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Critique de Camayla


Au vu des interprétations diverses et variées que j'ai lu avec attention et intérêt, voici celle que je propose :
La clé du récit nous est donnée à la fin, lorsque la scène de la tuerie qui ouvre le livre est reprise et développée.
Ainsi, au moment où Mickael Patrick approche le canon de sa tempe, menaçant de la tuer, Diana regarde dans le miroir et s'y voit, vingt-ans plus tard, « qui conduit un monospace gris métallisé et qui roule vers la quarantaine, une petite fille bien sanglée sur le siège à côté d'elle. Sur le pare-choc du véhicule qui s'éloigne, elle voit un autocollant. Qui proclame CHOISISSEZ LA VIE. »
C'est à partir de cette projection, de cette vision dans le miroir de ce à quoi pourrait ressembler son existence si elle demeurait vivante que Diana fait ce choix terrible, poussé par la terreur de la mort et le désir instinctif de survie, de demander à l'assassin de tuer son amie, et de l'épargner elle.
Mickael Patrick lui tire malgré tout dessus : « le premier coup de feu fait tomber du ciel une pluie tiède sur les bras de Diana. le second enfonce le reflet d'un bijou dans le lobe temporal gauche de son cerveau », et l'épilogue qui suit s'ouvre avec Diana à l'hôpital : « L'hôpital tout entier bourdonnait comme une longue robe blanche autour d'elle. (…) Un homme lui appuyait sur la poitrine. Une femme lui respirait dans la bouche ». Diana n'est donc pas morte sur le coup. Il n'est pas dit si elle survit à ses blessures ; la scène hallucinée qui suit fait penser tout autant à un cortège célébrant la vie, avec les fleurs, le printemps, qu'à un cortège funèbre, son corps dans un char suivi par la foule. Libre au lecteur de choisir si, lorsque Diana descend du char et regarde autour d'elle, à la toute fin, cela signifie qu'elle est morte, passée « de l'autre côté », ou au contraire qu'elle s'éveille de sa torpeur, de sa transe, et revient à la vie.
Ce qui importe, c'est le parti pris de l'auteure, qui constitue toute la richesse et l'originalité du livre : celui de prendre le contrepied d'une croyance populaire, celle qui dit qu'au moment de rendre son dernier souffle, on verrait la vie devant ses yeux, la vie dans le sens du passé, de ce qui est derrière nous ; ici Kasischke nous propose une lecture nouvelle, dans laquelle le personnage principal, aux portes de la mort, voit défiler sa vie, non pas passée, mais à-venir : un futur imaginé, le sien, si elle demeurait en vie.
Voilà la clé qui nous est donc donnée par la vision dans le miroir, cette projection de celle qu'elle pourrait être bien plus tard, cette mère épanouie dans un monospace.
Tout l'effort du livre, et toute la virtuosité de l'auteure est de tromper le lecteur : en effet Kasischke nous rend cette vie imaginée réelle, tangible (et ce par la finesse et la précision de ses descriptions). Mais l'auteure dissémine cependant des indices la fantasmagorie : ainsi le récit qui concerne la Diana de quarante ans est au passé, parce qu'il est déjà perdu avant même d'avoir existé, tandis que le récit des deux adolescentes, bel et bien vécu par le personnage, est écrit au présent - même s'il s'agit en réalité d'un passé proche : ce qu'était leurs vies juste avant que n'arrive le jour fatidique de la tragédie. Si Diana nous peint le tableau d'une vie parfaite qu'elle semble mener, cette vie d'une femme de quarante ans est presque exclusivement composée de tous les éléments qui jalonnent son univers d'adolescente, introjectés dans ce futur rêvé.
Il en va du professeur McFee qu'elle a vu lors une conférence et qui serait son mari, avec la citation qu'il donne et qu'elle note pendant la conférence sur un bout de papier, et dont elle imagine que, à quarante ans, elle la ferait graver sur un verre pour son anniversaire (d'ailleurs la fameuse conférence à laquelle il est si fier d'aller, lui raconte-t-il dans ce futur imaginé, a bel et bien lieu lorsque Diana a dix-sept ans, puisque elle s'y rend avec son amie Maureen). La petite fille blonde à lunette qui tombe à la sortie de l'école, dont on apprend à la fin qu'elle était une camarade de Diana, et que cette dernière ne s'était pas arrêtée pour l'aider à se relever (dans ce futur fantasmé, Diana essaie de réparer ses mauvais actes du passé, puisque cette fois-ci elle chercher à lui porter secours, tout comme elle essaie de réparer son avortement, en s'imaginant mère à quarante ans, et donnant comme prénom à sa fille celui qu'elle a vu sur la tombe d'un enfant, celui qui est aussi un de ses prénom fétiches, lorsqu'elle en dresse la liste avec Maureen). D'autre part, la fille qui se baigne dans la piscine des voisins fait écho à la fois à une fille du lycée de Diana, fumeuse de joint, et aussi à une scène que Diana vécu avec Maureen, lorsqu'elles se sont baignées en cachette dans la piscine de leur voisin, un après-midi d'été. de même le facteur de son adolescence, ou encore cette femme qui la renverse lorsqu'elle traverse la route, cette femme dont le pare-choc de la voiture laisse apparaître un autocollant proclamant CHOISISSEZ LA VIE (leitmotiv déformé de la vision du miroir, qui montre bien que la vie de Diana à quarante ans prend sa source dans du fictif construit par Diana à dix-sept ans).
A la fin, lors de la séquence à l'hôpital, Diana voit un corbeau se poser sur le rebord de la fenêtre ; ce corbeau m'a fait penser au personnage de soeur Béatrice, qui a toujours l'air d'avoir de grandes ailes noires. En voyant cet oiseau sur le rebord de la fenêtre, Diana, entre la vie et la mort, et sous l'emprise des médicaments, déforme le réel et part dans l'imaginaire, et cet oiseau devient l'une des nombreuses pièces qui viennent construire le puzzle qu'elle imagine et que l'auteure nous sert tout au long du récit.
Rongée par la culpabilité d'avoir demandé au tueur de l'épargner, d'avoir donc sacrifiée son amie, la vie parfaite projetée par Diana ne pourrait être qu'hantée par le souvenir de sa trahison, et la mort de son amie reviendrait se manifester sous diverses formes, divers motifs, comme ce fameux chat revenant, semblable à Timmy, mort depuis longtemps, ou encore la résurgence de l'éléphant Ella au zoo, autrefois empoisonné par des adolescents (et sa mort causée par des jeunes symbolise encore le sentiment de Diana d'être responsable de la mort de son amie) ; cet éléphant attaché c'est Maureen qui semble la considérer, « le regard empli de souffrance et d'espoir », et Diana lui parle « Comment aurais-je pu t'oublier ? ».
Toute la séquence du zoo, qui vient clore le récit de la Diana de quarante ans, avec les animaux et le lien à l'enfance, dessine, dans sa dimension archaïque, une régression métaphorique reconduisant le lecteur à la source, au moment fatidique dans les toilettes. La scène du loup apparaît comme une retraduction de ce qui s'est passé avec le tueur, une sorte de projection fantasmée où cette fois-ci Diana ferait le bon choix, celui qui la laverait de sa culpabilité et lui donnerait le pardon : sacrifier sa vie pour sauver celle de sa moitié, qui dans la projection qui est représentée sous la forme de sa fille Emma, la chair de sa chair, qui dans le réel est incarnée par Maureen. Ce moment de bravoure face à la menace du danger vient s'inscrire comme une forme de réparation psychique, une déformation du réel, qui permet à Diana de partir (ou renaître ?) en paix.
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