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EAN : 9782072574795
304 pages
Gallimard (13/05/2015)
4.01/5   4532 notes
Résumé :
marylis de kerangal
réparer les vivants

"Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d'autres provinces, ils filaient vers d'autres corps". "Réparer les vivants" est le roman d'une transplantation cardiaque. Telle une chanson de gestes, il tisse les présences et les espaces, les voix et les actes qui vont se relayer en vingt-quatre heures exactement. Roman de tension et de patience, d'acc... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (860) Voir plus Ajouter une critique
4,01

sur 4532 notes
J'ose à peine l'écrire : Coup de coeur inattendu de ce début d'année 2014 !

Oui, gros coup de coeur pour ce roman, véritable plaidoyer pour la transplantation cardiaque ! Ce don gratuit qui n'en est pas un finalement puisqu'il intervient en cas de mort cérébrale et permet d'offrir dans un anonymat total et définitif un supplément de vie à quelqu'un, condamné à plus ou moins brève échéance par son coeur défaillant.

Cette gratuité humaine qui redonne confiance en la vie, forge un nouveau départ.

Hymne à la vie donc, ce roman est à la fois passionnant et bouleversant, mais entendons-nous bien, aucun pathos larmoyant ici. En 24 heures chrono, l'histoire s'articule autour de Simon Limbres ( clin d'oeil aux limbes ? ), jeune homme de 17 ans, fou de surf, qui suite à un accident de la route, est déclaré en état de mort cérébrale, situation idéale pour envisager de récupérer ses organes vitaux ( coeur, poumons, foie et reins ) en parfait état, et de Claire Mejean, quinquagénaire dont le coeur à bout de souffle l'a contrainte à réorganiser sa vie, au point de vivre au ralenti à proximité de l'hôpital de la Pitié-Salpétrière, dans l'attente de l'organe compatible - une vie qui s'amenuise inexorablement.
Autour d'eux gravitent évidemment les familles, les médecins, les chirurgiens, les infirmières, mais aussi les chauffeurs de taxi agréés que Mailys de Kerangal incarnent à travers des personnages très réalistes et touchants dans leurs particularités, tous embarqués dans le tourbillon de la transplantation, véritable course contre la montre, ballet à la chorégraphie millimétrée où chaque maillon est indispensable au bon déroulement.

Je ne suis pas fan d'ordinaire de récits foisonnant de détails médicaux, et sans l'avis de MarianneL, que je remercie vraiment pour la découverte, je n'aurais sans doute pas choisi cette lecture. J'aurais alors raté un livre marquant qui me laissera assurément une trace indélébile, tant il me conforte dans mon acceptation personnelle du don d'organes.
J'ai tout particulièrement apprécié l'alternance de narration lente chargée d'émotions et les pages de description enlevée du protocole médical, très instructives sans être rébarbatives, le tout servi par une écriture dense, serrée, souvent concentrée autour de mots, de verbes percutants. Je me suis laissée embarquer dans cette aventure, au point de supporter sans difficulté un tourbillon de phrases longues qui peuvent s'étirer sur plusieurs pages, comme pour mieux tenir le lecteur en haleine. Et de fait, je n'ai pas beaucoup lâché le livre avant d'en avoir achevé la lecture, signe indiscutable de son intérêt.

24 heures : le temps du roman - de la fin d'une vie aux premiers battements du coeur transplanté. Une prouesse médicale et littéraire !
Un beau roman-document pour alimenter sa réflexion en vue d'une prise de position concernant ses propres organes au cas où...
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Ce qui m'a frappé en lisant le nouveau livre de Maylis de Kérangal, c'est l'écriture. Dès les premières lignes on devine que l'on va passer un moment fort. Car on delà du sujet sensible et profondément intime, la mort qui frappe aveuglement et plonge une famille dans l'impensable puis, la décision dans l'horreur de l'instant, de faire un don d'organes pour redonner un supplément de vie à de parfaits inconnus, c'est dans le choix des mots, l'envolée des phrases, le style que le roman de Kérangal bouscule tout sur son passage. Au plus près de chacun des personnages, elle est d'une justesse remarquable. Pas un mot de trop qui pourrait faire chavirer le roman dans le pathos. C'est aussi un magnifique hommage à ces anonymes héros du monde hospitalier, luttant contre la montre oubliant leurs propres maux pour accompagner les familles dans leurs souffrances ou leurs espoirs.
« Réparer les vivants » est un livre passionnant, émouvant, il nous interpelle sur nos propres convictions et nos questionnements que l‘on botte volontiers en touche sur des sujets aussi sensibles.
Maylis de Kérangal nous donne un bouquin bouleversant qui va droit au … coeur.
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Mon coeur bat trop vite : je viens de refermer cette ode à la vie qu'est ce chef-d'oeuvre de Maylis de Kerangal.
Mon coeur s'essouffle, ralentit, se déchire : je hurle avec les parents de ce jeune homme de 19 ans, mort dans un accident de voiture.
Mon coeur se dilate, explose : je salue la course à la vie, à travers la greffe des organes de ce jeune.

Je n'en peux plus de lire cette souffrance des parents devant le corps de leur enfant. Je m'en imprègne et m'écroule.
Je tremble d'exaltation lorsque la demande de greffes d'organes leur est proposée, afin de sauver d'autres vies. Un processus qui demande rapidité, un processus qui pourtant est rempli de respect. Respect de la douleur. Humanité profonde.

J'accompagne chaque personnage : Simon, bien entendu, le jeune surfeur qui, quelques minutes avant l'accident fatal, s'abandonnait à sa passion dans la mer froide, à l'heure où le gris foncé n'a pas encore cédé le pas à l'aube. Marianne, sa maman, bouleversante. Sean, son papa, décomposé et plein de rage. Lou, sa petite soeur de 7 ans, qu'il a fallu « caser » chez la voisine. Juliette, son amour.
Et puis l'équipe médicale : Revol, le médecin en réanimation de qui tout est parti. Thomas, l'infirmier responsable du processus de greffe, du début à la fin. La jeune infirmière tout encore imprégnée de sa folle nuit d'amour. Et tous les autres, aux quatre coins de la France, unis dans une même urgence.
Tout au bout de la chaîne, et à son origine, Claire, la receveuse du coeur de Simon, celle pour qui le processus s'est mis en branle.

Que dire de plus sur ce roman ? Et d'ailleurs, comment appeler cela un roman, alors qu'il est rempli d'humanité et de vérité, dans toute leur crudité émotionnelle et physique ?
Un souffle de vie traverse cette histoire de part en part, souffle ponctué jusque dans son style, ponctuation chaotique, images bouleversantes et cosmiques, où le temps et l'espace communient avec la solitude de l'être humain.
Solitude, oui. Solitude de la souffrance, de la mort. Mais Vie, explosion de vie, malgré tout, envers et contre tout.

Mon coeur éclate. « Réparer les vivants » m'a, à tout jamais, enferré dans la vie. Merci.
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Au coeur de « Réparer les vivants » il y a un coeur à prendre. Le coeur de Simon Limbres.

Limbres… (selon Maylis de Kerangal, les noms de ses personnages ne sont jamais un hasard) presque comme les limbes où l'on pourrait imaginer Simon durant les vingt-quatre heures qui vont suivre son accident fatal.

Vingt-quatre heures intenses et poignantes d'une course contre la montre, qui honore la vie en tutoyant la mort. Vingt-quatre heures suffocantes, construites comme la trajectoire d'une vague qui s'étire et s'amplifie pour monter en puissance vers l'objectif ultime : le transfert d'un coeur, d'un corps vers un autre corps.

Comme autant de respirations dans ce flux inexorable, comme autant d'évocations de l'Amour dans ses différentes expressions, l'intervention des principaux personnages et de leurs émotions propres apporte une vibration profondément humaine à l'épopée scientifique. Là se trouve toute la virtuosité de l'auteure dont l'écriture fiévreuse surfe remarquablement sur ces deux registres, décrivant avec une précision captivante la performance médicale et ses impératifs tangibles, insufflant aussi (et surtout) une dimension spirituelle bouleversante à cette aventure d'exception.

Magnifique et… palpitant, ce récit fulgurant cumule à ce jour pas moins de sept récompenses hexagonales. De quoi se réconcilier avec les prix littéraires finalement.

Ҩ

Mille mercis à l'équipe de Babelio ainsi qu'à Anne-Gaëlle Fontaine des éditions Gallimard qui m'ont sélectionnée pour cette lecture. J'en attendais beaucoup, elle m'a offert bien plus encore.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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Ça y est. J'ai retrouvé Maylis de Kerangal dans une aventure à la fois peu ordinaire et pourtant de pratique courante aujourd'hui, en médecine, le don d'organes.
Tout d'abord et pour parler d'écriture, je dirai que c'est du Kerangal, comme je pourrais en dire autant de Chalandon, c'est du Chalandon. Mais cela n'a rien de péjoratif, bien au contraire, quand je découvre une écriture qui atteint à mon avis, sa pleine maturité et que dès les premières pages se conforte mon jugement. Je découvre une écriture à large spectre qui touche tous les publics, dont les jeunes, quand on sait leur générosité pour un sujet où en général, ils ne tergiversent guère, celui du partage et de la question du don. La jeunesse est fougueuse et ne n'enferre pas dans l'idée de la durée au-delà d'un prolongement autre que le futur proche.
Ici, la qualité de l'écrit est indéniable tout autant qu'il est indéfectible. Je m'explique. Dans l'univers qui nous attache, le mot juste parmi toutes les possibilités offertes à une importance pour ainsi dire capitale. Pour la précision mais pas seulement.
Maylis de Kerangal va bien plus loin que l'imagée de l'écriture. Elle illustre par le choix du texte et dans les mêmes proportions autant le milieu ambiant que le ressenti profond des personnages et, comme si cette prouesse déjà complexe n'était pas le summum de sa performance, elle réussit à l'adapter à des cadres bien particuliers, des contextes, des lieux, des personnes et à toute la résonnance environnementale qui compose un ensemble qui ordonne certes, la dichotomie, mais surtout l'harmonisation du tout. Ceci sur un sujet tout de même épineux et dont on peut se féliciter qu'il soit abordé de cette manière ; tandis que je me posais la question peu avant d'amorcer ma lecture, de savoir s'il serait traité dans toute sa complexité. Qu'est à dire encore !
Que pour un tel sujet, je peux bien concéder de dire clairement - si c'est possible, ma position.
J'ai, moi-même, personnellement et nous avons, dans notre petite famille, notre carte de donneur. Mais, cela étant dit, qu'ai-je dit ? Pas grand-chose. Si toutefois pour moi c'est réglé, (si tant est qu'il me reste quelque chose à donner vu mes nombreux excès... Je rigole là...) Je suis donneur ! C'est inscrit sur ma carte et de toute façon, je ne serais plus là pour contester cet assentiment. Mais ! Pour l'enfant ? C'est un peu plus compliqué. Surtout s'il n'y a pas de consentement établi au préalable. Et quand bien même ! Disons le vrai ! C'est bien le dernier moment que celui-là, de la concertation où j'aurais envie de parler à quiconque et encore moins d'accorder un temps et de penser à un acte d'humanité, tandis que s'échappe précisément une partie de la mienne. Et pourtant ! C'est bien dans ce prolongement de l'acte que les donateurs, parfois, se réactivent dans un mouvement qui perpétue la présence du fils, du disparu, à travers la transmission d'organes qui signifie la vie, quelque part, tandis qu'au moment du retour vers l'habitat, et quittant la sphère grouillante de l'institution hospitalière, une immense chape de plomb et de solitude s'abat sur la famille et les proches du défunt.
Alors, ce que j'apprécie dans ce livre, c'est la justesse du ton et le réalisme qui y est entièrement représenté. Car, même si on y parle de mort, curieusement, on y parle tout autant et surtout de la vie et c'est une autre performance à mon avis, que de nous faire entrer jusque dans la salle d'opération, pour la technique et dans les coeurs, celui de Simon Limbres, en état de mort cérébrale, mais pas seulement, celui aussi de tous les protagonistes, parents, soeur, amis, et de tous les praticiens qui ne sont que des hommes, eux aussi, avec parfois un grand coeur et un sens de la responsabilité qui n'entrave en rien la parole donnée.
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critiques presse (17)
LeMonde
14 mai 2021
En vingt-quatre heures, le cœur de Simon Limbres devient celui de Claire Méjan : le roman dit le temps de cette transplantation. L’écrivaine Lydia Flem l’a lu et l’a trouvé magnifique.
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LaLibreBelgique
26 mai 2015
Et le lecteur est emporté par ses longues phrases, précises, surprenantes et torrentueuses. Si magnifiques avec les mots justes et les images qui surgissent de son roman comme des lucioles dans la nuit noire.
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LaPresse
12 décembre 2014
Dans ces 24 heures effrénées, l'organe devient le personnage principal d'un roman tantôt émouvant, tantôt plutôt instructif. L'auteure y décrit d'ailleurs méticuleusement les interventions médicales. S'il bouleverse, et révolte par moments, Réparer les vivants est surtout un livre teinté d'espoir.
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LeFigaro
05 août 2014
Ce roman haletant est beau comme une tragédie antique. C'est aussi un hymne à la création et une méditation sur le lien entre le corps et la conscience, la vie et la mort.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Chatelaine
02 juillet 2014
Ces pages haletantes montrent la noblesse et le grand art du personnel médical et nous habitent longtemps.
Lire la critique sur le site : Chatelaine
LActualite
01 juillet 2014
Un thriller de 24 heures. Une famille bouleversée par la mort clinique d’un fils adoré. Le dernier roman de l’écrivaine française Maylis de Kerangal, Réparer les vivants, franchit une frontière. Et laisse le lecteur en état d’arythmie…
Lire la critique sur le site : LActualite
LaPresse
24 mars 2014
De son écriture concentrique aux phrases magnifiquement longues dans lesquelles ont ne se perd jamais, l'auteure nous dévoile des pans de chaque personne qui entre en scène.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Culturebox
06 février 2014
Un roman écrit dans une langue et un rythme palpitants.
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Liberation
28 janvier 2014
L’écrivain pose un regard panoramique sur son roman, boucle de force humaine qui évite les écueils de la description technique comme le pathos du deuil.
Lire la critique sur le site : Liberation
LePoint
24 janvier 2014
Et c'est aussi ça, Réparer les vivants : un roman de la médecine. Ses prouesses, ses limites, ses miracles, ses exigences, ses soldats.
Lire la critique sur le site : LePoint
Bibliobs
23 janvier 2014
Dans "Réparer les vivants", elle transforme une greffe cardiaque en une magnifique épopée littéraire.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LeFigaro
16 janvier 2014
L'écriture de Maylis de Kerangal est rapide, ultraprécise, concentrée sur l'exactitude des faits, des sentiments, comme si elle voulait ne pas laisser l'émotion déborder et brouiller son jugement.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LaLibreBelgique
15 janvier 2014
"Réparer les vivants", de Maylis de Kerangal, est "le" roman de cette rentrée littéraire, magnifique, salué par tous. L’histoire d’une transplantation d’un cœur, qui devient une grande aventure humaine.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Lexpress
13 janvier 2014
Pour ressusciter ses morts, [Maylis de Kerangal] se fait troubadour et poète. Sa chanson de geste ? Le récit d'un haut fait héroïque du XXIe siècle, les stances d'une course salvatrice, les vingtquatre heures ("une rotation terrestre") qui donnent un sens au drame absolu, bref, l'histoire d'un don d'organes.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Lhumanite
08 janvier 2014
Creusant le sillon qu’elle s’était ouvert, jalonné par Corniche Kennedy ou Naissance d’un pont, Maylis de Kerangal ouvre à son art une ampleur nouvelle, et donne avec Réparer les vivants un roman dont la puissance vient de la délicatesse. C’est là l’apanage des plus grands.
Lire la critique sur le site : Lhumanite
Telerama
08 janvier 2014
Si les phrases semblent ne pas s'arrêter, si elles s'étirent comme des notes de musique tenues jusqu'à l'impossible, c'est qu'elles sont proférées dans un souffle unique, luttant contre la mort, retardant toujours l'extinction finale.
Lire la critique sur le site : Telerama
LaLibreBelgique
07 janvier 2014
On partage les émotions de ces parents meurtris ou les prouesses des équipes médicales, d’autant que l’écriture de Maylis de Kerangal est d’une beauté et d’une force particulières. Le cœur devient un enjeu lyrique, romantique. Et le lecteur est emporté par ses longues phrases, précises, surprenantes et torrentueuses à la fois.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (337) Voir plus Ajouter une citation
Ont-ils vu un mort ailleurs que dans une série américaine Body of Proof, Les experts, Six Feet Under ? Révol, lui, aime zoner de temps à autre dans ces morgues télévisuelles où déambulent urgentistes, médecins légistes, croque-morts, thanatopracteurs et cadors de la police scientifique parmi quoi un bon nombre de filles sexy et perchées – le plus souvent une créature gothique exhibant à tout bout de champ un piercing lingual ou une blonde classieuse mais bipolaire, toujours assoiffée d’amour -, il aime écouter tout ce petit monde tchatcher autour d’un macchabée étendu de tout son long en travers de l’image bleutée, échanger des confidences, se draguer sans vergogne voire travailler, formulant des hypothèses un poil brandi au bout d’une pince, un bouton scruté à la loupe, un prélèvement de muqueuse buccale analysé sous la lentille d’un microscope, puisqu’il faut toujours que l’heure tourne, que la nuit s’accomplisse, puisqu’il est toujours urgent d’élucider les traces inscrites dans l’épiderme, de s’essayer à un déchiffrage de la chair qui saurait dire si la victime sortait en boîte, suçait des cachous, abusait des viandes rouges, buvait du whiskey, avait peur du noir, se teignait les cheveux, manipulait des produits chimiques, multipliait les relations sexuelles avec différents partenaires ; oui, Révol aime quelquefois visionner ces épisodes, quand pourtant, selon lui, ces séries ne disent rien de la mort, le cadavre a beau occuper toute la focale, asphyxier l’écran, observé, fractionné, retourné, c’est un simulacre, et tout se passe comme si, tant qu’il n’avait pas livré tous ses secrets, tant qu’il demeurait une potentialité – narrative, dramaturgique -, il tenait la mort à distance.
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j’ai conscience de la douleur qui est la vôtre, mais je dois aborder avec vous un sujet délicat – son visage est nimbé d’une lumière transparente et sa voix monte imperceptiblement d’un cran, absolument limpide quand il déclare :
- Nous sommes dans un contexte où il serait possible d’envisager que Simon fasse don de ses organes.

Bam. D’emblée. Thomas a posé sa voix sur la bonne fréquence et la pièce semble résonner comme un micro géant, un toucher de haute précision – roues du Rafale sur le pont d’envol du porte-avions, pinceau du calligraphe japonais, amortie du tennisman. Sean relève la tête, Marianne sursaute, tous deux chavirent leur regard dans celui de Thomas – ils commencent à entrevoir avec terreur ce qu’ils fabriquent ici, face à ce beau jeune homme au profil de médaille, ce beau jeune homme qui enchaîne avec calme. Je voudrais savoir si votre fils avait eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet, s’il lui est arrivé d’en parler avec vous.
Les murs valsent, le sol roule, Marianne et Sean sont assommés. Bouches bées, regards flottant au ras de la table basse, mains qui se tordent, et ce silence qui s’écoule, épais, noir, vertigineux, mélange l’affolement à la confusion. Un vide s’est ouvert là, devant eux…
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Marthe Carrare (…) suce un comprimé de nicotine, songeant après avoir regardé sa montre qu'elle a oublié de décommander ce dîner prévu d'ici deux heures chez sa fille et son gendre, elle n’aime pas aller chez eux, se le formule clairement à l'instant, je n’aime pas y aller, fait froid là-bas - ne saurait dire pourtant si ce sont les murs de l'appartement talochés d'une belle peinture blanche à la caséine qui la font frissonner, ou bien l’absence de cendrier et de balcon, de viande, de désordre, de tension, ou encore les tabourets maliens et la méridienne design, les soupes végétariennes servies dans des coupelles mauresques, les bougies parfumées Foin coupée Feu de bois, Menthe sauvage, la satiété stylée de ceux qui se couchent avec les poules sous des édredons de velours indien, la tendre atonie distillée partout dans leur royaume, ou peut-être est-ce ce couple qui l'effraye, ce couple qui avait avalé en moins de deux ans sa fille unique, l'avait désintégrée dans une conjugalité sûre, émolliente, un baume après des années de nomadisme solitaire : sa fille fougueuse et polyglotte désormais méconnaissable.
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Que deviendra l'amour de Juliette une fois que le cœur de Simon recommencera à battre dans un corps inconnu, que deviendra tout ce qui emplissait ce cœur, ses affects lentement déposés en strates depuis le premier jour ou inoculé ça et là dans un élan d'enthousiasme ou un accès de colère, ses amitiés et ses aversions, ses rancunes, sa véhémence, ses inclinations graves et tendres ?

Que deviendront les salves électriques qui creusaient si fort son cœur quand s'avançait la vague ?
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Elle se lève, un mouvement brusque, sa chaise bascule en arrière - fracas sur le sol -, mais elle ne se retourne pas, se tient debout face à lui, une main posée à plat sur la table assurant un appui à son corps chancelant, l'autre pendue le long du corps, ils se regardent une fraction de seconde, puis un pas et ils s'étreignent, une étreinte d'une force dingue, comme s'ils s'écrasaient l'un dans l'autre, têtes compressées à se fendre le crâne, épaules concassées sous la masse des thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s'amalgament dans les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d'étreinte que l'on se donne pour faire rocher contre le cyclone, pour faire pierre avant de sauter dans le vide, un truc de fin du monde en tout cas quand, dans le même temps, dans le même temps exactement, c'est aussi un geste qui les reconnecte l'un à l'autre - leurs lèvres se touchent -, souligne et abolit leur distance, et quand ils se désincarcèrent, quand ils se relâchent enfin, ahuris, exténués, ils sont comme des naufragés.
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Vidéo de Maylis de Kerangal
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff Table ronde animée par Alastair Duncan Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. » Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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