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Critique de SZRAMOWO


L’espion qui venait du froid est le premier roman de John Le Carré, celui par lequel il s’est fait connaître et s’est imposé comme un maître du genre.
Son héros, Leamas est un agent hors pair. Il est «résident» à Berlin. C’est avec Le Carré que l’on se familiarisera à toute la subtilité, l’ambiguité, la duplicité, l’hypocrisie qui se cache derrière ce terme de «résident».
Mais l’agent hors pair connait un passage à vide, ses agents sur place se font assassiner un par un. Le responsable de cette déconfiture (marmelade) anglaise est le responsable des services secrets de RDA.
Son dernier agent encore en vie, Karl Riemeck, se fait descendre alors qu’il tente de franchir un poste frontière en vélo :
«Et brusquement, il s’affaissa et roula par terre, et Leamas perçut distinctement le fracas métallique de la bicyclette heurtant le sol. Il pria le ciel que Karl fût bien mort.» (Page 16)
La façon dont Karl a été piégé reste obscure. Le rôle de sa compagne, en se liant avec une femme il a contrevenu aux règles élémentaires de prudence, est trouble.
Cette dernière est passée en zone libre quelques jours avant lui, et connaissait la date et l’heure à laquelle Karl devait passer. Elle a pu divulguer des informations sensibles malgré elle, dans une RDA où chaque habitant est un informateur en puissance.
Le Cirque avec à sa tête le fameux Geroges Smiley, décide de supprimer l’agent allemand qui est à l’origine de la disparition du réseau de Leamas. Ce dernier se voit confier un rôle déterminant pour construire le piège et le refermer sur «Hans Dieter Mundt, quarante-deux ans, né à Leipzig.(...)Il connaissait par coeur les circonstance de son ascension au pouvoir, jusqu’au grade de sous-directeur de l’Abteilung et chef effectif des opérations. Partout, Mundt était haï, jusque dans son propre service.» (Page 18)
A son retour de RFA, Leamas est censé végéter quelques mois dans un placard du Cirque, il est ensuite remercié sans égards et surtout sans maintien de pension. Les rumeurs sur sa responsabilité et sur ses fautes professionnelles se précisent, Il perd ses amis. Sombre dans l’alcoolisme et vit dans un taudis. Il fait tout pour s’attirer les antipathies de ses voisins et de toute personne qui l’approche.
Il devient un aigri. Un paria. Un rebelle.
Il trouve un travail dans une bibliothèque publique qui est en fait une officine du PC britannique. C’est son premier contact avec l’ennemi. Il est alors approché par des taupes du KGB.
Il commence à balancer des renseignements faisant en sorte d’installer le doute chez ses nouveaux amis quant à la loyauté de HD Mundt.
Mais Leamas doit montrer patte blanche, alors que les rencontres avec les responsables de RDA sont censés se dérouler en Hollande, ces derniers proposent à Leamas de se déplacer en RDA pour confondre le traitre.
Je suis au rancart, répondit-il en grimaçant un sourire stupide. Au rebut, comme une vieille chaussette.
J’ai un peu oublié ce que tu fabriquais à Berlin. Tu n’étais pas par hasard, un de ces Fregolis de la guerre froide ?
« Fichtre ! pensa Leamas, tu brûles un peu les étapes, mon mignon.»
(...)
Tu ne sais pas fit Ashe, (...) tu devrais voir Sam ; je suis sûr que vous vous entendriez bien. Mais au fond, Alec...je ne sais même pas où te joindre(...)
Nulle part, répondit Leamas, apathique. (Page 75)
Ce passage du roman est admirable, dans le style, A sait que B sait qu’il ment, mais veut le convaincre du contraire. B sait que A ment et veut lui faire croire qu’il l’ignore.
Jeux de dupes, jeux de cons, jeux de barbichette où le dernier qui rira recevra une balle dans la tête.
Bien entendu, on pourrait trouver euh...un endroit plus sûr, vous ne croyez pas ?
Derrière le rideau de fer ?
Pourquoi pas ? (Page 97)
Pour donner le change, Leamas accepte le voyage en RDA :
«Il se demanda ce qu’il allait faire. Control n’en avait pas soufflé mot ; il n’avait été question que des détails techniques de l’affaire.
«Ne lâchez pas le morceau d’un seul coup ; laissez-les un peu se décarcasser de leur côté, lui avit-il dit, soyez irritable, insupportable, buvez comme un trou. Ne cédez en rien question idéologie, ils ne vous croiraient pas.» (Page 147)
Là-bas, il rencontre Fiedler, l’adjoint de Mundt, convaincu lui aussi que son supérieur est un agent double.
«Fiedler adorait poser des questions. Parfois sa formation de juriste prenait le dessus, il les posait pour le seul plaisir de souligner les contradictions existant entre la preuve irréfutable et une vérité toujours perfectible. Il possédait néanmoins cette curiosité inlassable qui, chez les journalistes et hommes de loi, est une fin en soi.» (Page 171)
Leamas et Fiedler se ressemblent, à la défense d’un système, qui est le moteur de l’ambition de leurs collègues, il préfèrent le travail bien fait, la précision, la justice, la justesse, tous ce qui rebute leur hiérarchie.
Le roman prend un virage à ce moment. Les deux hommes échangent sur leur métier en oubliant pourquoi ils sont ensemble.
S’ils ne savent pas ce qu’ils veulent, comment peuvent-ils être sûrs d’avoir raison ?
Qui a jamais prétendu qu’ils l’étaient ? répliqua Leamas, excédé. (Page 172)
Leamas s’appuie sur cet allié pour parvenir enfin, pense-t-il à neutraliser Mundt. Ses accusations confirment les éléments d’un dossier à charges constitué par Fielder. Un procès est organisé dans lequel Leamas est le témoin principal. Il jubile.
C’est compter sans la duplicité des services secrets, des deux côtés du rideau de fer. Ils raisonnent selon la logique de la rentabilité optimale et non comme Fiedler ou Leamas sur la légitimité d’une action.
En RDA, on accorde soudain beaucoup d’importance au fait que Fiedler est juif.
En Grande Bretagne, Leamas, comme son dernier agent Karl, a eu une liaison avec Liz Gold, une collègue de la bibliothèque dans laquelle il a travaillée.
A l’Est comme à l’Ouest on va utiliser cette «faute» de Leamas pour considérer qu’il n’est pas un témoin fiable.
Via le PC Britannique on organise un voyage de Liz Gold à Berlin et elle est obligée de témoigner pour clairer le tribunal sur la nature de sa relation avec Leamas :
«- Voila donc, déclara-t-il en se tournant vers le Tribunal, les preuves fournies par la défense. Je regrette qu’une jeune fille dont le jugement est oblitéré par les sentiments et le discernement émoussé par l’argent ait été considérée par nos camarades anglais comme apte à occuper un poste de responsable dans notre parti.» (page 273)
La construction initiale s’écroule :
Mundt était bien un agent double, sa valeur pour Le Cirque a justifié le sacrifice de plusieurs agents britanniques.
«Et, brusquement, avec la terrible lucidité d’un homme trop longtemps abusé, Leamas comprit toute l’effroyable machination.» (Page 284)
- Le juif est confondu, on considère qu’il voulait nuire à Mundt uniquement pour prendre son poste. Leamas et Liz Gold sont saufs. Leur ex-filtration est programmée.
« Ils nous l’on fait tuer, tu comprends, ils nous ont fait tuer le Juif. Maintenant tu sais tout, et que le ciel nous aide tous les deux.» (Page 294)
Leamas sacrifie Fiedler en échange de sa vie et de celle de Liz. Elle, ne le comprends pas.
«Adieu ! dit Mundt d’un ton indifférent. Vous êtes un idiot, Leamas, ajouta-t-il. Elle ne vaut pas mieux que Fiedler. C’est de la racaille, tout ça.» (Page 292)



Le roman boucle. La scène du début où Karl est abattu au pied du mur est rejouée.
Leamas comme Karl chute au pied du mur, il s’est aussi, contrevenant à toutes les règles de prudence, encombré d’une femme durant une mission sensible...
Leamas se rend compte de sa naïveté devant Smiley et de la vanité de son choix guidé par la vengeance, il a vu Mundt comme un ennemi personnel et non comme le bras armé d’un système où il n’y a pas de place pour les sentiments chevaleresques.
Le Cirque s’est appuyé sur la vanité de Leamas pour le convaincre de monter un piège dont il serait la dupe.

L’espion qui venait du froid, fonde l'oeuvre de John Le Carré. On y décèle la marque de ce qui caractérise chacun de ses romans. L’humanité de personnages confrontés à l'autisme de systèmes tournés vers eux-mêmes, broyant tout ce qui s’oppose à leur logique froide, valorisant les hommes uniquement lorsqu’ils peuvent être mis au service de leurs objectifs inhumains.
A lire absolument.
Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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