Les
Exercices de style de
Raymond Queneau sont utilisés en atelier d'écriture et à l'école depuis bien longtemps (réécrire un passage en changeant de personne, de registre ou de point de vue). Mais ces activités d'écriture sont toujours négligées au profit d'une obsession idéologique morbide pour la lecture et l'analyse de textes du patrimoine... Pour
Dominique Bucheton, la pratique de la réécriture en général serait une des activités les plus efficaces pour la maîtrise de l'écrit (cf.
Refonder l'enseignement de l'écriture), car elle permet de prendre du recul sur sa pratique, de se libérer de la charge cognitive de première écriture (imaginer, respecter les consignes, sélectionner ce qui est à dire, choisir le point de vue, tourner correctement la phrase, trouver du vocabulaire, orthographier...), et de motiver le passage à un travail de précision sur la forme (un recopiage en corrigeant les fautes d'orthographe s'apparente à de la punition...), et sur la juste mesure des mots et de l'acte de parole (le maître d'atelier va ainsi relancer l'écriture après lecture du premier travail par une proposition de réécriture : ton texte n'est pas assez visuel, peux-tu faire une variante visuelle ?).
Utiliser les différents types de discours, c'est chercher à identifier leur fonctionnement, c'est devenir moins naïf devant les procédés rhétoriques, publicitaires ou jouant sur le pathos. La variante "maladroit" (directement repris de
Queneau et de son célèbre "C'est en écrivant qu'on devient écriveron.") est fondamentale, tout comme par exemple la "Copie de CE2" (aux volontaires fautes d'orthographe), car elle permet de se rendre compte de ce qui est lourd ou futile. de manière générale, chaque version peut être considérée comme un outrage de procédé, une exagération maladroite à éviter. Réécrire était également un des conseils principaux proposés par
Antoine Albalat, que ce soit par la pratique oubliée du pastiche - technique d'apprentissage d'un certain
Marcel Proust - (cf. L'Art l'écrire) qu'on retrouve ici entre autres dans les styles "Sportif", "Rock n'roll", "Médical" ou "Mathématique" (où l'auteur a importé un style) ou celle de l'élagage - le Travail du style d'après les brouillons des grands écrivains - que l'on retrouve dans les "Succinct", "Haïku", "Lapidaire". L'exercice permet de se rendre compte par son écriture à soi, sous sa plume en action, de l'effet d'une figure de style, d'un mot, du rythme des phrases, d'un placement particulier de virgule... Cela entraîne ainsi une écriture, et par ricochet, une lecture plus attentive au détail, moins naïve, ce qui est le propre d'une littératie réelle (passage du déchiffrement des phrases et de l'encodage - alphabétisation illettrée -, à une compréhension en détail d'un acte de langage, dans ses finesses et nuances).
L'écriture de variantes, par exemple "Paysan", "Chaperon sanglant" ou même "Harlequin audace", permet de mieux comprendre le texte original, l'arrière-plan mental, le symbole sexuel, la valeur des actions et les décisions des personnages (aussi dans "point de vue du loup", "de la mère"). "Sitcom" rapproche le conte d'un genre contemporain et permet d'observer les différences de codes de valeur (naïveté, matérialisme). En maniant et en réécrivant l'oeuvre de Perrault, on se l'approprie, on en approche la couche de signification intime, on connaît si bien le conte qu'on en est l'auteur. Et c'est bien là toute la symbolique de l'exercice, réécrire un conte n'est pas un crime de lèse-majesté mais au contraire la démarche normale de la littérature et du conte par excellence : on nous raconte une histoire attrayante, on le reraconte à notre tour. L'exactitude des mots et des péripéties est un obstacle à ce libre passage des histoires, on raconte comme cela nous touche et comme on croit que cela va toucher (de même qu'on doit lire en déformant, en jouant). On active, on éteint certaines significations... on fait des clins d'oeil à l'auditeur, des références à ce qu'il connaît, on provoque sa réaction, on jour sur ses attentes et on les déjoue... Reprendre un conte, s'entraîner à le faire, c'est apprendre l'un des actes humains les plus primitifs et les plus socialement valorisés.
Lien :
https://leluronum.art.blog/2..