Un roman à la Chandler où l'angoisse métaphysique et les tumultes politiques se mêlent jusqu'au vertige.
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Si elle sait où se trouve Barcala, je l’aurai attrapé avant la fin de la nuit et je lui sortirai tout ce qu’il a dans le ventre. Rendu là, personne ne m’échappe. Et en plus, il y a cette idée de bateau, à laquelle aucun de ces imbéciles n’aurait jamais pensé. Je ne les ferai pas descendre du bateau pour les emmener au poste. C’est moi qui m’y rendrai et le bateau ira faire une autre petite sortie de plaisance autour de la baie, pendant que l’orchestre jouera la Marche de janvier. En un soir, ils vont me payer tout ce que Barcala a fait cet été. Combien de temps aurai-je attendu cette nuit, toujours convaincu cependant qu’elle viendrait, qu’ils me le paieraient une fois pour toutes ?
Weiss avait dit au téléphone :
– Il paraît qu’il y a un billet pour vous. Rien de sûr. Un garçon d’en haut, il sait qui vous êtes. Au First and Last, vous connaissez ? D’accord, ce soir à neuf heures. Bonne chance, c’est tout. Envoyez-nous des cartes postales, vous savez, celles avec vue sur une baie, qui disent « Les beautés du monde ». Au revoir.
Ossorio se mit à regarder le ciel, où il ne voyait que les étoiles. Aucun bruit ne se faisait entendre au loin, sinon la musique dans les cafés et les phrases entremêlées, avec les rires parfaitement placés au milieu, qui sortaient un moment à la rue quand les portes s’ouvraient. Il n’y avait rien dans le ciel, aucune lumière à part les étoiles, aucun mouvement à part les nuages ronds, petits, trottant lentement devant la lune. Il tâta la liasse de billets dans sa poche et alla directement de la bordure du trottoir à la fenêtre éclairée, séparée de la rue par des barreaux en croix. Il y avait une femme dans une lumière jaunâtre, devant une commode surmontée d’une glace. Le bras, relevé vers la coiffure, laissait voir une épaule forte, ainsi que le duvet qui brillait tout au creux de l’aisselle. Le reste du corps était à demi nu et fragile sous les ombres et les muscles ronds de la grosse épaule dressée. À travers la vitre de la fenêtre, Ossorio crut un moment qu’il voyait le parfum du buste presque nu.
Le lampadaire du coin de la rue était accroché quelques mètres plus bas ; la petite cheminée du vendeur de cacahouètes siffla deux fois, laissant échapper une brume fugitive contre le lampadaire. L’enseigne sur la porte du bar disait « The First and Last », et la porte était double, à ressort, sans cesse poussée, laissant voir le mouvement de têtes isolées et de jambes sans corps. Le First and Last, c’était là. « Et les hommes furent condamnés à chercher des aiguilles dans des bottes de foin », pensa-t-il.
Morasan s’amusa à regarder les bagues sur ses doigts, puis il secoua la tête d’un air désabusé en pensant à la bande de pédés qui dirigeaient le mouvement dans la ville, songeant qu’il devait lutter contre eux, contre leur imbécillité, pour que les choses ne se gâtent pas, et songeant que hier seulement il avait obtenu ce qu’il avait demandé depuis un mois, depuis ce matin où il était allé voir le chef dans un endroit dont il ne se souvenait pas parce qu’il avait reçu l’ordre de l’oublier, et cela un autre mois après avoir dû se battre pour traverser la muraille de pédés et d’imbéciles qui entourait le chef ; et debout, tournant le dos à la fenêtre, regardant la lumière du jour dans le visage fatigué du petit homme en uniforme, qui acquiesçait de la tête depuis le fauteuil du bureau, il avait expliqué qu’il était nécessaire que la police laissât les mains libres à la police du chef ; le chef avait dit oui, et lui, Morasan, avait répété deux fois dans la conversation, une fois d’un ton doux et l’autre fois de sorte que tout le monde entendît, que son on n’obtenait pas cela, il ne pourrait être responsable de quoi que ce fût dans la ville.
il s'installa dans son bureau et s'en fut en ligne droite regarder le morceau de vitre que n'arrivait pas à couvrir le rideau de la fenêtre, reconnaissant d'avoir retrouvé le sens langoureux de la nuit, à nouveau sûr de lui et calme, regardant le morceau de ciel noir devant lequel il avait souffert pour Béatrice, pensant maintenant que, quand tout serait fini, à n'importe quelle heure, le lendemain, il pourrait retourner chez lui, monter sans bruit les marches et la retrouver endormie ou éveillée et récupérer d'un geste de la main le temps perdu, ou tout perdre pour toujours et se libérer de l'inévitable tourbillon où elle nageait, avec la flamme tremblotante de la bougie, le visage de l'image, l'inquiétude des chiots dans le panier et l'air chargé de culpabilité et de haine du passé qui l'effondrait sans force dans le fauteuil.
Ils se turent pendant qu’on ouvrait la porte et que des voix et des pas défilaient derrière eux. Ils burent un autre verre en silence et jetèrent les pièces de monnaie sur le comptoir.
– Une table se libère, dit Martins. Attends un moment et viens m’y rejoindre. Nous y serons mieux.
Ossorio le laissa s’installer puis s’approcha, demandant à voix haute la permission de s’asseoir. Martins haussa les épaules sans répondre. Aussitôt il dit : – Quelle est cette histoire de bateaux de réfugiés ?
Il ne pouvait lui parler ainsi sans le regarder, sans verre pour se dissimuler. Il commanda plus de vin ; il sentait maintenant qu’il n’allait pas partir, que tout était perdu, qu’à l’aube ils le tueraient.
« […]
« La poésie est parole dans le temps », Machado (1875-1939) n'a pas cessé de l'affirmer. Encore fallait-il que le temps ne se résumât pas à la pression immobile du passé sur la circonstance, ni la parole au simple ressassement de l'irrémédiable. Certes Machado […] a éprouvé une manière d'attirance étrange devant la négativité et la noirceur du destin de l'Espagne. Il ne s'y est point abandonné. Ou plutôt, avec une véhémence souvent proche du désespoir, une tendresse mêlée de répulsion et de haine, il a tenté, longuement, d'en sonder les abîmes. […] La poésie - Machado, seul de sa génération, s'en persuade - n'a plus pour tâche de répertorier pieusement les ruines ; elle se doit d'inventer le futur, cette dimension héroïque de la durée que les Espagnols ont désappris dans leur coeur, dans leur chair, dans leur langue depuis les siècles révolus de la Reconquête. […]
[…] Nostalgique de l'Inaltérable, à la poursuite du mouvant… Par son inachèvement même, dans son échec à s'identifier à l'Autre, la poésie d'Antonio Machado atteste, et plus fortement que certaines oeuvres mieux accomplies, la permanence et la précarité d'un chemin. Hantée par le néant, elle se refuse au constat de l'accord impossible. Prisonnière du doute et de la dispersion, elle prononce les mots d'une reconnaissance. Elle déclare la tâche indéfinie de l'homme, la même soif à partager. » (Claude Esteban.)
« […] “À combien estimez-vous ce que vous offrez en échange de notre sympathie et de nos éloges ? » Je répondrai brièvement. En valeur absolue, mon oeuvre doit en avoir bien peu, en admettant qu'elle en ait ; mais je crois - et c'est en cela que consiste sa valeur relative - avoir contribué avec elle, et en même temps que d'autres poètes de ma génération, à l'émondage de branches superflues dans l'arbre de la lyrique espagnole, et avoir travaillé avec un amour sincère pour de futurs et plus robustes printemps. » (Antonio Machado, Pour « Pages choisies », Baeza, 20 avril 1917.)
« Mystérieux, silencieux,
sans cesse il allait et venait.
Son regard était si profond
qu'on le pouvait à peine voir.
Quand il parlait, il avait
un accent timide et hautain.
Et l'on voyait presque toujours
brûler le feu de ses pensées.
Il était lumineux, profond,
car il était de bonne foi.
Il aurait pu être berger
de mille lions et d'agneaux à la fois.
Il eût gouverné les tempêtes
ou porté un rayon de miel.
Il chantait en des vers profonds,
dont il possédait le secret,
les merveilles de la vie
ou de l'amour ou du plaisir.
Monté sur un Pégase étrange
il partit un jour en quête d'impossible.
Je prie mes dieux pour Antonio,
qu'ils le gardent toujours. Amen. » (Rubén Darío, Oraison pour Antonio Machado)
0:00 - Titre
0:06 - Solitudes, VI
3:52 - du chemin, XXII
4:38 - Chanson, XLI
5:39 - Humour, fantaisies, notes, LIX
7:06 - Galeries, LXXVIII
7:54 - Varia, XCV, Couplets mondains
9:38 - Champs de Castille, CXXXVI, Proverbes et chansons, XXIX
10:14 - Champs de Castille, idem, XLIII
10:29 - Prologues. Art poétique. Pour « Champs de Castille »
12:17 - Générique
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