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EAN : 978B0049H7LYI
Gallimard, Nrf (30/11/-1)
4.38/5   4 notes
Résumé :
"Ce Nord maudit... Sous ce nom noir, Ies récits de Kazakov rassemblent des images éparses dans l'extrême septentrion d'Europe. Marins, pêcheurs, sur les chalutiers des mers glacées, étranges paysages où s'enfoncent fleuves et bras de mers, lacs... villes, ports, localités perdues... Ce livre est celui d'un envoûtement, l'envoûtement d'un Nord à la fois terrible, obsédant, et dont on ne peut se détacher. Où règne encore la hantise des dieux et de la légende ancienne,... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Ce Nord maudit est le troisième et dernier recueil de Iouri Kazakov traduit en français à ma connaissance. (Les deux autres étant La Petite Gare et La Belle Vie, beaucoup d'autres nouvelles de cet auteur n'ont jamais été traduites.) On y retrouve la plume sensible de l'auteur, sa description des espaces grandioses, mi-sauvages, mi-colonisés par l'homme du nord-ouest de la Russie, aux alentours de la Mer Blanche.

Personnellement, j'adore sa façon de dresser le portrait d'un travailleur ou d'un coin de plage perdu dans le grand nord. Il sait admirablement dépeindre au format " nouvelle ". J'ai été un tout petit peu moins enthousiasmée que dans les deux autres recueils même si je considère son travail d'écriture comme de haut vol.

Le livre se compose de sept nouvelles et d'un récit a priori véridique sur les impressions personnelles de l'auteur lors de ses virées dans le grand nord (Ce récit s'intitule Journal du Nord). J'ai particulièrement savouré la nouvelle La Laide, qui selon moi est la plus poignante du recueil. J'ai également beaucoup apprécié Les Souliers Roses ainsi que Nestor & Kir. Cette dernière, sans remettre en cause le communisme de l'époque, évoque sans complaisance le fait que les anciens koulaks (paysans aisés) avaient une haine affichée pour la révolution communiste ainsi que les raisons de cette haine.

Les autres nouvelles et le journal, tous sans jamais être déplaisants m'ont moins marquée. En somme, un bon livre, très agréable à lire, mais pas aussi succulent à mes papilles de lectrice que d'autres du même auteur. Bien entendu ce n'est que ce retors maudit d'avis qui me souffle dans la tête, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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J'ai bien aimé ce recueil de nouvelles de Iouri Kazakov. Il s'agit d'un auteur russe du milieu du 20e siècle, peu connu. Je ne peux pas dire que ces nouvelles sont particulièrement mémorables, mais il s'en dégage un petit quelque chose qui les rend précieuses. Je crois que ce sont des histoires qu'on apprécie surtout au moment de la lecture, elles laissent une impression, en tous cas. En effet, même si elles sont de facture réaliste, le ton et le style de l'auteur leur donne une sorte de poésie, presque de magie. C'est ce qui fait que, même s'il n'y est pas question de gestes héroïques, ô que non, on peut les apprécier. Kazakov a le don de s'attarder et de nous intéresser aux détails de la vie quotidienne, qui peuvent paraître insignifiants mais qui ont leur importance.

Dans « Ce Nord maudit », il raconte le quotidien, le destin de ces hommes qui vivent là-haut, dans le Nord. On est loin des grandes villes comme St-Petersbourg ou Moscou, loin aussi de ces riches campagnes de l'Ukraine. Avant de lire ce recueil, Mourmansk, Arkhangelsk, la Carélie, ce n'étaient que des noms dans un atlas. Les hommes et les femmes (même si on parle peu d'elles) y mènent une rude vie. Mais, en même temps, c'est là que se trouve l'aventure et, un peu, la liberté. Qui ne rêve pas de se rendre au bout du monde, de quitter la terre ferme pour s'exiler un moment sur un chalutier ? Explorer la mer Blanche ou la mer de Barents.

Là, on est entouré par la mer, bercé par ses vagues. Oui, il y a l'odeur du poisson, de l'huile de morue, du sel, mais ça fait partie du lot. Et on s'y habitue. Tellement que ce sont les escales dans les petits villages qui deviennent étranges. Là, dans les bars où l'on boit la vodka, on peut se défouler via une partie de football, rencontrer des étrangers de passage ou bien écouter des anecdotes, des histoires passées de génération en génération. On peut même voir les rennes passer, suivis par les Nénets, qui vivent en transhumance avec ces animaux. Certains s'y plaisent et acceptent de rester dans des kolkhozes (des coopératives) à cultiver un potager ou s'occuper d'un cheptel. Même cette vie de subsistance a ses mérites.

Tout ce Nord, même s'il peut être terrible, est fascinant. le narrateur de la dernière nouvelle de ce recueil, « Journal du Nord », l'explique bien à la fin. « Ainsi le soir, dans ma tiède maison de l'Oka, j'évoque le Nord. Et l'on dirait qu'entrent en moi Popov le mécanicien, Malyguine le maitre d'équipage, le commandant Joukov, Kotsov le pêcheur, et Pulchérie Ieremeïevna, et les Nénets, tous ceux qui figurent dans mes notes et ceux dont je n'ai rien dit, héros silencieux qui luttent toute leur vie contre une nature cruelle. »

Kazakov y croit à ce nord, il l'aime. Son dernier narrateur continue. « Je regrette de ne pas avoir parlé de bien des choses, d'en avoir beaucoup laissé passer, de très importantes, peut-être. Je veux retourner là-bas. Car le Nord commence seulement à vivre, son ère n'en est seulement qu'à ses débuts. Cette ère, nous la verrons, elle éclatera et fleurira de toute la puissance accessible à une époque comme la nôtre. » Décidément, je devrai lire les autres romans de cet auteur russe pas comme les autres.
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Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Je me rappelle Moscou, nos entretiens, nos discussions sur la poésie, les tendances de l'art, sur un tel qu'on livre à la vindicte publique, tel autre qu'on refuse de publier, tout cela avec accompagnement de cognac et de célébrités à chaque pas, l'impression que de votre accord ou désaccord avec tel ou tel autre, dépend la vie spirituelle du pays, du peuple comme on aime à dire chez nous. Mais ici…
Ici, allongés non loin de moi, il y a des pêcheurs et toute la conversation tourne autour de ceci : la marée descend-elle, les pluies ont-elles ou non commencé, le vent qui souffle est-il le " vent de la côte " ou celui " de la Chélona ", le filet est-il au fond ou non. Le temps que nous laisse la pêche, on le passe à faire la soupe, réparer les filets, recoudre les seines, à vaquer aux soins du ménage et à dormir en ronflant tout son soûl.
Ce qui compte pour moi, pour eux ne compte guère. Sur les quelque un million cinq cent mille titres que nous avons publiés, ils n'en ont pas lu un seul. D'où il semble résulter que les problèmes de l'actualité la plus brûlante n'existent que pour moi seul et que ces deux pêcheurs se trouvent encore au stade primitif où l'on gagnait-son-pain-à-la-sueur-de-son-front, totalement étrangers à la moindre culture.
Mais peut-être leur vie est-elle précisément la plus saine et la plus utile, socialement parlant ? Ils se lèvent avant l'aube, vont poser leurs filets, reviennent trempés et transis, avalent leur thé et vont se coucher. Avant que la nuit tombe, ils iront à plusieurs reprises inspecter leurs installations, s'occuperont de leur ménage, le soir ils remonteront leurs filets, puis ils iront dormir avec le sentiment d'avoir bien rempli leur journée, une journée dont le fruit est indiscutable, matériel : du saumon. Qu'ont-ils besoin de livres ? Qu'ont-ils besoin de culture sur ce rivage battu par la mer ? Il y a eux et la mer, rien de plus, les autres sont restés là-bas, derrière eux, ils ne les intéressent pas, ils n'en ont que faire.

NESTOR ET KIR, II.
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— Dis-moi un peu, me demanda mon ami, est-ce que tu plais aux femmes ?
— Non, répondis-je. Je ne suis pas beau. Je m'ennuie toujours. Et puis, je ne sais pas…
— Moi, il n'y a que les moches, dit mon ami. Pour ça, je suis gâté. Je ne peux pas en voir une sans que ça me travaille, elles me font pitié. Et elles le sentent, les garces. Des jolies, je ne sais pas, mais je n'en ai jamais eu. C'est quand même curieux.
— Qu'elles aillent se faire voir, dis-je. Les jolies, ça te fait tourner en bourrique, tandis que comme ça, tu vois, on a l'esprit en repos.
— Mais c'est peut-être de ça que j'ai besoin, de tourner en bourrique ? Peut-être que c'est précisément de ça que j'ai envie, d'un truc à en crever, tu comprends ? D'y laisser ma nom de cinq cent mille diables de peau ! Hein ?
— Allons ne t'en fais pas comme ça, dis-je, calme-toi, mon vieux. Toi, au moins, tu en as des moches, moi je n'en ai pas du tout. Et tu vois, ça ne m'empêche pas d'être là à siroter mon cognac et écouter la musique.

CE NORD MAUDIT.
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Une journée, encore, s'est écoulée, la tempête commence à céder et nous nous disposons à partir pour la pêcherie. La veille au soir, nous avons dit, comme en passant, que ce serait une riche idée d'emporter un peu de vodka et, une fois la soupe de poisson frais cuite, d'arroser notre arrivée dans notre nouveau gîte.
Ce matin, je n'y pense plus. Mais pas Nestor qui, cependant, ne souffle mot, espérant que la mémoire me reviendra. L'idée de la vodka le met sans nul doute à la torture. Je fais mes bagages, lui aussi, il s'agite, quelqu'un dans la rue nous crie que le moteur tourne, nous nous dépêchons, nous sortons : c'est vrai, le moteur tourne, on l'entend même avancer. Nous nous faufilons entre les maisons jusqu'au bord de l'eau, mais ce que nous apercevons, c'est le canot postal qui emporte les boîtes plates et rondes du film qu'on a passé hier au club. Nous repartons, mais cette fois à pas mesurés, vers la halle aux poissons près de laquelle accostent chaloupes et bateaux à moteur.
Alors — nous avons déjà installé nos affaires dans la chaloupe — Nestor qui vient de repenser à la vodka, n'y tenant plus, me susurre sous le nez quelques paroles rapides destinées à me rafraîchir la mémoire. Je ne comprends pas. Alors, il les répète avec une irritation secrète, espérant un refus et le craignant à la fois.
Je lui donne de l'argent, et le vieux bonhomme, par peur de manquer le départ, détale à toutes jambes vers le magasin ; son visage rayonne de joie. Et je m'émerveille de nouveau de son avarice — car il a de l'argent, et beaucoup. Qu'elles sont humiliantes cette joie et cette course — tout cela pour boire à mon compte ! Mais au fait, gratter sur le moindre kopek, n'est-ce pas le sens de sa vie ?

NESTOR ET KIR, II.
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Une vedette est enfin venue chercher les marins. Ils l'ont accueillie en tirant en l'air, comme de vrais robinsons. Nestor qui était occupé à enfiler une cordelette dans une ligne dormante, se soulève, regarde par la fenêtre et se remet à l'ouvrage. Pendant ce temps-là, les marins massés sur le rivage font des signaux à bras, se concertent avec véhémence, puis finalement l'un d'eux vient nous trouver en courant.
« Bonjour, dit-il en entrant et en regardant les deux hommes l'un après l'autre. — Il est joyeux, surexcité. — Vous nous prêtez votre barque pour rejoindre la vedette ?
— Où avez-vous semé la vôtre ? demande Nestor d'un air sombre, sans le regarder.
— Justement… Ils viennent de nous faire savoir par signaux que leur chaloupe est hors d'usage.
Nestor se renfrogne.
— Alors, vous nous la prêtez ? répète le marin en perdant de son assurance.
— Vous allez me la démolir, dit Nestor.
— Pensez-vous ! — Le marin s'anime, enlève son béret. — Les nôtres, on ne les démolit pas !
— Les vôtres ? Où qu'elles sont ? Je ne vous en vois point.
— On fera attention… »
Nestor sort de mauvaise grâce avec le marin, revient furieux, lance une bordée de jurons bien sentis et dit à Kir :
« Va-t-en avec eux, tu ramèneras la barque. Et fais gaffe de ne point te mettre aux rames, à l'aller, ils n'ont qu'à ramer eux-mêmes ! lui crie-t-il dans le dos. »
Kir est enchanté : il est absolument incapable de rester sans rien faire.
« Les imbéciles ! dit Nestor avec humeur en observant par la fenêtre la barque qu'on met à l'eau. Pour avoir esquinté leur chaloupe, ils mériteraient… — Et il enchaîne sur une séquelle d'obscénités, yeux hagards, dents découvertes ; puis, levant le regard vers moi : — La voilà, ta société ! Le voilà, ton communisme… »
Ensuite il se rassoit, allume une cigarette, fait mine de se remettre à sa ligne de fond, puis la lâche aussitôt, il a envie de parler.
« Tu avais envie de savoir ce que je suis, je vais te le dire. Tu penses que je suis un koulak, un point c'est tout. Koulak — voire ! Le père et moi, on nous a ruinés, on nous a tout pris, je veux bien… Je veux bien ! Mais d'un autre côté, regarde un peu ce que ça donne : l'argent qu'on avait, et notre bien, tu crois qu'ils nous sont tombés du ciel, des fois ? Ou qu'on nous en a fait cadeau ? Ou que ce sont tes meurt-de-faim qui nous l'ont offert sur un plateau ? Minute, laisse-moi parler. Tais-toi, je te dis ! […] Attends-voir, nourrisson, garde tes vagissements pour toi, y en a des plus malins que vous, par ici. Oui ! Mettons qu'au printemps, après la chasse à la fourrure, on ait envie de mettre le cap sur la Norvège. On évalue ce qu'on a ramené comme butin, à nous tous, autrement dit, ce qu'il nous faut comme bateau. On frête une goélette et à nous tous, on forme l'équipage, c'est notre marchandise à nous qu'on transporte. Vu ? On arrive en Norvège, à Vardø ou Trüjholm, on vend toute sa cargaison, après ça on s'entend avec les Norvégiens pour ramener du fret. C'est pour que le bâtiment ne revienne point à vide. Bon, on prend leur marchandise, on rapplique à Arkhangelsk, et on se fait payer le tout. Vu ? Après… Après, chacun reçoit sa part.
— Des parts égales ? demandé-je.
— Attends un peu ! Je te vois venir. J'en ai-t-y vu, des citoyens conscients, dans ton genre ! Égales ! L'égalité, sur terre, on n'a jamais vu ça. Le capitaine a sa part, c'est pas pour rien qu'il est capitaine. Pareil pour le propriétaire du bateau. Pareil que chacun n'a pas rapporté le même butin. Moi, j'ai attrapé cent phoques, et toi cinquante. Qu'est-ce qui peut être égal dans tout ça ? Ce n'est pas là que gît le lièvre.
Maintenant… Maintenant, je reçois mon argent. Mettons… par là, mettons… trois cents roubles. Je me dis aussitôt : le père m'avait dit d'acheter des choses. Je m'en vais à la halle, j'y prends tout ce qu'il faut : marchandise, farine, cordages, engins, des tas de choses pour la maison. La goélette est ancrée sur la Dvina, elle nous attend, alors nous, on achète tout le saint-frusquin, on l'amène à bord, et il nous reste encore de l'argent, mettons… dans les cent roubles. On les met dans sa poche. Dans sa malle, tout au fond, on tremble, on se demande quel usage on en fera pour nos affaires, ce qui nous fait le plus besoin. Voilà. Après, on fait le tour de la famille, on va voir les amis, prendre un café à Solombala, on apprend des tas de nouvelles, le pris des choses ici et là, la date de la foire et les cours qui vont s'y pratiquer.
T'as compris où je veux en venir ? Un autre à ma place, un pêcheur comme moi, un chasseur, mon voisin — tiens, par exemple, peut-être même qu'il a touché plus d'argent que moi. Il l'a touché, il file au cabaret, il va voir les filles, vos putains, vos salopes, hein ? Moi, je pense à ma maison, à mon travail, lui, il fait sauter les bouchons, il se remplit les yeux de vinasse. Il fait la bringue trois jours de suite et remonte à bord le quatrième. Il me salue jusqu'à terre et me quémande trente kopeks pour soigner son mal aux cheveux. Qu'est-ce que tu dis de ça ?
Qu'est-ce que tu dis de ça ? gueule-t-il dans une flambée de haine. Un tire-au-flanc, un ivrogne, des gars comme ça, on devrait les foutre dans un sac et hop ! à la flotte ! pour qu'ils n'aient plus le culot de puer sur terre. Et après tu viendras me dire qu'il est un meurt-de-faim et moi un koulak ? Hein ? Il aurait tous les droits, et moi je serais à votre botte ? C'est ça, votre justice ? J'ai tout gagné à la sueur de mon front ; tu crois que j'avais pas le droit de me soûler comme les autres ou que les filles à la peau douce ne me faisaient pas envie ? Mais je passais devant tout ça en détournant la tête, je pensais à mes affaires, j'économisais mes sous. Et je me suis pourvu de tout, on ne manquait de rien, tandis que cette vermine a tout reçu gratis, on nous l'a pris pour le leur donner. Et tu crois qu'ils en ont profité ? Ils ont tout dissipé en fumée : mes vaches, les unes ont crevé toutes seules, les autres, ils les ont envoyées à l'abattoir ; notre maison, on nous l'a prise, bon, je veux bien ! Et qu'est-ce qu'ils en ont fait, les crétins ? Du bois à brûler. Ces fainéants, ça ne trouve pas le temps d'aller en forêt ? Alors, ça va jusqu'à ma maison, ça démolit la rampe, puis la soupente, puis toute la baraque !
Nous avions un voisin, Khnyk qu'il s'appelait, poursuit Nestor après s'être un peu calmé. Un nom, comme ça, qu'on lui avait donné, un sobriquet. Ah ! le fumier ! le fainéant ! Pendant que le père et moi, on allait chasser la fourrure, lui, il restait chez lui à jouer aux cartes. Pendant que je cassais des cailloux dans la montagne, il s'enfilait de la vodka en compagnie de notre Marfoutka, une putain, il vendait son dernier harnais. Nous, on accumulait le butin, lui, il ne pensait qu'à rire. Quand on allait faucher, il partait à la chasse. Il partait à la chasse, il y usait ses dernières bottes et ne rapportait même pas une gélinotte. Nous, on avait du foin, lui, il nourrissait sa vache avec de la paille d'orge. La pauvre bête, quand on la regardait, on en avait le cœur serré, mais lui : " T'en fais pas, la petite mère, bouffe, il ne te faut pas grand'chose pour être belle ! " Eh bien après, quand on a organisé le kolkhoze, c'est ce Khnyk qui s'en est pris le plus furieusement aux riches. Comment donc ! Un meurt-de-faim, vas-y ! Mords-le ! Et qu'est-ce que tu crois qu'on en a fait ? L'économe du kolkhoze ! Dès qu'on lui a donné cet emploi, il s'est mis à boire de plus belle, il a tout bu, il est parti à Arkhangelsk où il a sûrement pris du grade.
Et le kolkhoze, tiens regarde toi-même, vous êtes des tas à venir ici, et vous ne voyez même pas que l'égalité, il n'y en a pas. L'un a une vraie exploitation, l'autre une ruine. Pourquoi ? Parce que l'un est un travailleur et l'autre ne pense qu'à se noircir. Là-dessus, des tas d'autorités de district ou de région nous envoient des ordres, ceci, cela, à perpète, va faucher pas ici, va semer par là. Le saumon arrive, on devrait être aux pêcheries, mais voilà le délégué qui se pointe et qui nous envoie faire les foins. Tu vois, à la région, tout ça est planifié, le jour qu'il faut commencer et le jour qu'il faut finir. Comment ! Comment oses-tu me dire ce que j'ai à faire, à moi, un patron ? Tu crois que je ne le sais pas moi-même ? Ce tas de savants, de missions, de professeurs, ça a appris toute la Science, ça vous tombe dessus, les mains dans les poches, les lunettes sur le front comme toi : va me pêcher ça et ça. Et faut pas t'y prendre comme ça, et faut pas aller par là, et il te tâte le saumon, et il va lui regarder dans le cul comment qu'il est fait. À quoi ça sert d'aller y voir ? Ça fait cinq cents ans qu'on le regarde et qu'on sait tout ce qu'on peut savoir dessus. Comment il se pêche, on le sait, où il faut installer les pêcheries, on le sait aussi. »

NESTOR ET KIR, II.
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Ce que j'ai pu traîner à chacun des nombreux étages de la Direction des chalutiers ! Me propulser du bureau en bureau ! Et entouré de quelles gens ! Des galonnés, des en casquette ou en simple béret, des élégants bagués, des barbus, des tondus, des tignasses coupées en frange, des vestes matelassées et des chemisettes bariolées comme ça se fait à l'étranger. J'en ai entendu des discours sur les visas, les primes, polaires ou équatoriales, quelle animation dans la file qui s'allongeait devant le service du personnel, chefs et capitaines de tout poil ! Le Canada, Terre-Neuve, l'Atlantique Nord, le Groenland, l'Afrique, l'équateur, les côtes de Norvège, voilà d'où venaient navigateurs, chefs mécaniciens, barbus, élégants, pantalonnés à la dernière mode, et où ils partiraient demain.
Et me voilà inscrit au rôle d'un équipage, je sais sur quel bateau je vais embarquer, le RT-106, je sais quand je suis convoqué à bord et ce que je dois emporter, j'erre dans Mourmansk, clair et quasi désert, mais je n'ai de cesse que je ne sois allé au port.

SUR LE BANC DE MOURMANSK.
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