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Jacques Aubert (Traducteur)
EAN : 9782070341368
1171 pages
Gallimard (23/11/2006)
3.8/5   589 notes
Résumé :
L'action d'Ulysse se passe en un jour, à Dublin, en 1904. Le personnage d'Ulysse est un petit employé juif, Leopold Bloom ; Stephen Dedalus, jeune Irlandais poète, est Télémaque ; Marion, femme de Bloom et qui le trompe, est Pénélope. Rien n'arrive d'extraordinaire au cours de cette journée. Bloom et Dedalus errent dans la ville, vaquant à leurs affaires, et se retrouvent le soir dans un bordel.
Chaque épisode correspond à un épisode de L'Odyssée. Mais la p... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (109) Voir plus Ajouter une critique
3,8

sur 589 notes
S'il est certain que ce livre a un caractère unique et très novateur pour son temps, il est néanmoins difficile de prétexter qu'Ulysse est un livre agréable à lire.
Comment vous dire ? C'est une manière d'immense marché aux puces où l'on doit fouiner pour trouver son bonheur, et encore, pas garanti : des monologues ou l'on saute du coq à l'âne en permanence, aucune longueur épargnée, des jeux de mots ou de sonorités parfois indéchiffrables, des liens quasi infaisables.
Bref, c'est éprouvant et sur un livre comme le Bruit Et La Fureur de Faulkner, on peut encore tenir le coup et l'on est — globalement — payé de retour, par contre quand le pavé dure plus de 1150 pages, il faut avoir l'estomac solide et une sérieuse envie d'aller au bout pour ne pas décrocher.
Il y a pourtant des tonnes de trouvailles dans toute cette mélasse où nous englue Joyce (manifestement avec plaisir), et l'on devine l'influence sur des auteurs majeurs comme Céline ou Kerouac, mais qui eux ont su rendre leur oeuvre un tant soit peu digeste.
Bien sûr, c'est plus vendeur, mieux vu et mieux en phase avec l'intelligentsia bobo prout-prout de dire que face à un tel OVNI, on est pantois d'admiration, que ces plus de 1000 pages ont été un bonheur, qu'on en aurait voulu 3000, 5000, que sais-je, 10000 tellement c'est bien écrit, tellement c'est jouissif, tellement c'est hors tout et, sincèrement, j'aimerais le dire, mais c'est un pur mensonge.
Combien de fois me suis-je accrochée, combien de fois ai-je voulu tout abandonner, tout plaquer de cette lecture parfois imbuvable, indigeste et sans queue ni tête ?
Pourtant, je ne peux pas non plus dire que tout a été négatif dans mon ressenti de l'ouvrage. Des chapitres comme "Nausicaa", "Eumée", "Eole" ou même "Hadès" m'ont bien plu, mais il y eut aussi (et malheureusement surtout) les bouillies inqualifiables comme "Les Sirènes", "les Lestrygons", "les Lotophages", "Charybde et Scylla", "Circé" etc. dont la lecture n'est à souhaiter à personne, sauf si c'est un véritable ennemi.
Si je puis juste me permettre un conseil aux personnes désireuses de le lire malgré tout (et je conçois parfaitement que le piment de la curiosité vous y amène), ne prenez pas ce livre trop au sérieux (comme Joyce lui-même semblait le faire), amusez-vous des exercices de styles (Joyce explore un nouveau style à chaque chapitre), oubliez la glose multilingue incompréhensible, bref, prenez ce qu'il y a à prendre et ne vous encombrez surtout pas du reste.
À noter que la nouvelle traduction est vraiment excellente et l'on imagine bien les arrachages de cheveux que cela a dû être pour traduire des bredouillis de mots comme Joyce en emploie souvent. Mais tout ceci, vous le savez, n'est que mon misérable avis qui, lui, n'a rien d'homérique, c'est-à-dire, pas grand chose.
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Mon prof de philo m'avait dit à la fin d'un cours : « Ulysse de Joyce, ça se mérite ». Je n'ai jamais aimé cette notion de mérite, récompense de ceux qui ont bien transpiré, pour moi antinomique du plaisir de la lecture. Je m'y suis mis à vingt ans par esprit bravache, calant aux deux tiers, nauséeux sur certains passages extrêmement difficiles à lire, mais déjà fasciné par l'exercice de style (L'Odyssée d'Homère condensée sur une seule journée et racontée sur plus de mille pages) et les flamboyances époustouflantes de certains passages. Je m'y suis replongé calmement une quinzaine d'années plus tard, prenant mon temps, sautant des passages (merci monsieur Pennac pour ce conseil avisé), les relisant ultérieurement, les relisant encore (je conseille à haute voix !). Je n'ai pas hésité une seule seconde à utiliser des « décodeurs » intellectuels, à lire en parallèle des explications de textes, des résumés, des analyses de certains passages. Ce livre est devenu pour moi une brique indispensable à mon petit édifice personnel.
Alors, Ulysse, non cela ne se mérite pas mais tant mieux pour ceux qui sont rentrés dedans et y ont puisé des ressources personnelles et du plaisir. Cela dépend de chacun, de l'effort qu'on est prêt à y mettre, de son état d'esprit au moment de la lecture. Au même titre que beaucoup d'autres romans « cultes » (encore un mot bien réducteur), mais pas toujours faciles à lire, avouons-le, comme, sans être exhaustif, Belle du Seigneur et les monologues sans fin d'Ariane, Cent ans de solitude au style souvent abscons, les descriptions pointilleuses et névrotiques de la vie mode d'emploi, pour ne citer que des ouvrages que j'ai beaucoup aimé par ailleurs ! le monologue intérieur de Molly Bloom, Pénélope de cette épopée, point d'orgue final du roman, range indiscutablement Ulysse dans la même catégorie que ces oeuvres littéraires majeures.
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Un chef d'oeuvre avant-gardiste, déconcertant, révolutionnaire.
L'histoire : les déambulations physiques et les pérégrinations mentales de Léopold Bloom à travers Dublin pendant une journée.
Le roman se compose de dix-huit épisodes dont les dix-huit titres que l'auteur ne voulait pas mettre au départ, représentent les personnages de la mythologie grecque que l'on retrouve dans l'Odyssée d'Homère et dont il fait allusion à travers les tribulations de Bloom.
Le roman de James Joyce est une cathédrale symphonique de mots. C'est une expérience intérieure mystique. La narration rappelle parfois celle du « Cantique des cantiques ». Il y a aussi de l' « Ubu roi » d'Alfred Jarry (1896), de l' « Alice au pays des merveilles » de Lewis Caroll (1865), dans cette monumentale histoire. le personnage principal, Léopold Bloom (Ulysse) fait penser à Ahasvérus, le juif errant de cette légende moyenâgeuse qui a inspiré bien des écrivains.
James Joyce cultive l'art du monologue intérieur. La phrase réduite parfois à sa plus simple expression de mot est magnifiée. Son texte donne l'impression d'être chanté plus que lu. le style changeant d'un épisode à un autre est déroutant. Il fait parfois penser à de l'écriture automatique. En fait, il s'agit plus d'une écriture au débit épileptique, saccadée car l'auteur a pris un soin méticuleux à construire son récit, l'enrichissant de citations latines, de références à l'histoire de son pays, l'Irlande, et aux personnages illustres qui l'ont écrite. Il fait aussi souvent référence aux auteurs illustres tels que Shakespeare, Byron et bien d'autres. L'oeuvre est imprégnée de son éducation jésuite.
Style décousu, écriture psychédélique, le roman de James Joyce contient les outils dont s'inspireront plus tard William S. Burroughs, « le festin nu » et sa technique du « cut-up », ou Jack Kerouac, « on the road » et beaucoup d'autres auteurs de la Beat Génération ou pas.
L'architecture novatrice du roman de James Joyce bouleverse l'académisme antique de ses contemporains. Il va même jusqu'à inventer son propre vocabulaire en collant les mots pour en former d'autres et rendre son texte pratiquement illisible.
La musicalité de la narration est un des éléments essentiels du texte de James Joyce. On y retrouve son goût immodéré pour l'opéra, Verdi, Mozart, dont l'auteur sera un spectateur assidu, jusqu'à acheter des places pour voir huit ou dix fois d'affilé la même représentation. Dans « Ulysse », on retrouve ce chant, cette construction lyrique.
Extrait : Les Lotophages, épisode V.
Tellement chaud. Sa main droite une fois encore plus doucement passa sur son front et ses cheveux. Puis il remit son chapeau, soulagé : et repris sa lecture : mélange premier choix, provenant des meilleurs variétés de Ceylan. L'extrême orient. Un chouette coin que ça doit être : jardin du monde, grandes feuilles paresseuses sur lesquelles dériver, cactus, prairies en fleurs, lianes-serpents qu'ils les appellent. Va savoir si c'est vraiment comme ça ? ces Cingalais lambinant au soleil, dolce far niente. Ne remuant pas le petit doigt de la journée. Dorment six mois sur douze. Trop torride pour chercher querelle. Influence du climat. Léthargie. Fleurs de l'oisiveté.
« Ulysse » de James Joyce fait partie des romans dont la lecture ardue décourage nombre de lecteurs et c'est bien compréhensible, à croire que c'est un fait exprès. Jacques Aubert, spécialiste de Joyce recommande (source France Culture) :
1. Ne pas commencer par le début
2. Ne pas voir "Ulysse" comme un roman qu'il FAUT avoir lu. Il s'agit non pas de lire pour terminer un livre, mais de lire pour "faire acte de lecture"
3. Ne pas chercher à élucider toutes les allusions. le lecteur d'Ulysse doit donner plus d'importance à l'énonciation qu'aux énoncés.
4. le lire en anglais... si possible !
5. Comparer ses échecs de lecture et leur trouver des points communs. Pour sortir de ce "face à face mortifère entre le lecteur et l'oeuvre", il suggérait que celui qui se trouve en échec devant Ulysse tente de discerner, par rapport à d'autres textes ayant eu le même effet sur lui, à chercher ce qu'il y a de commun et de différent entre ces échecs de lecture.
On ne rentre pas dans le roman de James Joyce comme dans une auberge. Il faut de l'humilité, de la réflexion et beaucoup de patience pour arriver à appréhender une fraction de la réflexion de l'auteur. Il a réécrit neuf fois son roman avant qu'il ne soit publié par la librairie parisienne « Shakespeare et compagnie » dirigée par Sylvia Beach, le 2 février 1922, jour de son anniversaire.
Autre date emblématique, le 16 juin 1904, l'auteur rencontre Nora Barnacle qui deviendra son épouse. L'action d'« Ulysse » se déroule le même jour. le Blooms Day en Irlande, a lieu à cette date commémorative, et donne lieu à un festival de lectures d'extraits de l'oeuvre de James Joyce, les participants habillés dans les costumes du début du XXe siècle.
La lecture de « Ulysse » de James Joyce frôle souvent le calvaire mais heureusement tous les épisodes ne se valent pas. Après certains passages infernaux, un rayon de soleil peut parfois illuminer l'obscurité du propos de l'auteur. le dernier épisode, « Pénélope » est certainement le plus savoureux. Néanmoins, le surréalisme de l'écrivain fait de son oeuvre une véritable expérience éprouvante de lecture.
Traduction et édition sous la direction de Jacques Aubert.
Traduction de Jacques Aubert, Pascal Bataillard, Michel Cusin, Sylvie Doizelet, Patrick Drevet, Stuart Gilbert, Bernard Hoepffner, Valery Larbaud, Auguste Morel, Tiphaine Samoyault et Marie-Danièle Vors.
Editions Gallimard, Folio, 1659 pages.
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Livre-monde
Une seule journée (le 16 juin 1904, date à laquelle Joyce a sa première liaison amoureuse avec celle qui deviendra sa femme, Nora Barnacle) de Léopold Bloom et Stephen Dedalus déambulant dans Dublin où rien ne manque des rues, statues, pubs, parcs, squares, jardins, ponts. Après quelques chapitres plutôt limpides, dont je parcours toutes les notes avec enthousiasme, des pages toujours plus labyrinthiques (ah, le chapitre XI, Les sirènes, avec ses jeux de sonorités) me font passer par maint états, consulter Wikipédia (souvent) et autres commentaires (dont des critiques sur Babelio assez savoureuses) pour tenter de trouver un sens à des phrases vraiment absconses. Je découvre alors dans ce qui est une parodie de l'Odyssée, truffée entre autre de nombreuses allusions à Hamlet et aux nationalistes irlandais, que chaque chapitre est un point de vue différent, exprimé dans un style différent (18 en tout) où Joyce pastiche tous les genres et styles littéraires, se jouant des règles d'orthographe et de la syntaxe. Qu'explorant le flux de conscience et le monologue intérieur Joyce avait pour dessein de décrire la totalité d'une journée, la totalité d'une ville, et la totalité d'un homme ordinaire (tout l'art de Joyce étant de faire de quelque chose d'apparemment banal quelque chose qui devient captivant par la manière extravagante dont il le raconte).

Ça et une multitude d'informations utiles pour décrypter le propos de Joyce, dont il m'est arrivé de me demander sérieusement s'il avait écrit pour être lu et compris. Pourtant, j'ai pris un plaisir certain à aller au bout de ma lecture. Quelque chose quand j'en avais assez qui me poussait à persévérer, comme des fulgurances, une lumière brillante éclairant un chemin obscur : la poésie, la trivialité, l'érudition, l'humour et l'ironie (souvent féroces), la transgression, les mots valises, la musicalité du texte de ce diable de Joyce. Vous l'aurez compris une fichue écriture expérimentale qui m'a donné du mal. Un seul jour raconté sur quelque mille deux cents pages dont je suis ressortie fatiguée, rincée mais néanmoins heureuse, pleine et repue telle celle qui sait qu'elle vient de vivre une expérience unique (d'autant que je ne pas sûre de la retenter un jour).
Merci à Gwen qui n'a pas aimé, mais l'a dit avec tellement de talent que j'ai eu envie de découvrir ce monument quelque peu monstrueux et vertigineux qu'est Ulysse de James Joyce.
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C'est elle. Elle a commence par me flairer, incredule, sans rien dire. Puis est apparue l'inquietude, articulee en mots: "Fais semblant de vivre, et bientot tu vivras". Enfin une certaine colere, en cris: "Leve-toi et marche!".

Pour elle, j'ai reajuste mes lunettes sur mon nez. J'ai laisse de cote toutes les lectures que j'avais commence et pris en mains l'Ulysse de Joyce. Si deja, autant entreprendre une odyssee, ou au moins un long voyage, une longue marche dans les rues de Dublin. Avec elle aussi j'ai fait une longue marche, un long periple. Quelques passages eprouvants, en fait une bien belle balade. Une balade de vie. Je me souviens, comme Jeremie, de la grace de sa jeunesse, de l'amour de ses fiancailles. Je lui saurai toujours gre de m'avoir suivi au desert, dans une terre inculte. Pour elle, j'ai lu. Pour elle, j'ecris. Elle ne sait pas ce que j'ecris, mais elle respire: "ouf!"

Pourquoi Ulysse? Pour me mesurer a ma jeunesse? Imberbe, je me pavanais, aureole d'intellectualisme, devant mes amis: "C'est sublime!" Comment vais-je le trouver aujourd'hui?

C'est tres long. Et je me fatigue vite. Je me suis entete, mais ca m'a pris du temps. Beaucoup plus que prevu. Et je ne sais quoi ecrire. Que pour moi aussi c'est un grand chef d'oeuvre? OK. C'est dit. MAIS. Il est completement destructure. Il est chaotique. Il est bouffi de citations dont deux doctorats ne viendraient pas a bout et qui survolent la tete du lecteur normal sans presque jamais s'y poser. Il est deroutant, changeant de style a chaque chapitre. Et le plus recurrent: le flux de conscience, un monologue interieur qui peut paraitre sans queue ni tete, ou les mots apparaissent sans etre coordonnes en phrases, par unites, par paires, par petits groupes. Et ce flux s'entremele souvent de descriptions, de dialogues faits pour devoyer le lecteur, pour le fourvoyer. Ah! Il faut s'accrocher! MAIS. Il s'en degage un magnifique portrait de Dublin. Tout en amour. de quai en ruelle, de pub en estaminet. Et un brossage pointilleux d'une multitude de personnages, d'une multitude de caracteres. Un zoo humain. L'arche de Noe. Et un heros antiheros. Leopold Bloom. Un juif errant a Dublin! L'homme qui renait de ses cendres chaque fois qu'il est tue par le ridicule! Les epousailles reussies d'Orient et d'Occident! Et un deuxieme heros. Stephen Dedalus. La jeunesse, reveuse, desorientee, incomprise, incomprehensible. Et c'est quand meme l'espoir. Et une heroine. Molly Bloom. Molly, la diva. Bon ce n'est qu'une petite diva, une diva provinciale, mais ses seins ont de quoi rendre affame Bloom, ce juif mangeur de cochon, et de quoi monopoliser les pensees du lecteur.

Je suis fatigue. Ce livre est une prouesse. le lire a aussi ete une prouesse. J'en suis sorti avec la joie d'avoir reussi a atteindre un sommet. Ereinte mais heureux. Fourbu. Beat. Rompu. Exauce.

Et me voila en donneur de conseils: Tous, tous ceux qui ont appris l'alphabet, tous les debutants en lecture, devraient lire deux chapitres, le premier et le dernier. le premier est tout en dialogues d'un humour percutant. le dernier est une romantique declaration d'amour a faire chavirer les coeurs les plus endurcis. Les autres chapitres pourront faire le bonheur de lecteurs aguerris.

Et moi? Moi je suis fatigue. La lecture m'a fatigue. L'ecriture de ce billet aussi. J 'y ai mis beaucoup de temps. Je fatigue vite. Je me dandine. Mais c'est pour elle. Non, pour moi. Elle a raison, ca me fera du bien. Et c'est aussi une sorte de bouteille a la mer... quelqu'un la ramassera... un jour... un ami peut-etre...


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critiques presse (1)
Lexpress
04 mai 2022
Réputé illisible, le chef-d'oeuvre de l'écrivain irlandais est-il en passe de disparaître ? Il semblerait plutôt qu'il soit d'attaque pour traverser un nouveau siècle.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (231) Voir plus Ajouter une citation
Vous avez lu cette saynète dans The United Irishman d’aujourd’hui sur ce chef Zoulou en visite en Angleterre ?
— Non, c’est quoi ? demande Joe.
Alors le citoyen sort un des journaux de son bazar et il commence à lire tout haut :
— Une délégation des principaux magnats du coton de Manchester fut présentée hier à Sa Majesté le sultan d’Abeakuta par le Bâtondoré d’honneur, Lord Tumarches Surdesœufs, pour adresser à Sa Majesté les remerciements émus des marchands anglais pour les possibilités qui leur ont été offertes dans ses territoires. La délégation prit part à un déjeuner à l’issue duquel le potentat basané fit un discours des plus heureux, librement traduit par le chapelain anglais, le révérend Ananias Priedieu Jusqualos, par lequel il adressa ses plus sincères remerciements à Missié Tumarches et célébra les relations cordiales établies entre l’Abeakuta et l’Empire britannique, affirmant qu’il considérait comme l’un de ses trésors les plus précieux une bible enluminée, livre de la parole de Dieu et secret de la grandeur de l’Angleterre, qui lui a été gracieusement offerte par la cheffesse blanche, la grande squaw Victoria, personnellement dédicacée par l’auguste main de la Royale Donatrice. Portant un toast au Black and White, le sultan but la coupe de l’amitié emplie du meilleur tord-boyaux dans le crâne de son prédécesseur immédiat de la dynastie Kakachakachak, prénommé Quarante-verrues, après quoi il visita la manufacture la plus importante de Cotonopolis, fit une croix sur le livre d’or puis il exécuta une charmante danse de guerre traditionnelle des Abeakutes, au cours de laquelle il avala force couteaux et fourchettes, à la grande joie des jeunes ouvrières.
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Cet après-midi là, à l’occasion du mariage du chevalier Jean Sage de Neaulan, grand chef des gardes forestiers des Eaux et Forêts d’Irlande, se pressait en masse toute l’élite de la société cosmopolite : Mlle Sapin Conifère de la Vallée des Pins, Lady Sylvestre Delombre-Delorme, Mme Barbara Aimé Laverge, Mme Delacime-Dufresne, Mme du Houx de la Coudraie, Mlle Daphné Dulaurier, Mlle Dorothée des Ajoncs, Mme Clyde de la Clairière, Mme Rowan Auvert, Mme Hélène Follevigne, Mlle Virginie des Glycines, Mlle Gladys Dubuisson, Mlle Olive de L’Enclos, Mlle Blanche Érable, Mme Maud Acajou, Mlle Myra Myrte, Mlle Priscilla de la Fleur de Sureau, Mlle Abeille du Chèvrefeuille, Mlle Grâce Peuplier, Mlle O. Mimosa San, Mlle Rachel Rameau du Cèdre, Mlles Liliane et Violette Lilas, Mlle Modestie Dutremble, Mme Kitty Fraîchemousse, Mlle May de l’Aubépine, Mme Gloriana Palmes, Mme Liane Desforêts, Mme Arabelle Dubois d’Ébène et Mme Norma Régis de Saint-Chêne de la Chesnais, toutes rehaussaient la cérémonie par la grâce de leur présence. La mariée, conduite par son père, le chevalier M’Conifère du Gland, était absolument ravissante dans une robe de soie verte amidonnée, moulée dans une combinaison gris crépuscule, ceinte d’un collier de grosses émeraudes, la tenue se terminant par une triple rangée de franges d’un Ion plus soutenu, attachée en haut par des bretelles et à la hanche par une broche de bronze incrustée de glands. 
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Il est des péchés ou (appelons-les comme le monde les appelle) de coupables souvenirs qui sont cachés par l’homme dans les recoins les plus sombres de son cœur mais qui demeurent là et attendent. Il peut laisser s’estomper ces souvenirs, faire qu’ils soient comme s’ils n’avaient jamais été, se persuader presque qu’ils ne furent point ou tout au moins qu’ils furent autres. Mais le hasard d’un mot les évoquera soudain et ils se dresseront en face de lui dans les circonstances les plus diverses, vision ou rêve, ou pendant que le tambour de basque et la harpe charment ses sens ou dans la paix fraîche et argentée du soir ou au milieu du banquet, à minuit, alors qu’il est alourdi de vin. Non qu’elle vienne pour le couvrir d’opprobre, cette vision, comme s’il avait encouru sa colère, non pour se venger en le retranchant du nombre des vivants, mais sous le linceul du passé, vêtement pitoyable, en silence, lointaine, vivant reproche.
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 Quelles affinités particulières lui paraissaient exister entre la lune et la femme ?
Son antiquité qui précède les générations telluriennes successives et qui leur survit : sa prédominance nocturne : sa dépendance satellitique : sa réflexion lumineuse : sa constance dans toutes ses phases, se levant et se couchant aux moments désignés, croissant et décroissant : l’invariabilité contrainte de son aspect : sa réponse indéterminée à l’interrogation inaffirmative : son pouvoir sur les eaux effluentes et refluentes : sa capacité à énamourer, à mortifier, à investir de beauté, à rendre fou, à inciter et à favoriser la délinquance : l’inscrutabilité tranquille de son visage : la terribilité de sa propinquité isolée dominante implacable resplendissante : ses présages de tempête et de calme : la stimulation de sa lumière, de son mouvement et de sa présence : l’admonition de ses cratères, de ses mers arides, de son silence : sa splendeur, quand elle est visible : son attraction, quand elle est invisible. 
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 Le chien accourut en jappant, il se dressa pour les agripper de ses pattes levées, retomba sur les quatre fers, puis se dressa encore vers eux, démonstration muette, d’ours mal léché, d’affection excessive. Dans l’indifférence générale il continua à les accompagner en direction du sable sec, tirant une loque de langue de loup rouge et pantelante de sa gueule. Son corps tacheté trottina devant eux puis il piqua un galop de jeune veau. La charogne se trouvait sur son chemin. Il s’arrêta, renifla, se raidit pour tourner autour de lui, frère, approcha la truffe, tourna encore, reniflant rapidement comme un chien la peau débraillée du chien crevé. Crâne de chien, flair de chien, les yeux baissés, s’avance vers un seul et unique but. Ah, pauvre corps de chien ! Ci-gît le corps du pauvre corniaud.
— Patouille ! Lâche ça tout de suite, foutu bâtard !
Le cri le ramena penaud vers son maître et un coup de pied nu appliqué de bon cœur l’envoya paître sans trop de dégâts de l’autre côté d’une langue de sable et il fila la queue basse.
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Savez-vous quel livre célèbre la ville de Dublin et ses habitants ? Enfin… quand je dis « célèbre »… il les montrent surtout comme une belle bande d'hypocrites…
« Gens de Dublin », de James Joyce, c'est à lire en poche chez GF.
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