Eldwittnet
Traduction :
Hege Roel-Rousson
ISBN : 9782330039370
J'ai déjà dit sur le fil que vous trouverez dans la rubrique "Les Petites Fiches", tout le mal que je pensais de "
L'Hypnotiseur", du même (ou plutôt des mêmes car ils sont deux en fait) auteur(s). Je vous ai également confié sur le même fil qu'on m'avait offert deux autres volumes de
Lars Kepler et que j'espérais tout de même - l'optimisme, c'est dans ma nature, que voulez-vous . Eh ! bien, il semblerait que j'ai eu raison d'espérer car cet "
Incurables", le troisième opus de l'auteur en fait, possède tout ce qui manquait à "
L'Hypnotiseur".
De son premier ouvrage, Kepler a conservé la complexité de l'intrigue et l'inextricable imbroglio des pistes offertes à la curiosité du lecteur. Son héros-fétiche, l'inspecteur Joona Linna, fait aussi partie de la distribution. Seulement, ici, comme il est en principe placé sous examen pour avoir prévenu (probablement dans "
Le Pacte", deuxième ouvrage de la série) un groupe de jeunes gauchos complètement allumés mais guère malins (c'est lui qui le dit, hein, pas moi ! ) que la police allait débouler d'un moment à l'autre, ce n'est qu'en qualité d'observateur qu'il est envoyé par sa hiérarchie au Centre pour Adolescents atteints de troubles du comportement de Björneborgsgatan, non loin de la ville de Sundswall. Ce qui revient à dire qu'il peut regarder, noter des détails qui auraient pu échapper à l'équipe locale, menée par l'inspecteur Gunnarson mais, en aucun cas, prendre d'initiatives.
Demander à Joona, qui est en fait Finlandais et qui a gardé dans son parler le doux accent de ses origines, de ne pas prendre d'initiatives, c'est un peu, voyez-vous, comme demander à votre humble servante de faire bref ou encore de dissimuler telle ou telle de ses opinions (politiques, entre autres) : en d'autres termes, formellement impossible . Plus on demande à Joona de ne rien faire, plus il se remue. Dire de lui que c'est un bon policier, c'est peu : l'adjectif "excellent" conviendrait mieux. Il a le Don, le flair, l'art de fouiller, certes, mais aussi celui de suivre parfois une intuition qui peut se révéler fulgurante. Nul ne l'ignore : les hiérarchies du monde n'aiment pas ça du tout. Mais Joona, lui, il se fout de ce qu'aime ou pas sa hiérarchie.
Le voilà donc qui débarque, avec ses cheveux blonds en bataille et son air rêveur, au Centre pour adolescents en crise où il tombe droit dans les bras d'un Gunnarson hostile et goguenard (le style flic-beauf, vous voyez ) et sur une scène de crime qui dégouline littéralement de sang. Appelé en urgence par Daniel Grim, le responsable des lieux qui, par une malheureuse coïncidence, n'était pas présent lors des faits, la police locale a découvert, dans la chambre d'isolement, assise sur son lit, les mains dissimulant son visage, l'une des adolescentes en traitement nommée Miranda. Elle a reçu plusieurs coups sur le crâne et ne s'est visiblement pas défendue. Mieux : son visage affiche un petit sourire décontracté. Tout cela au milieu d'un sang rouge et noir (comme chantait dans le temps
Jeanne Mas autre mal-pensante bien connue) dont les éclaboussures ornent jusqu'au plafond.
A l'extérieur du centre, dans la grange ou une cabane à outils, je ne sais plus très bien, le cadavre, traité de la même manière, d'Elisabeth Grim, infirmière en chef et épouse de Daniel, laquelle assurait la garde cette nuit-là.
Enfin, en parallèle, Joona constate qu'une autre pensionnaire, Vicky Bennet, s'est fait la belle. Sous son oreiller, on retrouve un marteau (avec des cheveux et du sang) et, sur le même oreiller sans compter les draps, du sang, du sang, du sang ...
Pourtant, on découvrira par la suite que le meurtrier s'est servi d'une deuxième arme : une pierre, tout simplement ...
Bref, pour en revenir à Vicky, tout laisse à penser que, sous l'effet ou non de médicaments, elle a assassiné la pauvre Miranda avant ou après avoir tué Elisabeth - sur ce plan, Gunnarson est pour le moment assez perplexe. Reste à la retrouver. Notez qu'on ne tarde pas à avoir de ses nouvelles : une femme-pasteur et mère célibataire, qui s'était arrêtée sur la route pour satisfaire un besoin naturel et avait laissé, dans le siège-auto, son petit garçon de quatre ans,
Dante, a vu une silhouette correspondant à la jeune fille recherchée s'introduire dans sa voiture et filer sans autre forme de procès, sans s'être même probablement rendue compte qu'il y avait un petit à bord ...
Grand émoi chez tout le monde : la police, bien sûr, mais aussi la population. Joona Lunna, lui, se promène, se fait envoyer balader par l'un et par l'autre, mais s'entête à humer le vent qui passe, parfois en flânant, parfois en soufflant ...
Au contraire de "
L'Hypnotiseur", si les intrigues s'entremêlent à plaisir (qui a tué Miranda et Elisabeth, bien sûr mais, plus encore, qui est réellement Vicki Bennet, sans compter quelques autres, auxiliaires, qui viennent se greffer sur le tronc initial), elles convergent toutes vers le même but : un but qui annonce, entre parenthèses, le volume suivant "
Le Marchand de Sable", sur lequel nous reviendrons bientôt, et qui explique la solitude apparente de Joona. Les échanges de celui-ci avec son supérieur hiérarchique immédiat, qui tente plus ou moins de le protéger, sont savoureux, la bien-pensance est mise à mal plus d'une fois et le personnage de l'inspecteur commence à prendre vraiment la carrure que son créateur souhaitait lui donner dès le départ.
Comme souvent avec les polars scandinaves, on trouve des descriptions qui paraîtront oiseuses à certains (le roman fait six-cents pages en format poche) mais là,
Lars Kepler ferre très tôt son lecteur et prend garde de tomber dans les clichés habituels, ce qui fait qu'on ne décroche pas avant la fin. Quelques maladresses apparaissent bien encore çà et là mais c'est en forgeant qu'on devient forgeron et Kepler est en train de devenir maître en son art : on ne peut qu'admirer la façon dont il insère le personnage de Flora, la "medium", dans le drame. D'aucuns jugeront peut-être que c'est un peu tiré par les cheveux et pourtant, en y réfléchissant bien ...
Nous vous recommandons donc chaudement "
Incurables", non seulement pour sa jaquette (très belle et troublante à souhait, comme d'habitude chez Babel Noir) et surtout de le lire avant "
Le Marchand de Sable". A noter que les derniers chapitres - les chapitres de Kepler sont souvent courts - sont repris au tout début du "Marchand de Sable", sans doute pour permettre au lecteur de reprendre pied dans l'univers de Joona et de son (ses) créateur (s). En attendant, bonne lecture ! ;o)