John Lanchester était critique gastronomique. Puis vint le temps des romans, celui-ci fut son son premier. Il s'ouvre sur un aveu prudent que “ce n'est pas un livre de cuisine conventionnel”, ce qui certes est vrai.
Le narrateur du Prix du plaisir est
Tarquin (de son vrai nom Rodney) Winot, un gourmand érudit d'âge moyen. Il divise son récit en quatre sections pour correspondre aux saisons et propose un menu pour chacune.
Winot, on s'en rend vite compte, est un narrateur extrêmement peu fiable. Au moment où il écrit, il va de l'hôtel Splendide (Portsmouth) à sa maison en Provence. Il voyage incognito, le crâne rasé et les lunettes noires, même s'il est peu probable qu'il ne soit pas reconnu, car sa tenue consiste en des
"carreaux verts et ocres complétés, ou peut-être qu'il faudrait compléter, par ma chemise, un numéro de coton pâle-cerise avec une texture fine . . . un motif ombré en diagonale. Je portais également un noeud papillon à pois jaunes sur fond bleu clair, un mouchoir de présentation assorti, une montre gousset et une chaîne et une paire de brogues brunes superbement conservatrices faites à la main.”
Que fait-il ? On entend parler de la mort de ses parents dans un accident (explosion d'une bonbonne de gaz), de la chute d'un cuisinier norvégien sous une rame de métro, de la mort empoisonnée de son frère, tous ces malheurs survenus dans son voisinage immédiat.
Au cours de son voyage à travers la France, il suit un couple en lune de miel, dont la partie féminine est Laura Tavistock qui, semble-t-il, écrit une biographie du défunt frère de
Tarquin, Barry, un sculpteur de renommée mondiale. En Provence,
Tarquin suscite une rencontre accidentelle avec les jeunes mariés et les invite chez lui à dîner, à passer la nuit et à petit déjeuner d'une omelette aux champignons sauvages. . .
L'intrigue n'a guère d'importance (bien que très intelligemment gérée). le style est tout.
Tarquin parle des soupes comme d'oeuvres d'art “dans lesquelles une délicatesse filigranée du détail local s'ajoute à une solidité agglomérée de l'effet”. Cette expression, “solidité agglomérée”, est particulièrement adaptée à la propre réalisation de
Tarquin. Son style (c'est-à-dire celui de Lanchester) est inconfortablement brillant et flou, et gorgé de sa propre richesse.
C'est aussi brillant qu'horriblement drôle. Écoutez
Tarquin se plaindre de la couleur rose, “un signe infaillible du goût défectueux que l'on associe à certains groupes et individus : les classes laborieuses britanniques, les grands restaurateurs français, les affichistes indiens et Dieu, dont la fatale susceptibilité pour cette couleur est si apparente dans les exemples cinématographiques les plus somptueux de son travail (couchers de soleil, flamants roses)”.
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