'allonger devant les bureaux ouverts au public et devant les magasins. Lorsque je passe en uniforme, je surprends des regards empreints de la plus profonde aversion, aiguisée d'un désir de meurtre. On voit à ces physionomies quelle joie ce serait si on se fondait dans l'air et s'évanouissait comme un songe. D'innombrables êtres, dans tous les pays, attendent avec une sorte de fièvre le moment où ce sera leur tour de verser le sang. Mais c'est justement de quoi il faut s'abstenir.
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Paris, 8 octobre 1941.

Je me suis entretenu avec Sacha Guitry de Mirbeau, dont il m'a raconté qu'il était mort dans ses bras, lui chuchotant à l'oreille dans un dernier souffle : "Ne collaborez jamais !", ce que je note pour ma collection de dernières paroles. Mirbeau voulait parler des pièces écrites en collaboration - un mot qui, de son temps n'avait pas les relents faisandés d'aujourd'hui.
Assis à table, à côté de l'actrice Arletty, que l'on peut justement voir en ce moment dans le film Madame Sans-Gêne. Pour la faire rire, il suffit du mot cocu ; aussi ne cesse-t-elle guère, ici, d'être en joie.
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Vidéo de Ernst Jünger
À travers les différents ouvrages que l'auteur a écrit pendant et après ses voyages à travers le monde, la poésie a pris une place importante. Mais pas que ! Sylvain Tesson est venu sur le plateau de la grande librairie avec les livres ont fait de lui l'écrivain qu'il est aujourd'hui, au-delàs de ses voyages. "Ce sont les livres que je consulte tout le temps. Je les lis, je les relis et je les annote" raconte-il à François Busnel. Parmi eux, "Entretiens" de Julien Gracq, un professeur de géographie, "Sur les falaises de marbres" d'Ernst Jünger ou encore, "La Ferme africaine" de Karen Blixen. 
Retrouvez l'intégralité de l'interview ci-dessous : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/
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