Oui, deux couvertures pour ce recueil de nouvelles, absolument ébouriffant parce que celle de droite, version Albin-Michel est aussi parlante que celle (en poche) que je viens de terminer. UN COUP DE POING !
Le choix des deux couvertures avec une petite fille en noir et blanc sur fond de banlieue grise et triste est justifié. de même que le début de la quatrième de couverture qui ne ment pas en disant : "Des personnages à la
Raymond Carver, solitaires et fragiles, tendres et brutaux." Ce livre a obtenu le Grand Prix 2008 de la nouvelle de la Société Des Gens de Lettres et le Prix littéraire des Lycéens et apprentis de la région Paca 2008.
Neuf nouvelles qui ont en commun de faire parler un enfant, un ado, ou un adulte qui est toujours le fils ou la fille de quelqu'un, perdu pour ne pas dire paumé dans la misère sociale qui suinte tout au long des pages. Les anges sont ces voix d'enfants que l'on n'écoute plus, qui se battent pour survivre en tenant une famille à bout de bras. Des anges qui ont peu ou plus de rêves, qui ne refont pas le monde car ils sont refaits d'avance. Mais le filet d'espoir qui coule dans leurs veines devient un éxutoire au malheur. Il y a aussi des vieillards magnifiques qui meurent encore d'amour ou tombent amoureux. L'action se passe on ne sait où en fait, il n'y a aucun cliché sur la banlieue telle qu'on nous la présente trop souvent. Il s'agit de gens ordinaires, vivant dans la propreté d'un pavillon ou d'un immeuble de banlieue. C'est l'homme souvent à l'origine des problèmes, l'homme est un "médiocre congénital ou un salaud". le rapport au père est conflictuel ou inexistant, désabusé mais jamais indifférent. Petits et grands passent par des stades de haine, de rejet, de mépris mais également d'amour, l'amour indéfectible qui flirte avec la haine et les sauve ; cet amour va se nicher dans les bras de la mère, de la soeur, de la femme, qui sont magnifiées, même quand elles aussi sont perdues, folles ou caburant à la bière, à la vodka, ou à l'héroïne. C'est forcément pas leur faute, elles ont trop souffert, elles souffrent toujours plus et pour les garçons en mal de père elles sont des soleils éclatant de victoire sur les défaites et les ravages du temps. Et nous les aimons pour ça les protagonistes de ces nouvelles qui ne baissent jamais les bras malgré leur vie dézinguée par des adultes brutaux ou inconscients. On a envie de les serrer contre nous et de les consoler, leur dire que oui, les mondes meilleurs existent, loin de leur précarité sentimentale, de la violence qui fait éclater les familles et qu'ils doivent aller au bout de leurs rêves...dans la mesure du possible... Ils ont au moins le choix d'un possible et celui-là, ils s'en emparent vite fait.
Le langage est cru, vert mais se marie à la perfection avec l'ambiance très grise de ces jours bitumés et biturés à l'alcool pour la plupart ; il n'entache pas le style rythmé, enlevé et imagé de l'auteur, avec des envolées poétiques magistrales et un suspense habilement mené qui nous empêche de lâcher le livre avant la dernière page. Je ne vais pas vous les chroniquer toutes en détail, ce serait les déflorer mais vous laisser une phrase révélatrice de certaines d'entres elles.
LA TAILLE D'UN ANGE: (Une adolescente enceinte d'un violeur dont elle nie les torts mais dont elle veut garder l'enfant) " J'ai regardé à nouveau la photo. le trou noir que le bébé faisait dans mon ventre. je me suis souvenue de ce que m'avait dit le type de l'échographie, qu'il ne mesurait que quelques millimètres. Je me suis souvenue aussi de ce que papa avait dit (...). Que ce devait être ça
la taille d'un ange."
MOURIR AUSSI : (En pensant à son père mort trop tôt) " Combien je l'aimais. Combien je l'aime encore. Je sens sa main se crisper, serrer la mienne puis se détendre à nouveau. Un leurre sans doute. Une illusion. "
LE DIMANCHE MATIN : Une qui est terrible ! " Papa nous tabasse tous les dimanches matin. Parce que sans ça on deviendrait des monstres. Il dit que les enfants c'est comme les animaux et qu'il faut les dresser (...). je ne sais pas pourquoi alors il tabasse maman, qui n'est plus une enfant même si elle chiale comme un bébé quand elle prend une raclée."
MA MÈRE EST VIVANTE : (Un adulte dont le père vient de mourir et que sa mère remplace un mois après tout en voulant l'aval de ses trois enfants). " Voilà. Que nous avons le droit de lui refuser notre compréhension (...). Ma mère est vivante. C'est ce qui me traverse la tête à ce moment là. Un ange passe qui a remplacé la buse de tout à l'heure et qui sanctifie les paroles de ma mère."
CHIENNE PERDUE : (Un couple bancal a perdu sa chienne à laquelle sa femme, en mal d'enfant s'accrochait.) "J'ai peur de rentrer. du silence dans la maison. du vide qui se creuse entre Reine et moi. de son oeil mort. de la vitalité de son désarroi. Ou du mien. (...) J'ai peur de notre maison sans amour. Sans Ostie. Sans le minimum vital qui la rendait vivable."
UN COEUR EN COMMUN : (Une fille qui a été séparée à la naissance de sa mère "attardée" et placée dans un asile par sa grand-mère, découvre, à 16 ans, son existence) " J'étais certaine qu'il restait quelque chose en elle des huit mois de cohabitation que nous avions passés ensemble. Dans son corps intact de jeune fille mutilée. Ne serait-ce que l'ombre cicatrisée d'un souvenir. Quelque chose qui n'appartient qu'à une mère et à son enfant. le fantôme d'un souffle. Un coeur en commun. "
LE PREMIER VRAI SOUVENIR QUE J'AI d'ELLE: (Bouleversante ! Avec une fin qui rebondit dans un dénouement inattendu. L'histoire d'un enfant qui a 14 ans d'écart avec sa soeur junkie qu'il adore) . " Je n'ai jamais embrassé notre mère. Je n'ai jamais embrassé notre père. Ou je ne m'en souviens pas (...) Je ne me souviens pas de notre père. Finalement. Mais comment se souvenir de presque rien ?"