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Critique de ATOS


Ce n'est pas ,comme le souligne Philippe Sers dans sa préface, une simple théorie que nous livre Kandinsky, c'est une philosophie de l'Art, de l'Art monumental.
L'artiste s'abstrait en se début du 20e siècle. Il n'exclut pas, il ne s'extériorise pas.
Tout répondra en lui à une nécessité intérieure.
Abs-traction. Examinons le mot. Prendre une distance, considérer le rapport, faire le point. Espace, place, profondeur des champs qu'ils soient sonores ou visuels.
Où se situer ? En ces années 1910, l'harmonie du monde joue la dissonance, exprime des tensions, des divisions, alimente des révolutions. Les années se diront folles avant de perdre pour longtemps toute raison. L'atome se livre, supposé par les anciens, il est à présent sous l'oeil des hommes. Il rayonne. La matière est une composition. Ce que nous nous figurons n'est pas ce qui est. On ne doit pas se contenter de recopier le monde mais on doit le comprendre, rentrer en dedans du monde pour en définir ses particules, et donc ses particularités. L'ensemble est composé. Rechercher l'architecture, la physique de cette composition c'est en saisir l'intelligence, s'assurer de ce fait de sa stabilité. «  comprendre c'est éduquer le spectateur ».
Ce n'est pas un hasard si cette époque a fait naître l'art abstrait. La figuration devient insuffisante. Il y au delà de la vision, il y a l' intérieur.
L'abstraction sera pour certains symboles de défiguration, pour d'autres elle sera révélation.
L'Art pour Kandinsky est spiritualité. Sans intention d'élévation par de démarche artistique. Sans art pas d'ascension. L'artiste n'est pas fortuit. Il a un devoir, un rôle, et avant tout il est nécessaire à la progression de l'humanité, à la construction de sa grande pyramide, le Triangle spirituel .
Voilà donc sous la plume de Kandinsky, le contrat que doit moralement signer l'artiste. C'est au nom de cette éthique qu'il place l'escroquerie artistique au niveau du crime contre notre humanité. Celui qui trompe, égare.
Tendre, tirer, s'élever, s'atteler au grand chariot des hommes pour conquérir ce qui toujours nous dépasse. Ce que nous ne connaissons pas encore mais que nous savons être notre espace prochain. Par la connaissance l'homme atteindra ce que nous conviendrons de nommer le divin. Que nous traduirons par : le très haut de notre conscience collective.
Notre perfectibilité ne peut progresser sans les arts, prenant constamment ses appuis sur leurs exigences, leurs disciplines. L'artiste est bâtisseur, il répond à un ordre un besoin naturel qui tout entier définit sa nature humaine. L'homme ne peut s'accomplir qu'en croissant.
Si Kandinsky dans cet ouvrage s'explique, il laisse surtout apparaître ce qu'il exige de nous tous. L'artiste n'est pas un individualiste, sa quête est personnelle mais sa démarche ne peut se justifier que dans le but d'une démarche commune. L'artiste n'erre pas, il s'attelle. Il ne s'amuse pas, il oeuvre, il ne vagabonde pas, il fait le point et trace la route. On ne badine pas avec la création, on est à son service. «  il n'a pas le droit de vivre sans devoir », «  il n'est pas libre dans sa vie, mais seulement dans l'art ».Il n'y a pas pour Kandinsky de l'art pour l'art, l'art n'est pas un acte gratuit auquel on s'évertue pourtant à fixer le prix. L'artiste ne commerce pas, donc n'échange rien , il est en mouvement , il avance. Par la connaissance l'homme atteindra le divin.
L'artiste doit se nommer, se situer, et avoir conscience de ses actes.
Quelque soit le support qu'il choisit, il s'autorise toutes les prises et toutes les pistes, se hisse et prend appui. Cette liberté de mouvement est la condition de toute progression. L'ordre moral cristallise les valeurs, l'artiste de meut ne s'immobilise jamais. Les explorateurs trace les cartes après avoir découvert les territoires, jamais avant. Pour Kandinsky il en est de même pour l'art, la théorie suit la pratique jamais ne la précède.
Et sur cette longue piste, les temps parcourus et rencontrés contraignent les hommes à « acclimater » leur démarche artistique.
Ce qui est aujourd'hui se justifie par le temps, l'espace traversé.
Les tendances, les cadences, les rythmes s'expliqueront par le « terrain », les forces qui s'opposeront, les vents contraires affrontés. «  toute oeuvre d'art est l'enfant de son temps et, bien souvent, la mère de nos sentiments. » Notre tribu est en marche depuis si longtemps...
« Un art qui n'engendrera jamais le futur, est un art castré ».
Et c'est dans l'opposition, dans la résistance que se comprend la physique du mouvement de l'art son anatomie. Tout mouvement répond à une contraction qui déclenche une détente . On repousse le sol pour avancer,
Tout est croissance, mouvement chez Kandinsky. Il n'y a pas d'achèvement, mais un parachèvement constant. D'un niveau à l'autre nous nous élevons. Mais qu'est ce qui lance ainsi sur la route l'homme ? C'est la volonté de son esprit, sa nécessité intérieure, la force primordiale , primaire pour Kandinsky. Et si l'art lors de sa progression doit reprendre vigueur c'est en se ressourçant par instant dans les arts dits primitifs qu'il y parviendra. Car cette force est pour l'homme essentielle.
La beauté n'est pas le but de l'art, mais en sera inévitablement la conséquence. Justesse et vérité seront ses conditions. Mais c'est avant tout un mouvement, un choeur qui nous met en résonance, qui fait vibrer l'âme, tenant l'homme en éveil , dans son effort ,et, dans la bonne direction. Constamment l'art est un guide, un rappel à l'ordre de marche ascensionnelle.
Il doit être combiner, répéter mais ne doit jamais cesser sous peine de voir l'endormissement de l'humanité, vouée alors à son enlisement et donc à sa perte.
Pour faire vibrer notre âme, appeler nos pas, Kandinsky va mettre en vibration les couleurs. Il comparera les couleurs aux instruments de musique : certaines seront cuivres, à vent, d'autres à cordes. Chaque couleur a son timbre, sa ton, son rôle. «  la couleur est la touche. L'oeil est le marteau. L'âme est le piano aux cordes nombreuses . L'artiste est la main».
Elles entrent également dans l'espace en jouant de leurs contrastes, de leur profondeur.
Elles mettent l'espace en mouvement. Ainsi le bleu est il froid de par son éloignement, le jaune chaud par sa proximité.
En combinant les couleurs, en les juxtaposant, en les contrastant, il arrive à les mettre en scène et à donner à la surface ses dimensions. Les contrastes sont excentriques, concentriques. Les couleurs orientent les formes. Elles les modèlent. L'artiste projette son espace intérieur, son relief interne dans l'oeil « interne » de l'autre. Sons et couleurs sont au diapason. Goethe évoquait ainsi la possibilité d'une basse continue en peinture.
« La couleur peut s'avancer ou reculer, tendre vers l'avant ou vers l'arrière », « faire de l'image une essence flottant en l'air, ce qui équivaut à une extension picturale de l'espace ». Les couleurs sont dynamiques. Leur harmonie s'accorde à notre temps. L'harmonie n'est pas universelle. Elle bouge ses lignes au gré de notre cheminement.
Mais l'évidence des choses nuirait au jeu des perspectives, à ce rapport particulier qui doit s'établir entre l'artiste, sou oeuvre, et le « regardant ».
Le voilé-dévoilé trouve là sa nécessité. Pour découvrir, entrer à l'intérieur, il faudra plisser son regard. «  ce que l'on voile a une énorme puissance ».
Le peintre met en couleurs le monde et le public doit ici tendre son âme pour en saisir l'harmonie.
Kandinsky exige effort et concentration de la part de tous. Cessons de nous perdre dans nos bruits : «  l'homme qui pourrait parler à ses semblables n' a rien dit et celui qui eût pu entendre n'a rien entendu ». L'artiste livre des impressions spirituelles. Voici peut être le nouveau réalisme. L'intérieur de l'homme est atomique. Énergie, puissance, force et matière, l'homme s'intériorise et comprend qu'il ne se situe que par rapport à l'ensemble.
Les formes sont au service de l'intériorité : Cézanne étire les corps des grandes baigneuses pour élever son oeuvre. «  la forme est l'extériorisation du contenu intérieur ».
« Matisse- couleur, Picasso- forme : deux grandes indications vers un grand but »
L'art doit faire entendre le «  quoi ». Il ne peut se satisfaire du comment, du pourquoi.
Il se dit et ne s'interroge pas. Il se comprend. «  ce quoi est le contenu que seul l'art est capable de saisir en soi et d'exprimer clairement par les moyens qui n'appartiennent qu'à lui. » 
On doit plus voir l'oeuvre mais voire en l'oeuvre. En oublier les moyens. On s'abstrait de la pratique.
L'abstraction est un mouvement artistique, un coup de talon nécessaire à l'homme pour prendre de la hauteur, tenter d'échapper à l'attraction terrestre.
La volonté de l'artiste, cette nécessité intérieure est une activité éruptive à l'architecture volcanique. L'extérieur se construit ,se bâtit par l'extériorisation de l'intériorité de l'artiste.
Comme la lave projetée d'un cratère vient construire les parois du volcan en se solidifiant au contact de l'air. Ainsi le volcan s'élève t il.
C'est une vision aérienne des plus puissantes. «  il est clair que la force spirituelle intérieure de l'art ne se sert de la forme d'aujourd'hui que comme une marche afin d'en atteindre de suivante ». Voici l'intelligence de « la lutte de l'objectif contre le subjectif »
Kandinsky veut ériger un art monumental. Il dissocie le réel, cherche les rapports entre formes et couleurs pour identifier la matière , et c'est ce rapport qui assurera la cohésion de l'ensemble . Il ne brise pas, il dilue rien, ne dissout rien, ne lie rien. Il identifie, détermine, établit une grammaire picturale pour s'adresser à l'ensemble. «  l'artiste doit avoir quelque chose à dire, car sa tâche ne consiste pas à maîtriser la forme, mais à adapter cette forme au contenu ».
« Penser, c'est oublier des différences, c'est généraliser, abstraire » écrivait Barthes.
L'abstraction tend vers l'unité.
Astrid SHRIQUI GARAIN
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