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Critique de Woland


Ce qui frappe avant tout, c'est la précision quasi moderne du texte, inextricablement enroulée autour d'une utilisation très biblique de la conjonction "et." Au début agacé, on finit par s'y habituer mais ce ne sera pas sans mal pour tous.

Avec cette fameuse conjonction, le Dieu des Chrétiens et Louis IX, que Boniface VIII canonisera en 1297 pour des raisons purement politiques, constituent les deux autres faces de la Trinité que révérait Jean de Joinville. Encore jugerait-il ce rapprochement très léger et même blasphématoire tant cet homme, comme, semble-t-il, son suzerain, oubliait tout sens de l'humour dès qu'il était question de la divinité.

A Joinville, on ne peut dénier un grand bon sens et une franchise redoutable, dont lui-même fait parfois les frais, par exemple lorsqu'il déclare tout de go à Louis qu'il n'apprécie pas de laver les pieds des lépreux. Cet homme est un modèle à l'antique, intègre, sérieux, porté par sa foi et son sens des responsabilités. Courageux, il n'hésite pas à blâmer ouvertement le tout puissant Philippe IV le Bel, petit-fils de Louis IX, dont la politique volontaire traîna la papauté en Avignon et demeure l'un des plus vieux et des plus parfaits exemples de ce que l'on nomme le gallicanisme.

Cependant, malgré tout, le lecteur songe qu'on ne devait guère s'amuser en sa compagnie. Quant aux analystes freudiens, on devine sans peine qu'ils se régaleraient à imaginer un sentiment trouble dans l'adoration - le terme n'est pas exagéré - que Joinville voue au futur saint Louis.

Celui-ci la méritait-il ?

Bien que cette "Vie ..." tienne plus de l'hagiographie que de l'étude critique, elle n'en donne pas moins à penser au lecteur moderne et un tant soit peu féru d'Histoire. Louis IX nous est présenté comme un homme profondément pieux, à la façon dont le Moyen-Age concevait la piété et qui, aujourd'hui, nous semble souvent difficilement concevable. Ce fils de la très chrétienne Blanche de Castille et de Louis VIII de France, ce petit-fils de Philippe-Auguste, semble ramener tout à Dieu et à la religion. Cela débouche sur d'authentiques moments de générosité et d'humilité - saint Louis fit énormément de bonnes oeuvres et ne se targua jamais de sa haute naissance devant les pauvres qu'il aidait - mais aussi sur des faits de fanatisme absolu : la chasse aux sorcières déclenchée contre les prostituées (mais non contre leurs clients) et bien entendu l'idée que tuer au nom de Dieu est chose aimable et sainte - on notera toutefois que, chez les non-chrétiens de l'époque, le principe est tout aussi également appliqué.

Mais ce qu'il y a de curieux, c'est que ce monarque qu'on pourrait craindre obnubilé par les prescriptions religieuses se révèle un excellent politique. Même si Joinville ne développe pas sa réflexion sur ce point ainsi que l'on pourrait s'y attendre, la chose ne saurait se nier : Louis IX est aussi absolutiste que son lointain descendant, le Roi-Soleil. A sa décharge, soulignons qu'il est beaucoup moins belliqueux - sauf quand il est question d'aller délivrer le tombeau du Christ - et beaucoup plus diplomate, pour ne pas dire rusé.

Ses grands vassaux s'opposent à lui ? Il se croise et, du coup, les force à faire de même - quel vassal serait suffisamment sans vergogne pour laisser son suzerain prendre les armes contre les Infidèles et ne pas l'imiter ? Seulement, combien, parmi eux, reviendront-ils de Jérusalem ? ...

La loi et l'ordre ne sont pas respectés ? Il dicte des ordonnances précises, met en place les structures nécessaires à leur rétablissement et n'hésite pas à payer de sa personne - saint Louis rendant la justice sous le fameux chêne de Vincennes n'est pas une légende - pour que passe la réforme entreprise.

Le tout en douceur, sans presque jamais élever la voix, en se signant beaucoup et en invoquant régulièrement Dieu le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Fils de son époque, qui n'est pas tendre avec ceux qu'elle suspecte d'une foi autre que la chrétienne ou encore d'hérésie et d'athéisme, il impose aux Juifs le port d'un rond de tissu jaune sur la poitrine et, aux Juives, celui d'un chapeau particulier : pas de mariages mixtes surtout. On peut y voir la marque d'un racisme certain mais si l'on rappelle que, dans ce type de mariage (comme d'ailleurs dans les mariages avec des musulmans), c'est au chrétien de changer de religion, on comprend sans doute mieux l'attitude du roi qui ne tenait pas à voir reculer la religion à laquelle il appartenait et qui justifiait en quelque sorte l'absolutisme de son pouvoir. D'ailleurs, comme son petit-fils Philippe le Bel après lui (et comme bien d'autres monarques et hommes d'Etat de l'époque), Louis IX sait trouver des accommodements avec le Ciel lorsque la situation financière du royaume l'exige ...

On sort donc de cette lecture avec toute une foule d'interrogations. Non sur la figure du narrateur, le sire de Joinville, mais sur celle de son "héros" : vrai saint ? politique suprêmement habile ? les deux ? et, dans cette dernière hypothèse, comment a-t-il fait ? ...

A lire et à relire. Mais surtout pour les fondus d'Histoire. ;o)
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